Jusque dans les années 1950, les missions sont envisagées par l’Église comme une conquête destinée à évangéliser les âmes « ignorantes et impies ». Elles se développent dans un contexte de colonisation et d’expansion de l’impérialisme occidental. Après la conférence de Bandoeng de 1955 et le passage à l’indépendance de la plupart des pays du globe, une telle vision du monde a perdu sa légitimité. En 1957, le pape Pie XII publie l’encyclique Fidei donum qui invite les Églises du Nord à établir des relations de collaboration avec les Églises d’Afrique. Signes du « don de la foi », des prêtres sont, depuis, envoyés Outre-mer pour un temps déterminé — qui peut cependant durer de nombreuses années.
Dans son principe, Fidei donum n’est pas très différent des autres appels aux missions qui l’ont précédé depuis des siècles. Il comporte cependant des accents nouveaux : il insiste sur la nécessité d’accompagner les jeunes Africains étudiant hors de leur pays, il propose d’envoyer à durée limitée des prêtres diocésains, mais aussi des laïcs capables d’apporter aux jeunes Églises d’Afrique leur expérience d’action catholique. L’encyclique visait principalement l’Afrique, ne faisant qu’évoquer « les missions d’Asie, d’Océanie, les régions déchristianisées d’Europe et les vastes contrées d'Amérique du Sud ». Quatre années plus tard, en 1961, Jean XXIII demandera le même type d’aide pour l’Amérique latine.
Dans la foulée du Concile Vatican II, le décret Ad gentes prolonge et renforce la direction prise par Fidei donum. Désormais, tous les évêques et, avec eux, toutes les Églises sont « collégialement » responsables de l’évangélisation du monde. Le dicastère romain de propaganda Fide perd sa raison d’être et change de nom pour devenir en 1967 la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Ce n’est plus Rome qui envoie et qui gouverne directement toutes les missions, c’est l’Église ou c’est la collégialité épiscopale, ou chaque évêque, d’Afrique, d’Asie ou d’ailleurs, sur son propre territoire. Cette mutation permet aux missions une plus grande souplesse en mettant en place une structure triangulaire entre Rome, les Églises du Nord et les Églises du Sud. Le bilatéralisme est valorisé plutôt que la centralisation, même si Rome tente de coordonner le mouvement. Peu à peu les Églises locales deviennent missionnaires et le prêtre et les religieuses ont une position médiatrice. Cette dernière n’est d’ailleurs pas sans provoquer des conflits de loyauté parfois délicats à gérer. On retrouve ici la tension bien connue entre l’universalisme de l’Église et les intérêts locaux. L’équilibre de tout le système est par ailleurs profondément repensé. L’Europe, autrefois dispensatrice de doctrine pour le reste du monde, se reconnaît au milieu des autres comme un continent à évangéliser.
Ces changements de perspectives et de politiques s’accompagnent de modifications profondes en terrain de mission, théorisées par la théologie. On passe d’une stratégie de l’endoctrinement à une relation basée sur le dialogue et la discussion, voire l’échange de vie et de parole. L’aliénation de la culture de l’autre – si tant est qu’elle ait jamais existée – est condamnée au profit de la méthode dite de l’« inculturation », laquelle consiste à convertir les cultures allogènes dans les termes propres à celle-ci. Pour ce qui est de la liturgie par exemple, contrairement à ce que l’on a pu écrire, l’évangélisation ne s’est pas forcément accomplie au terme d’une implantation autoritaire des normes romaines et du rejet de toute forme de syncrétisme rituel. En outre, le mouvement liturgique visant à approfondir la liturgie dans le sens d’une rénovation qui valorise la participation des fidèles a vu le rituel romain s’adapter aux langues vernaculaires.
Dans certains pays d’Amérique latine, l’empathie à l’égard des populations indigènes va jusqu’à épouser leur cause. Confrontés à une pauvreté qu’ils découvrent, certains missionnaires prennent des positions politiques qui les opposent au pouvoir local. D’autres encore prennent une place laissée vacante par les pouvoirs publics. Au Brésil, pays où l’État installe très tard un système d’enseignement et de soins de santé structuré, l’Église parvient à s’implanter très efficacement. Ce type de pastorale offre une alternative aux missionnaires déçus par l’Europe. La condamnation des prêtres ouvriers par le pape en 1954 provoque le désir de transférer un engagement comparable en Amérique latine.
Les nouvelles méthodes d’évangélisation articulées à une refonte de la fonction du missionnaire aboutissent sur le terrain à des phénomènes de transferts culturels très intéressants : le mélange et la fusion entre une religion globale et les particularités locales, ce que certains appellent le glocal. Les analyses fines montrent que le message n’est pas seulement traduit et adapté par les populations « converties », mais qu’elles se l’approprient et se créent une identité singulière. En retour, l’expérience de l’immersion provoque chez les missionnaires des formes de conversions, si pas aux cultures allogènes, du moins à certains de ces aspects. Dans certains cas, la coopération avec les cultures autochtones peut être stratégique. En Afrique subsaharienne, certaines congrégations missionnaires ont ainsi conclu des coalitions avec les musulmans pour lutter contre le communisme.
En dépit de la refonte du système et de la philosophie missionnaires, ce mode d’engagement subit une terrible crise d’identité à partir des années 1950. Tant les élites locales que la métropole remette en cause son utilité et sa finalité. La crise est si profonde qu’en 1975 l’exhortation de Paul VI Evangelii Nuntiandi évite le terme mission et ses dérivés au profit du mot évangélisation. L’engagement missionnaire s’élargit progressivement vers les jeunes laïcs, qui s’organisent depuis les années 1930. Leurs initiatives se distinguent nettement de l’action cléricale, tournée vers la conversion des âmes, en ce qu’elles se destinent à la christianisation des structures sociales. Le tiers-monde remplace la mission extérieure traditionnelle et les ONG supplantent les œuvres missionnaires. Ces nouveaux militants veulent changer l’ordre mondial et valorisent l’action économique et sociale, accomplissant des tâches d’enseignement et des actions médico-sociales.
En fait, le développement dans les années 1990 de l’aide humanitaire a été une opportunité pour les missions catholiques de se diversifier. C’est particulièrement vrai dans les pays où le désengagement de l’État dans les matières sociales et éducatives s’est accentué. Au Burkina Faso par exemple, l’Église a occupé l’espace libéré par le retrait de l’État et s’est appuyée sur la reconversion de congrégations en organisations non gouvernementales, ainsi que sur la venue de nouvelles congrégations et ONG.
Aujourd’hui, les organisations d’aide au développement sans appartenance confessionnelle se multiplient. Le modèle missionnaire classique a été revisité et l’engagement est l’œuvre de coopérants et volontaires contractuels accomplissant des tâches précises dans un temps donné. Ils sont en recherche d’un accomplissement et d’un épanouissement personnel qui n’est pas forcément rétribué. Il n’existe cependant pas forcément de frontière étanche entre le coopérant qui agit d’une manière individuelle dans des organisations sécularisées et le missionnaire traditionnel. En termes d’action, de motivations et d’objectifs, tous poursuivent une œuvre de développement, se côtoient sur le terrain et sont avides de se confronter à d’autres cultures. De la sorte, dans de nombreux cas, les phénomènes d’hybridation et les transferts culturels sont profonds. Et en Europe, aujourd’hui, on parle de « mission inversée » pour désigner les « prêtres venus d’ailleurs » et les « prêtres étrangers » qui viennent suppléer les rangs désertés de la prêtrise.
Cécile Vanderpelen-Diagre (ULB).