Ainsi, 94 % de la population thaïlandaise serait croyante — c’est le taux observé le plus élevé —, tandis que la Chine serait, en revanche, le pays le moins religieux au monde avec deux tiers d'athées convaincus. Les Français se disent quant à eux croyants à 40 %, contre 35 % de non-religieux et 18 % d’athées. Autant dire qu’une majorité de Français sont incroyants — un chiffre qui se retrouve dans la moyenne de l’Europe occidentale, où les incroyants dominent légèrement —, moins toutefois que les 70 % de Britanniques ou d’Israéliens qui affichent de manière plus significative encore un net rejet de la religion.
L’Europe occidentale tranche ainsi nettement en la matière avec les autres continents de la planète : 43 % de croyants contre 37 % de non croyants, sans compter 14 % d’athées. Il est probable que cet écart ne fera que se creuser à l’avenir, ne fût-ce qu’en raison du fait que malgré la progression constante de l’incroyance et de l’athéisme dans le monde, la natalité plus forte dans les régions où les religions dominent fera croître la proportion d’individus croyants dans la population mondiale. Cette croissance se fera au bénéfice de l’Asie, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique surtout, laquelle combine les taux de natalité les plus hauts au monde avec un taux de croyance de l’ordre de 86 %, le plus élevé des cinq continents.
L’âge, le sexe, le taux d’occupation, l’urbanité, le rapport à l’ethnicité, le niveau de revenu ou le degré d’éducation ont très manifestement une influence sur l’adhésion religieuse : moins que l’âge — nombre de jeunes affichent en effet leurs convictions religieuses —, l’éducation — mais avec des paradoxes toutefois — et surtout le niveau socio-économique influent sur l’affiliation religieuse : il y a ainsi une corrélation forte, comme le montrent maintes enquêtes, entre hauts revenus et athéisme déclaré.
Nous avons déjà, dans ces colonnes, mis en garde contre le caractère très aléatoire des diverses enquêtes, sondages et autres baromètres relatifs aux croyances et convictions, dont les méthodologies diffèrent souvent radicalement, dont les intitulés de questions peuvent quelquefois être orientés et dont les catégories proposées peuvent être quelquefois très discutables également, tout comme leur échantillonnage. Les cartes religieuses locales ou mondiales sont ainsi à prendre avec beaucoup de circonspection — l’enquête WIN/Gallup International contredit parfois de manière prononcée les données suggérées par une autre étude, pourtant réalisée par le même sondeur, en 2012. Elles offrent toutefois à lire des tendances lourdes qui ne manquent pas d’intérêt, bien souvent, et nous éclairent sur des dynamiques à l’œuvre plus qu’elles nous offrent des instantanés de l’état des convictions.
Où se situe la Belgique dans ce tableau ? Les Européens les moins croyants s’avèrent être les Suédois — ils sont 78 % d’incroyants et d’athées — et les Tchèques — 23 % de croyants seulement. Les voisins du nord de la Belgique comptent aussi un grand nombre d’individus qui se sont détournés de la religion : les Néerlandais seraient, selon l’enquête de WIN/Gallup, 51 % d’incroyants et 15 % d’athées, contre seulement 26 % de croyants. Les chiffres relatifs à la Belgique la situent quelque peu au-dessus de la moyenne européenne : 30 % d’incroyants, 18 % d’athées, et 44 % de croyants, très majoritairement catholiques. Ces résultats rejoignent les données fournies lors de l’étude réalisée par une équipe de sociologues de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL) et de l’Université catholique de Louvain (UCL) dans le cadre de la European Values Study(EVS), données récoltées en 2009 et portant sur la décennie écoulée.
La moitié (50 %) de la population belge s’y définissait alors comme catholique, contre 72 % encore dans les années 1980, tandis que les athées et les non affiliés se situaient à un peu moins de 42 % — moins d’un quart, parmi ces derniers, se déclarant ouvertement athées — contre 24 % il y a trente ans. L’enquête de l’UCL et de la KUL faisait également apparaître un net recul de la croyance en Dieu, qui n’aurait plus été partagée, dans les années 2000, que par 57 % de la population belge, contre 77 % il y a 30 ans. Elle étayait par là les nombreux constats opérés quant à la dynamique de sécularisation entamée dans les années soixante en Belgique, qui s’est accélérée depuis le début des années quatre-vingt et ne s’est plus démentie depuis.
La pratique dominicale des catholiques est ainsi en baisse régulière et significative depuis un demi-siècle, même si la participation occasionnelle aux offices demeure, lors des grandes étapes de la vie : si moins de 5 % de la population belge fréquente la messe dominicale, ils sont encore 25 % à se marier à l’église et plus de la moitié d’entre eux font baptiser leurs enfants. L’enquête de l’UCL et de la KUL montrait également que 69 % des individus nés après 1984 affirment n’avoir aucun lien avec l’Eglise catholique. L’adhésion forte à des choix éthiques progressistes ou l'approbation de comportements sexuels que la plupart des institutions religieuses, en particulier l’Eglise romaine, ne tolèrent pas (euthanasie, interruption volontaire de grossesse, homosexualité …) conforte l’idée d’un lien qui se délite chaque jour davantage, en particulier chez les plus jeunes.
D’autres indicateurs le montrent : en Belgique, en 2014, 54 % des défunts ont été incinérés — pratique tolérée depuis Vatican II, mais non encouragée par l’Eglise —, ce qui constitue un triplement par rapport à 1990. Il est significatif à cet égard de constater les disparités suivant les régions : si cela concerne 38 % des décès en Wallonie, la part des incinérations grimpe à 57 % à Bruxelles et 63 % en Flandre. A Bruxelles, où la pratique dominicale est la plus faible du pays, où seuls 7 % des mariages sont célébrés à l’Eglise, où moins de 15 % des enfants sont baptisés et où seuls 22 % des funérailles sont catholiques — contre plus de 50 % en Flandre et en Wallonie — plus d’un enfant sur deux naît désormais hors mariage. Et encore, ces chiffres sont-ils antérieurs à 2010…
L’enquête menée par le même Institut Win/Gallup il y a un an, à propos cette fois de la perception du rôle de la religion, montrait que celle-ci était davantage perçue comme un facteur de division et de conflit en Belgique. En Europe occidentale, qui constitue déjà la région la plus sceptique au niveau mondial, les Belges seraient ainsi les plus méfiants à l’égard de la religion, juste derrière le Danemark, mais devant la France et l’Espagne.
Ce que révèlent les données relatives à la Belgique par Win/Gallup recoupe donc les observations faites depuis plusieurs années déjà. En revanche, les chiffres révélés ces dernières semaines quant aux évolutions de la religiosité américaine ont de quoi surprendre. Une étude menée par le Pew Research Center — America’s Changing Religious Landscape — montre en effet qu’entre 2007 et 2014, le nombre des « sans affiliation » — athées, agnostiques ou ceux qui répondent « rien en particulier » à la question relative à leur croyance — a grimpé de plus de six points aux Etats-Unis, passant en sept ans de 16 % à près de 23 % (soit 56 millions d’Américains).
De surcroît, ces « sans affiliation » sont de plus en plus jeunes, avec un âge médian en baisse (36 ans) contre un âge médian en hausse (52 ans) pour les protestants (hors évangéliques) et les catholiques (49 ans). Et ce alors que les USA demeurent le « premier pays chrétien au monde » avec sept Américains sur dix qui se réclament du christianisme en 2014 — contre presque huit sur dix (78 %) en 2007 — soit un déclin de 5 millions de personnes, rappelle le New York Times. Une tendance plus marquée encore que le principal mouvement qui affecte la démographie américaine, à savoir la montée en puissance des Hispaniques ; une tendance vouée à se renforcer, puisque la part des « non affiliés » dans les cohortes les plus jeunes — 18 à 26 ans — se situe à plus d’un tiers de la population, plus exactement 34 %, que de surcroît plus une cohorte est jeune, plus elle est éloignée de l’affiliation religieuse et qu’enfin les mariages interreligieux ou exogamiques sont en croissance aux USA, ce qui a un impact sur la désaffiliation religieuse.
Comme le note le Pew, « while many U.S. religious groups are aging, the unaffiliated are comparatively young, and getting younger, on average, over time ». Commentant pour le quotidien britannique The Guardian les résultats de l’enquête, John Green, son conseiller scientifique, professeur de sciences politiques à l’Université d’Akron (Ohio) a indiqué à ce sujet que « the involvement of religious groups in politics, particularly regarding issues such as same sex marriage and abortion, is alienating younger adults, who tend to have more liberal and progressive views than older people (…). The rise of the internet and social media has also drawn younger adults towards online, general social groups and away from face-to-face organizations and traditional habits, such as churchgoing ».
En outre, cette tendance à la déchristianisation affecte bien au-delà des marges classiques de la société américaine — les villes côtières, les segments les plus jeunes et les plus libéraux de la population. Car l’enquête du Pew Research Center illustre notamment que ce déclin affecte jusqu’à la traditionnelle « Christian belt », au cœur des Etats du centre des Etats-Unis : si les catholiques — composés pour 41 % de ce que les Américains dénomment les « racial and ethnic minorities », témoignant de leur succès auprès des Hispaniques — et les protestants historiques (« mainline ») sont les plus touchés, même les évangéliques et les mormons sont en régression. Ce changement est en partie générationnel, et se manifeste également du fait que ce sont des chrétiens, de tous âges, qui rejoignent principalement les rangs des non affiliés.
Comme l’écrit le New York Times : « The [Pew] report does not offer an explanation for the decline of the Christian population, but the low levels of Christian affiliation among the young, well educated and affluent are consistent with prevailing theories for the rise of the unaffiliated, like the politicization of religion by American conservatives, a broader disengagement from all traditional institutions and labels, the combination of delayed and interreligious marriage, and economic development ».
Ainsi, selon l’enquête du Pew, le second Religious Landscape Study après celui de 2007 — aux critères identiques —, qui a interrogé 35 000 adultes et produit ainsi une ressource de première importance pour analyser la sociologie religieuse américaine, les non affiliés constituent aujourd’hui le deuxième courant convictionnel américain, certes derrière les protestants évangéliques, mais devant les catholiques et les protestants « mainline ». Et ce alors que l’islam et le judaïsme, largement minoritaires toutefois, sont plutôt en croissance relative, tout comme les religions orientales. Il montre en outre que la — relative — déchristianisation du paysage convictionnel américain affecte toutes les régions, toutes les tranches d’âge, tous les niveaux d’éducation et tous les groupes ethniques, les hommes comme les femmes.
Voilà qui contrecarrera à la fois ceux qui continuent à propager l’idée d’une religiosité solidement ancrée dans les mœurs américaines — rien n’est, en la matière, immuable — et aussi ceux qui s’efforcent de présenter les Etats-Unis comme l’exact contraire de l’Europe dans ce domaine. Car, en effet, la déchristianisation comme la montée en puissance de l’incroyance aux USA dépassent déjà les observations faites pour plusieurs pays européens ; mais, en outre, il est prévisible que demain, la carte mondiale de la croyance et de l’incroyance se partagera surtout, et de plus en plus, suivant un axe Nord/Sud.
Jean-Philippe Schreiber (ULB).