Vendredi 19 avril 2024
samedi 31 octobre 2015

Le synode sur la famille : la montagne qui accouche d’une souris ?

Ce 25 octobre, les 253 participants au Synode des évêques sur la famille, réunis depuis le 4 octobre, ont conclu leurs travaux et approuvé un texte élaboré par une commission de dix membres nommés par le pape. Le contenu de ce texte, publié en italien, est abondamment commenté et sera prochainement suivi de la rédaction d’une Exhortation apostolique par le pape François. Il en ressort qu’aucune modification n’a été apportée sur les questions sensibles – et attendues – que sont la place des personnes homosexuelles dans l’Église, la contraception et l’accès à la communion des divorcés remariés. On y retrouve en outre les condamnations attendues de l’« idéologie du genre », de l’avortement, de l’éducation sexuelle, du mariage entre personnes du même sexe ou encore de l’euthanasie.

Témoignant d’un véritable engouement pour la figure du pape François, la plupart des commentateurs se revendiquant de l’autorité vaticane se réjouissent pourtant d’un processus synodal et d’un texte qui s’intéresse plus à la pastorale qu’à la doctrine. Cet enthousiasme est loin d’être partagé par l’intégralité des catholiques. Certains sont déçus par ce statu quo. D’autres, en revanche, plus attachés au dogme, estiment que l’idée de « conscience personnelle » avancée pour désigner la distance que peut prendre un croyant divorcé par rapport à la loi morale est un dangereux dévoiement. Comment, dès lors, évaluer l’importance de ce synode et comprendre sa très large couverture médiatique ?

On peut comparer l’espoir suscité chez les croyants par ce synode à celui éprouvé lors du Concile Vatican II (1962-1965) et surtout lors de l’annonce de l’encyclique Humanae Vitae (1968). La méthode utilisée par l’Église est en beaucoup de points similaire, puisque dans les deux cas il fut procédé à une large consultation des catholiques par voie de questionnaire (3000 pages rassemblées pour ce synode). Il s’en est suivi la quasi-certitude pour le laïcat de voir se restreindre le fossé qui le séparait de l’Église enseignante (le clergé). L’occasion semblait venue, par voie de conséquence, d’une réconciliation entre les pratiques et la doctrine, écart particulièrement agissant dans la vie sexuelle. L’histoire a montré que l’interdit doctrinal de toute contraception artificielle édicté par Humanae Vitae eut pour effet soit d’éloigner une part importante des croyants du culte, soit d’entériner le hiatus entre pratique et dogme. Pour beaucoup, donc, ce nouveau synode était perçu comme l’opportunité de revenir sur un épisode « douloureux ».

Pour toute une partie de la Curie romaine et du clergé, il ne pourrait être question d’opérer un tel retournement. D’ailleurs, le pape François a marqué son accord avec le Magistère de l’Eglise dès le début de son pontificat et s’est placé d’emblée sur le terrain de la pastorale : il ne s’agit pas pour lui de changer les règles de l’Eglise en matière de morale sexuelle ou familiale, mais d’améliorer l’accueil des brebis égarées. Affaiblir la doctrine supposerait en effet, par effet boule de neige, que toute loi morale peut être sujette à une conjoncture historique. Ici se dessine une des grandes fractures, tant parmi les autorités ecclésiastiques que les théologiens. Tandis que pour une partie d’entre eux l’Église doit être un modèle et un idéal immuables qui doivent guider la société – quitte à s’en tenir éloignée – pour d’autres, elle doit accompagner cette société et épouser toutes ses formes.

À cette tension se greffe une autre, très liée, qui est ce qu’on pourrait appeler, d’une manière un peu schématique, le rapport à l’autre. Faut-il, comme le préconisent certains catholiques, ouvrir les portes de l’Église à tous les « pécheurs », quitte à faire l’impasse sur les principes de péché et de pardon, ou garder, comme l’exigent d’autres, les doctrines intactes et tenter de purifier la communauté, la préserver des influences exogènes au nom de ces règles ? Ces dichotomies sont profondes et se marquent non seulement à l’intérieur des Églises nationales, mais dessinent des grands pôles — « conservateurs » vs. « réformateurs » —, ainsi que des blocs régionaux, opposant tout particulièrement l’Afrique à l’Europe de l’Ouest, à l’échelle mondiale. Il est particulièrement délicat pour le pape de laisser chacune de ces directions s’exprimer, voire de les satisfaire, tout en préservant l’unité. L’histoire de l’Église est l’histoire de grands schismes.

Pourtant, peut-être sans qu’elle en soit toujours consciente, la manière dont l’Église catholique valorise et privilégie la famille traditionnelle — hétérosexuelle, monogame, à filiation exclusivement biologique et fonctionnant à partir d’un couple uni pour la vie —, est particulièrement datée et européocentriste. Les missions puis la décolonisation l’ont mise face à des modèles totalement différents (les familles pluricellulaires, la famille polygame notamment). L’obsession pour la cellule familiale primaire est par ailleurs le fruit du libéralisme du XIXe siècle et est loin d’être un invariant depuis les origines du christianisme. Au XIXe siècle, parce que l’Église perdait toute légitimité en ce qui concerne les normes organisationnelles politiques, elle s’est rabattue sur la vie privée. Précédemment, « la sainte famille » pouvait englober la famille humaine, regroupant frères et sœurs en Jésus-Christ. Religieux et religieuses suivaient l’Évangile : « Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra le centuple, et héritera la vie éternelle » (Math. 19:29). Cette parole est rappelée aujourd’hui par de nombreux catholiques qui ne la retrouvent pas dans les discours du Saint-Siège.

En raison de l’obsession vaticane pour l’ascétisme sexuel et les questions qui touchent à l’intimité, beaucoup de croyants se sont distanciés, depuis des décennies, d’une institution cléricale dans laquelle ils se reconnaissent de moins en moins. Les femmes en particulier expriment de plus en plus de scepticisme à l’égard d’une Curie presque sourde à leurs voix (deux religieuses furent entendues lors du Concile Vatican II, seules trois religieuses et simplement trente-deux femmes le furent au Synode). Cependant, d’une manière générale, ce phénomène de distanciation touche surtout l’Europe et l’Amérique du Nord. Les bancs des églises y sont toujours plus désertés. Et pourtant, même dans cette région du monde, le Synode a reçu une couverture médiatique très intense. Serait-ce parce que le pape détient toujours une certaine forme d’autorité morale ?

Il est en tout cas certain que les Églises ont, depuis la Deuxième Guerre mondiale, largement investi les organisations internationales et que leur maillage, effectivement international, s’est révélé très efficace. Elles ont ainsi pu monopoliser les matières délaissées par les États : la santé, l’environnement, la gestion de la pauvreté. On se souvient que lors de la Quatrième conférence mondiale sur les femmes tenue à Pékin sous l’égide de l’ONU, les autorités religieuses sont parvenues à ce que le terme « équité » soit préféré à celui d’« égalité » pour qualifier les droits des hommes et des femmes dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’économie et du politique. On peut donc parler d’un pouvoir d’influence réel du Saint-Siège à l’échelle mondiale, concordant avec sa forte présence en Afrique et en Amérique du Sud, en contraste avec la défection européenne.

En conclusion, que retenir de ce synode ? Dès le départ, tant le pape François que de hauts dignitaires avaient annoncé qu’il ne fallait pas attendre de modifications doctrinaires. De la même manière, les changements pastoraux annoncés à l’égard des personnes divorcées et dans une moindre mesure des homosexuel-le-s ne constituent pas une révolution dans des pays comme la Belgique, y compris au sein de l’Église. Enfin, le pape François a peut-être souhaité initier une réflexion collective sur la famille pour resouder son Église. Toutefois, là aussi, l’unité de l’Église a été mise à mal et de nombreux divergences ont été exposées au grand jour durant ce Synode et sa préparation.

Deux pistes nous semblent par contre devoir être explorées. D’une part, le pape et ses proches ont peut-être initié ce Synode pour redessiner les rapports de pouvoir au sein de la Curie et de l’Église. Ainsi, dès la fin du Synode, le souverain pontife a annoncé la création d’un nouveau Dicastère, qui remplacerait le Conseil pontifical pour la Famille et celui pour les laïcs et qui fonctionnerait en lien étroit avec l’Académie pontificale pour la Vie. Principal résultat du Synode à ce jour, il s’agit d’une véritable surprise, qui pourrait entrainer des modifications susbtantielles au Vatican, au moins au plan des personnes qui traitent ces différents dossiers.

D’autre part, il ne fait aucun doute que ce Synode s’inscrit dans une vaste opération de communication lancée par le pape François depuis le début de son pontificat. Ce Synode a en effet été abondamment couvert par les médias et a renforcé la fascination de nombre d’entre eux à l’égard du pape argentin. Cette opération de communication vise à améliorer l’image de l’Église, en particulier auprès des non catholiques et de celles et ceux qui, élevés comme catholiques, ont cessé de pratiquer leur foi — voire ont abandonné l’Église. Elle contribue aussi à affirmer l’inscription de l’Église catholique dans le débat public et politique, avec un succès attesté par les récentes invitations à s’exprimer au Parlement européen, à l’ONU et au Congrès des Etats-Unis. Elle poursuit de cette manière l’un des objectifs chers au pape actuel : la nouvelle évangélisation, c’est-à-dire la réévangélisation de territoires historiquement catholiques aujourd’hui sécularisés ou en voie de sécularisation.

David Paternotte et Cécile Vanderpelen (Université libre de Bruxelles).

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