vendredi 30 septembre 2022

Dieu, la Science, les preuves : un inquiétant succès…

L’ouvrage massif, et succès de librairie, que proposent Michel-Yves Bolloré, frère de l’homme d’affaires bien connu, et Olivier Bonnassies (Dieu. La science. Les preuves. L’aube d’une révolution, Paris, 2021), ne relève pas, disons-le immédiatement, des sciences dites « dures », mais prétend les vulgariser. Est-il impertinent de relever, à ce sujet, l’intérêt appuyé de son éditeur Trédaniel pour le domaine des médecines alternatives, de l’ésotérisme, du bien-être… bref, pour la nébuleuse des savoirs et pratiques qu’on qualifiera pudiquement de parallèles ou d’alternatifs ? 

Aucun des auteurs de ce volume ventru ne peut, d’ailleurs, faire état d’un statut de chercheur dans l’un des domaines qui constituent les sciences appelées à la défense leur thèse. Adossés à des expertises nombreuses – dont celles des frères Bogdanov, connus comme animateurs de télévision, et d’une nuée d’autres plumes, dont deux actives au sein de la si mal nommée Université interdisciplinaire de Paris (UIP) – ils se posent plutôt en… anges, en annonciateurs d’une bonne nouvelle, d’une révélation-révolution. 

Cette posture marque profondément les 577 pages de cette manière de diptyque qui s’offre, donc, sous une couverture aguichante et avec un fort tapage médiatique – celles et ceux qui ont visité Paris durant l’hiver dernier s’en souviennent certainement – à un lectorat très large, cœur de cible, des éditions Guy Trédaniel.

Au cœur du corps

Le volume met rapidement le lecteur devant une alternative simple : soit il existe un Créateur ; soit il n’en existe pas et l’univers ne serait que matière. Cette question posée, il devient nécessaire de couler le socle épistémologique sur lequel le propos se déploiera et, à cette fin, de définir les catégories de preuves dont peuvent se prévaloir différents types de théories scientifiques. Nos auteurs affirment travailler dans le cadre des théories scientifiques validables par « la confrontation de leurs implications avec le monde réel » (47), mais ni modélisables, ni expérimentables (40-42)… ce qui logerait leur propos, disent-ils, à la même enseigne que « la théorie de l’évolution » et la paléontologie (47).

Suivent les quelque deux cent-cinquante pages d’un premier panneau, dédiées à la preuve de l’existence de Dieu par les sciences. Elles prennent parfois l’allure d’un collage de citations de scientifiques (essentiellement des prix Nobel de physique) et d’autres figures saillantes des sciences, souvent fortement mathématisées. Citations d’autorités, donc, dont le statut ferait reculer les plus hardis contradicteurs, surtout s’ils sont peu ferrés sur les sujets exposés (physique et histoire du vivant). 

Notons qu’à côté de ces profils, nous l’avons signalé, sont également convoqués ceux, moins lisses, des frères Bogdanov qui, dans un ouvrage paru il y a une dizaine d’années, avaient pareillement abordé le thème de l’Être suprême et de ce que la science révèlerait à son sujet. Aussi n’hésiterions-nous pas à parler d’une forme de prosopopée : Bolloré et Bonnassies aiment, c’est un trait marquant de leur ouvrage, à faire parler les autres. La vulgarisation se fait souvent, il est vrai, à ce prix.

Au cœur de la démonstration gît l’improbabilité. Comment, en effet, le monde que nous connaissons aurait-il pu voir le jour sans une intelligence organisatrice, interroge-t-on ? Quelles étaient les chances de le voir émerger du chaos des matérialistes, livré au hasard ? Les exposants négatifs donnent le vertige et, appuyés sur le Big Bang du chanoine Lemaître, les auteurs de conclure à des probabilités tellement faibles qu’il faut bien envisager une Cause première intelligente, incréée, derrière le début du temps et de la matière. D’ailleurs, peut-il y avoir début sans cause, demandent-ils, arcboutés sur le vieil argument du Kalâm (61) ? 

Quant aux univers multiples, il ne s’agirait que d’une des tentatives désespérées des matérialistes, aveuglés par l’idéologie, d’évacuer ce qui s’impose logiquement : la présence de l’Architecte (quel que soit le nom qu’on lui donne, pourvu qu’il soit unique, car le livre veut fédérer toutes les religions dites « du Livre » autour de son propos… ou de son projet, plutôt).

Il en aurait fallu, selon Bolloré et Bonnassies, de la mauvaise foi, des contorsions spéculatives, de la violence, même, pour écarter, durant une bonne partie du siècle dernier, la « physique de curé » (78) de Lemaître et de ceux qui lui emboîtaient le pas. On évoque même un « roman noir du Big Bang » (103), dont les plus sinistres pages auraient coulé de plumes nazies et communistes. 

Pain béni, à vrai dire, car une théorie combattue par les incarnations de ce qui constitue, pour nos auteurs, le mal absolu, ne saurait être, c’est implicite, que juste. Les premières décennies du siècle passé furent, à en croire Bolloré et Bonnassies, le temps de la cabale des athées, des dévots du matérialisme, contre la Cause première, immatérielle, alors que des « réglages fins » indiquaient, déjà, l’existence d’un Ordre (91). Ce dernier ne serait finalement qu’une conclusion logique, confirmée par l’observation (91). 

Pareillement improbable était l’émergence de la vie du sein de l’inerte, affirme l’ouvrage. La vie serait la résultante programmée d’un univers finement réglé, appuyé sur une vingtaine de nombres (dont la constante de Planck). Exit, ipso facto, les soupes primitives, l’émergence spontanée du vivant, les inséminations extraterrestres ou autres hypothèses tendant à expliquer ce qui, finalement, aux yeux de ses auteurs, demeure inexplicable autrement que par le recours à l’Architecte.

D’ailleurs, toutes les tentatives expérimentales pour faire naître la vie ou même des composés organiques lui permettant d’advenir à partir de composés inorganiques n’ont-elles pas été vaines ou critiquées, suggèrent-ils ? Il faudrait un « blocage psychologique ou idéologique » (245) pour ne pas voir, une fois encore, le réglage des « lois biologiques » (245) et leur conséquence rationnelle : il existe quelque chose au-delà de la matière, quelque chose qui planifie.

Trouverait-on le curé ou son sacristain trop… « situé », trop impliqué, il demeurerait la parole des scientifiques eux-mêmes. Aussi, comme nous l’annoncions, nos auteurs recourent-ils résolument à la proposopée, organisée sous la forme d’un chapitre constitué de « 100 citations essentielles » de savants (249 ssq.). On y croisera, donc, l’élite mondiale de la physique, de la chimie, des sciences du vivant et de la philosophie des sciences. 

Einstein et Gödel, appelés à la barre, l’un pour l’affirmation de « l’intelligence de l’Univers » (300), l’autre la supposition que l’esprit et la matière seraient choses indépendantes (311), offrent à Bolloré et Bonnassies l’occasion de tordre le cou d’un ultime mythe (au sens étymologique du mot, éventuellement) construit au cours des deux derniers siècles : seules des contradictions, manipulations et collectes de données malhabiles expliqueraient les résultats des études démontrant que les savants seraient majoritairement athées. Rien ne prouverait, donc, que « plus de science » déboucherait sur « moins de religion » (281-293).

L’autre registre

Finalement, interviennent les preuves ressortant à un autre registre : les preuves historiques et théologiques de l’existence de Dieu. Le destin des juifs et les apparitions de la Vierge à Fatima, entre autres chapitres de ce second panneau – où l’on aborde également Jésus, ni mythe, ni fou, ni aventurier, ni prophète comme l’indiquent les sources historiques, et même Ernest Renan… consécration par nos deux auteurs d’un homme dont on se rappellera l’accueil peu enthousiaste que l’Eglise avait réservé à sa fameuse Vie de Jésus(1863) –, méritent également quelques mots.

Quant aux premiers, comment expliquer qu’ils sussent, il y a de cela des millénaires, des « vérités » sur le cosmos et l’humain, pourtant hors de portée des sciences de leur époque et confirmées par les sciences actuelles ? Réponse : parce qu’ils détenaient la Bible, message de vérité imagée. Il découle de cette dernière caractéristique, il faut le signaler, que sa lecture littérale ne saurait être juste, pour Bolloré et Bonnassies. 

Par ailleurs, les juifs sont convoqués à un second titre : ils constitueraient une « épine dans le pied des historiens » (415), en effet. Seul peuple survivant depuis l’antiquité, retournés sur leur terre après deux millénaires (comme l’avait annoncé Isaïe), ils se maintiennent, nous dit-on, sur un territoire sans grandes richesses et entouré d’ennemis. Bref, les juifs sont toujours là, après des victoires militaires défiant toute logique… miraculeuses, en vérité. Une sur-représentation des juifs dans la sphère intellectuelle ne serait pas dénuée de sens, non plus : 22 % des prix Nobel, assure-t-on. Une fois de plus, une convergence fait coordonnées : celles d’un Dieu acteur dans l’histoire.

Les fameuses apparitions de la Sainte Vierge à Fatima, en 1917, exigent également quelques mots rapides, en ce qu’elles constituent « une preuve majeure de l’existence de Dieu » (413), certes, mais aussi parce que les pages qui leur sont dédiées, pensons-nous, donnent à voir le trait réellement saillant du livre : sa nature revancharde. En effet, ce long volet ne cesse de railler des platitudes idéologiques de francs-maçons et autres laïcs/ matérialistes, destinées à nier les faits : elles ne feraient que démontrer qu’il s’est bien passé quelque chose, à Fatima. 

Phénomène physique, météorologique, hallucination collective, supercherie… ou, une fois encore, miracle ? Celui-ci demeurerait la seule explication possible à un événement observé, nous dit-on, par des milliers de croyants, et même par quelques-uns des ennemis jurés de la religion. Or, pas de miracle sans Dieu. Et, d’ailleurs, l’absence de Dieu indiquerait l’absence de mal, de norme absolue, et postulerait le relativisme des systèmes de valeurs. Et l’on retombe sur un double embranchement : croit-on à la triviale sélection biologique de la morale ou, plutôt, à sa présence imprimée dans l’âme humaine ? Un principe exclut l’autre, une fois encore.

Ultime trait

Il est un troisième registre de preuves, situé aux marges des panneaux principaux de cet ouvrage. Bonnassies et Bolloré les nomment « les preuves philosophiques » de l’existence de Dieu. Quant à nous, disons-le sans ambages, nous considérons ces pages comme cruciales. D’abord, parce qu’elles infirment, en quelque sorte, le caractère révolutionnaire de l’ouvrage, à moins de revenir au sens originel du mot « révolution » (mouvement circulaire et répétitif) ; ensuite, et surtout, parce qu’elles ont le mérite de nommer plus franchement l’ennemi, de révéler plus ouvertement l’intensité des sentiments que leurs auteurs lui vouent et, finalement, le projet qui sous-tend leur long ouvrage.

Ainsi, ce chapitre signale que les preuves philosophiques et/ou scientifiques de l’existence de Dieu abondaient, avant « la catastrophe » (502). C’est à ce moment que se seraient ligués contre la Vérité les jeunes sciences expérimentales, un matérialisme réducteur attribué aux Lumières et, finalement, les « penseurs du soupçon » (Nietzche, Marx, Freud… dont on notera que deux d’entre eux avaient été préalablement mentionnés comme expressions du dynamisme intellectuel des juifs). 

Dans ce contexte transformé, prouver l’existence de Dieu serait devenu, selon nos auteurs, une entreprise vaine, considérée comme pathologique, par certains (503). Une « révolution silencieuse » (505), reprise de la marche conjointe de la science et la métaphysique, daterait des années soixante, mais seulement dans des cénacles spécialisés, à l’abri d’une société laïcisée, incapable de saisir les enjeux des réflexions des nouveaux philosophes, si l’on ose ainsi les nommer. Le matérialisme n’avait alors, souligne-t-on, toujours rien prouvé. 

À cette pensée dominante et à ses « fausses raisons », s’opposent, à nouveau, la « Suprême intelligence » et « l’Unique nécessaire » : la première se signale par une « heureuse coïncidence » entre les mathématiques et le réel (les mathématiques décrivent et correspondent au réel), trop improbable sans l’existence de Dieu ; la seconde indique que l’univers serait absurde sans Dieu, car pourquoi il y aurait-il quelque chose, plutôt que rien (509-533) ? L’Être suprême aurait même créé le hasard… un faux hasard, voulu, qui le masque, mais que la physique quantique, inaccessible aux penseurs en rase-motte révèlerait.

En somme

Révolution, « grand retournement » (30-31), donc, annonçaient Bolloré – membre de l’Opus Dei – et Bonnassies – fondateur du site catholique conservateur Aleteïa –, que la convergence renouvelée de la science et de la religion (du Livre), idéologiquement séparées par des idéologies sécularisantes, depuis quelques courts siècles. La thèse n’est défensable qu’à condition d’oublier la pléthorique littérature d’opposition qui accompagna, par exemple, la parution des ouvrages de Charles Darwin. 

Outre la permanence de certains des arguments de cette époque jusque dans le présent ouvrage et dans une nuée d’autres (dont ceux d’Arun Yahya), cette vieille et exubérante production illustre le fait que convoquer une expertise scientifique pour contrer le matérialisme niché au creux de théories perçues comme menaçantes pour un certain ordre et certaines valeurs, provoquait, il y a longtemps déjà, de grandes dépenses d’énergie et de génie catholiques, notamment. 

S’il y eut bien fièvre obsidionale dans l’Eglise et dans les autres monothéismes, ils étaient bien loin de la paralysie intellectuelle et leurs discours bien loin d’être étouffés par un complot ou par les d’intérêts convergents des différentes familles de matérialistes. Songeons aux pages de la brillante Revue des Questions scientifiques du jésuite Carbonelle (1829-1889), ou aux très savantes réflexions du chanoine Henri de Dorlodot (1855-1929) sur le transformisme. La popularisation de ces épineuses questions elle-même n’est pas neuve non plus, puisque le XIXe siècle connut une explosion de l’édition et du lectorat, ainsi qu’une vulgarisation de la science et de ses débats. La lecture de la presse d’époque en dit long sur l’ardeur de ceux-ci, comme les correspondances scientifiques, quand ce ne sont pas des journaux intimes…

Selon nous, Bolloré et Bonnassiès s’inscrivent, plutôt, dans une double tradition. D’abord, dans celle de la lutte contre le matérialisme scientifique… par la vulgarisation, puisqu’une société en cours de démocratisation offrait, au XIXe siècle déjà, ce levier aux Églises. Ensuite, ces auteurs, quoique presque discrètement, raniment une haine haute en mépris, que certain.es espéraient complètement dépassée. En effet, leurs pages s’en prennent régulièrement, allusivement parfois, à l’ennemi héréditaire : le franc-maçon, le socialiste, le libéral…, figures de l’antagoniste momentanément victorieux. 

Il ne manque, à ce bal des pauvres d’esprit, que les juifs. Jadis accusés d’être vecteurs ou auteurs des maux modernes, le socialisme et le libéralisme, entre autres choses, ces derniers, on l’a signalé, tiennent un « rôle parfaitement disproportionné » dans « l’histoire des idées et des sciences » (435). Un rôle qui ne s’explique que d’une seule manière, nous le savons, désormais. L’ouvrage expose au grand jour, donc, en jubilant, le dogmatisme et les apories des tribus matérialistes – la figure d’un certain bourgeois de la IIIe République se forme naturellement à l’esprit – et leurs contorsions scientifiques et philosophiques les plus récentes. 

Vengeur est, quand tout est dit, l’adjectif qui qualifie le mieux ce massif ouvrage, tramé de haine… presque discrète. Bolloré et Bonnassies ne seraient-ils dès lors que deux visages d’un néo-conservatisme, aux accents religieux assumés, qui relève la tête un peu partout dans le monde ? D’ailleurs, au détour d’une page, ne les voit-on pas fustiger la persistance de l’héritage freudien : « la liberté sexuelle » et une « éducation très permissive » (24) ? Déviances au cœur de la pédagogie soixante-huitarde, que Bolloré s’emploie peut-être à corriger dans les écoles privées qu’il a créées – dont l’Agnes School, à Bruxelles. Nouveau conservatisme revanchard et, finalement, pas si nouveau que ça. Le succès que rencontre ce livre agonistique peut donc inquiéter ; certains scientifiques et intellectuels catholiques n’ont, d’ailleurs, pas tardé à en déplorer les errements ou – qu’on nous pardonne ce clin d’œil facile – les errores.

Denis Diagre-Vanderpelen (ULB).

 

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