lundi 14 avril 2025

Qui est membre du Grand Orient de Belgique ?

La principale obédience maçonnique en Belgique est le Grand Orient Belgique, qui compte près de deux siècles d’existence – il a été installé en 1833, trois ans après l’indépendance du pays. Demeuré exclusivement masculin durant près de deux siècles, il s’est en 2020 ouvert à une forme de mixité, s’organisant désormais en un pilier (ou fédération) mixte, un pilier masculin et un pilier féminin, après avoir adopté à une large majorité une réforme de ses statuts et règlements qui entre autres modifications permet désormais que des loges affiliées à cette obédience libérale et adogmatique intègrent des femmes en leur sein. 

Cette modification des statuts a ainsi levé les sanctions et les suspensions imposées jusque-là à certaines loges, lesquelles, en dérogeant aux règles alors en vigueur, avaient anticipé la situation qui prévaut depuis mars 2020. Il y a donc désormais au Grand Orient Belgique une fédération masculine, où l’on n’initie que des hommes et dont les loges affiliées décident d’accueillir ou non des femmes lors de leurs réunions ; une fédération mixte qui accueille des « Frères » et des « Sœurs » et initie des hommes comme des femmes ; et enfin une fédération féminine qui n’initie que des femmes et dont les loges affiliées – il n’y en a qu’une à ce jour – décideront à l’avenir d’accueillir ou non des hommes lors de leurs activités.

Cette transformation n’est sans doute pas pour rien dans le regain d’intérêt pour cette Obédience qui s’est manifesté ces dernières années. En effet, après avoir connu un creux autour de l’année 2021, dû très clairement à l’incapacité dans laquelle il s’est trouvé de recruter et d’initier de nouveaux membres dans le contexte du Covid, le Grand Orient de Belgique a connu une forte croissance en termes d’affiliations ces trois dernières années, pour se situer en 2024 au niveau qui était le sien avant sa relative décrue, à savoir celui de 2010 – soit désormais 10 159 membres contre 10 193 en 2010.

Si cette croissance est commune aux trois régions du pays, elle est la plus significative en Wallonie – 47 % des loges du Grand Orient sont situées en Wallonie, 30 % à Bruxelles et 23 % au nord du pays. Globalement, le Grand Orient de Belgique s’accroît désormais chaque année de plus de 550 nouveaux adhérents, près d’un quart en plus que de membres qu’il perd par décès, par affiliation à une autre obédience maçonnique ou par démission. 

Surtout, le Grand Orient de Belgique a connu en 2024 un record en matière de nouvelles initiations, à savoir des hommes et des femmes qui ont décidé d’entrer en franc-maçonnerie en choisissant précisément cette Obédience-ci : ils étaient 427 en 2024, contre une moyenne nettement inférieure de 300 initiations annuelles entre 2000 et 2019.

Fort de sa réforme majeure de 2020, le Grand Orient de Belgique s’avère désormais attractif pour les femmes, tant en matière de nouvelles initiations que d’affiliations : en 2024, 70 femmes y ont été initiées franc-maçonnes, alors que 41 ont quitté leur obédience d’origine pour s’y affilier. Car, fait intéressant, si avant l’évolution vers la mixité l’essentiel de l’accroissement de l’Obédience se faisait par de nouvelles initiations, depuis 2022 il y a une très forte croissance des affiliations, allant jusqu’à une affiliation pour deux ou trois initiations. Ce qui témoigne de ce que l’ouverture aux femmes a drainé vers le Grand Orient de Belgique des francs-maçons et des franc-maçonnes qui appartenaient autrefois à d’autres obédiences du pays.

En moins de cinq ans, l’Obédience s’est ainsi accrue de 18 loges, dont 11 dans le sud du pays et 5 à Bruxelles. 13 d’entre elles sont de nouvelles créations, alors que 5 sont des affiliations de loges entières venues d’une autre obédience. Au total, sur les dix-huit nouvelles loges, treize sont mixtes, quatre sont masculines et une est exclusivement féminine. Sur les 135 loges que connaît désormais au total le Grand Orient de Belgique, 94 se déclarent exclusivement masculines, soit 70 %, et 40 sont mixtes, soit 29 %. Ceci témoigne de l’impact qu’a eu l’advenue de la mixité, en particulier à Bruxelles et en Flandre, où près d’une loge sur deux est désormais mixte – tranchant avec le visage de la franc-maçonnerie wallonne, encore très majoritairement masculine.

Avant sa transformation de 2020, le Grand Orient de Belgique était confronté à des demandes de loges inscrites à son tableau, principalement bruxelloises et surtout flamandes, visant soit à affilier des « Sœurs », soit à aller plus loin encore, en initiant des femmes au sein d’une Obédience qui jusqu’ici était restée strictement masculine dans son recrutement. On le voit, ces demandes ont eu un impact sur la mixité de l’Obédience, mais n’ont à ce jour pas eu de conséquence en matière création de loges féminines, à l’exception d’une seule. 

Quant à parler de mixité, il faut demeurer nuancé, car l’on ne peut à proprement parler d’une Obédience devenue mixte. En effet, le Grand Orient de Belgique a en 2020 réaffirmé en la matière la liberté et la souveraineté des loges qui le composent, lesquelles peuvent depuis en toute indépendance décider si elles affilient ou initient des femmes, ou si elles demeurent en l’état et restent donc masculines.

Néanmoins, autre fait marquant, le Grand Orient de Belgique continue à inexorablement vieillir : l’âge moyen à l’initiation était il y a vingt-cinq ans de 44 ans ; il tourne aujourd’hui autour d’un peu moins de 50 ans, avec comme conséquence que l’âge moyen des membres de l’Obédience qui était de 58 ans il y a vingt-cinq ans s’élève aujourd’hui à plus de 63 ans. Le franc-maçon ou la franc-maçonne belge, ou du moins celles et ceux qui font partie de son Obédience la plus fréquentée, sont donc proches de l’âge de la retraite – et ce sera assurément un défi pour elle, après celui de la mixité, de veiller à se rajeunir.

Si l’on observe la présence des francs-maçons sur le territoire, certaines régions sont manifestement des déserts maçonniques : il en est ainsi d’une partie de la province de Luxembourg, de la province de Limbourg, de l’hinterland bruxellois ou du sud-ouest de la Flandre occidentale. En revanche, Il y a entre 1,5 et 2,5 francs-maçons pour 1000 habitants à Bruxelles ainsi que dans une partie du Hainaut, du Brabant wallon et de la province de Liège, avec même une pointe à près de 3,5 francs-maçons pour 1000 habitants dans la ville hennuyère de La Louvière, championne en la matière. 

Le Grand Orient de Belgique, œuvrant aux côtés de plusieurs obédiences masculines et d’une obédience strictement féminine, la Grande Loge féminine de Belgique, en permettant désormais la mixité en son sein s’ajoute ainsi à deux autres fédérations de loges actives en Belgique et mixtes par nature : le Droit humain, constitué à 75 % de femmes ; et Lithos, une fédération de loges autonomes de création récente (2006) et qui confédère des loges féminines, masculines ou mixtes – à la condition d’y accorder un droit de visite aux hommes comme aux femmes. 

Le Grand Orient, déjà traversé par une structuration sur base linguistique, la coutume imposant l’alternance des triennats de gouvernance entre un grand maître bruxellois, wallon puis flamand, est désormais donc aussi structuré sur une base genrée, de sorte qu’il y aura, un jour sans doute, une grand(e) maître(sse) du Grand Orient de Belgique. Cependant, malgré son virage crucial de 2020, outre l’âge moyen assez élevé de ses affiliés, il reste encore très masculin ou mixte, peu marqué par l’exclusivisme féminin. Signe sans doute qu’à la fois son ancrage masculin demeure fort, et surtout, marque de son époque, que la mixité commence à faire son inexorable chemin dans la franc-maçonnerie dite irrégulière.

Jean-Philippe Schreiber (Université libre de Bruxelles).

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