mercredi 17 octobre 2012

L'image de l'islam véhiculée par les manuels scolaires

La plupart des manuels scolaires européens colportent une image dépassée et simpliste de l'islam. Ils présentent cette religion comme étant fondamentalement "Autre" et incompatible avec les principes de la modernité occidentale. En reproduisant ces clichés, les manuels scolaires accentuent les difficultés d'intégration des musulmans dans les sociétés européennes.

Telles sont les conclusions d'une étude scientifique réalisée en 2011 par l'Institut Georg Eckert de Brunswick, un centre de recherche spécialisé dans l'analyse comparative des manuels scolaires en sciences humaines à une échelle internationale (http://www.gei.de/). Cette équipe interdisciplinaire de chercheurs, qui travaille en collaboration étroite avec plusieurs universités allemandes, a passé en revue des manuels d'histoire et d'éducation civique de différents pays européens (Allemagne, Autriche, France, Espagne et Grande-Bretagne). S'il y a déjà eu des études nationales concernant l'image de l'islam et des musulmans dans la littérature scolaire, celle-ci est la première à jeter un regard transnational sur la question.

Le Georg-Eckert Institut für internationale Schulbuchforschung - Georg Eckert Institute for International Textbook Research estime que les manuels scolaires reflètent l'esprit de leur époque, mais qu'ils ont aussi un rôle déterminant à jouer dans l'évolution future des mentalités. La grille de lecture adoptée confirme que l'intégration des musulmans dans nos sociétés dites multiculturelles fait figure d'enjeu prioritaire. L'islam est-il présenté dans la longue durée et de manière dynamique ? Y a-t-il de la place dans cette présentation pour la variété et pour la complexité ? Tient-on compte de différents points de vue, dans une approche respectueuse de la différence ? Met-on l'accent sur les conflits ou sur les échanges ? Apprend-t-on aux élèves que tout récit historique est d'abord et avant tout une construction ? Voilà quelques interrogations qui ont guidé l'analyse des manuels scolaires, de leurs contenus, discours et attentes pédagogiques, mais aussi de leur mise en forme textuelle et graphique.

Les conclusions de l'étude sont très claires et plutôt consternantes : en dehors de quelques variantes nationales de peu d'importance, les manuels scolaires analysés véhiculent tous les mêmes clichés sur l'islam et ses adeptes. Les musulmans sont décrits comme un ensemble homogène et statique, intrinsèquement "autre" et extra-européen. La notion de l'existence de deux civilisations cohérentes, fort différentes et souvent antagonistes (comme l'Islam versus l'Europe) est partout présente en filigranes, comme une vérité intangible. Les principaux problèmes sont l'association trop étroite entre l'histoire des sociétés à prédominante musulmane et la religion islamique proprement dite, ainsi que la réduction de la culture musulmane aux seuls aspects théologiques et religieux. Cette vision essentialiste se double de la mise en évidence du caractère rétrograde de l'islam, en d'autres termes de sa faible capacité d'adaptation au monde moderne.

En effet, l'Autre musulman n'est plus présenté d'abord et avant tout comme un adversaire redoutable que de violents conflits (comme les Croisades) ont opposé à la civilisation occidentale européenne. Les manuels scolaires du début du 21e siècle voient surtout en lui l'Autre inadaptable, l'Autre qui ne peut être intégré dans nos sociétés modernes pour la simple raison qu'il a raté le rendez-vous avec la modernité. En suggérant que les sociétés arabo-musulmanes n'ont pas évolué depuis des siècles, les chapitres sur le moyen âge comme âge d'or corroborent cette accusation de passéisme. Bref, la manière dont les manuels scolaires européens présentent l'islam fait croire à l'existence d'un fossé culturel insurmontable, ce qui ne favorise pas l'intégration politique et sociale des musulmans.

En guise de bilan et de remède, l'étude de l'Institut Georg Eckert propose quelques recommandations pour les auteurs de manuels scolaires en histoire et en éducation civique. L'islam devrait être présenté dans une approche plus différentialiste, nuancée et dynamique, une approche qui montrerait que cette religion n'est pas un bloc homogène et rigide mais qu'elle recouvre des réalités diverses et changeantes. Par ailleurs, il faudrait davantage mettre l'accent sur les progrès de la sécularisation et de l'individualisation dans les pays musulmans, faire entendre les voix du changement qui s'y sont élevées depuis le 19e siècle et souligner les nombreux parallèles avec la modernité occidentale. Afin de contrer les anciennes rengaines de l'exclusion, les manuels scolaires de demain devraient enfin insister sur les importants moments d'échange, d'influence réciproque et de coopération dans l'histoire des relations entre l'Europe et l'islam.

Monique Weis (ULB).

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