Vendredi 29 mars 2024
samedi 28 avril 2012

Les lieux de culte évangéliques à Bruxelles

Un fait divers dramatique — l’effondrement du plancher d’un lieu de culte évangélique en pleine célébration pascale — entrainant la mort de deux personnes, a récemment placé sous le feu des projecteurs médiatiques la question des lieux de cultes évangéliques en région parisienne [voir notamment notre Revue de presse du 10 avril dernier]. Si les fantasmes vont bon train quant à l’existence de centaines de communautés volatiles qui pousseraient comme des champignons, leur étude reste malaisée. Les chiffres cités par le Conseil national des Evangéliques de France (CNEF) à l’occasion du drame de Stains font mention de 35 nouvelles communautés évangéliques par an pour l’ensemble de l’hexagone. Il n’en reste pas moins difficile pour ces dizaines de groupes de se trouver un lieu de culte approprié. Qu’en est-il en Région bruxelloise ?

Bruxelles compte à ce jour près de 230 lieux de culte protestants de “communautés structurées”, entendons par là des communautés organisées juridiquement en tant qu’associations sans but lucratif et/ou en tant que membre affilié à l’une des deux branches du Conseil administratif du Culte protestant et évangélique (CACPE). Une large majorité de ces communautés sont de sensibilité évangélique. En comparaison, les paroisses catholiques, en pleine réflexion sur d’éventuelles désacralisations, comptent actuellement une centaine de lieux de culte à Bruxelles. Une dizaine de nouveaux groupes structurés voient le jour chaque année dans la Région capitale quand d’autres changent de nom, disparaissent (par cessation d’activité), déménagent, se divisent (des dissensions internes donnant lieu à une division en plusieurs groupes) ou essaiment par la création d’églises-filles, suite notamment à des campagnes d’évangélisation.

Ce chiffre de 230 lieux de culte est le fruit d’une recherche de longue durée sur l’implantation des lieux de cultes évangéliques et pentecôtistes. S’il ne s’agit donc pas d’une estimation, on ne peut le prétendre exhaustif pour autant : il ne prend notamment pas en compte les “groupes de prière” et “églises de maison” ne disposant pas d’un lieu de culte à proprement parler. Certaines communautés évangéliques existent sur le territoire depuis le début du vingtième siècle, mais elles sont numériquement minoritaires, les années soixante-dix ayant vu se multiplier la création de communautés nouvelles — un processus qui n’a fait que s’accélérer jusqu’à atteindre un certain rythme de croisière depuis les années 2000.

Sans nier l’existence de groupes “champignons” relativement éphémères, les communautés tendent généralement à durer et si certaines sont structurées dès leur création, d’autres se structurent au fil du temps.

A quoi ressemblent ces lieux de culte ? Les communautés commencent souvent par se réunir dans des appartements ou maisons de membres du groupe. Vient ensuite le moment de louer un lieu de culte. Selon les moyens de l’assemblée, celle-ci va parfois commencer par sous-louer l’espace d’une autre communauté, qu’elle occupera à horaire décalé. C’est ainsi que certains lieux de culte sont investis par trois ou quatre communautés différentes. D’autres vont préférer louer des espaces type “salle de fête” à l’année, ou à la semaine, ce qui peut être la source d’une certaine itinérance. D’autres encore vont louer des surfaces commerciales, entrepôts, garages, bureaux ou loft. Enfin, certaines font le choix d’acquérir un espace quand elles en ont les moyens. Accéder à la propriété permet plus facilement d’adapter le lieu à l’usage, parfois d’en louer une partie, mais des difficultés multiples se présentent souvent quant à la mise en conformité des bâtiments sur le plan urbanistique, sécuritaire et acoustique.

En terme de visibilité, les lieux de culte évangéliques sont souvent discrets, voire invisibles lorsqu’il s’agit de salles de fête. Peu de signes extérieurs indiquent la présence d’une communauté religieuse : parfois un autocollant (voir l'illustration de cet article), une pancarte, une croix en façade, une enseigne.

Et à l’intérieur ? Difficile de donner une réponse univoque, la diversité étant le maître mot. Généralement, les communautés disposent au moins d’une salle de culte. Celle-ci est sobre et dépouillée, souvent munie d’une estrade, équipée pour y faire de la musique (micros, amplificateurs, etc.), pourvue fréquemment d’un projecteur, parfois d’autres outils technologiques (pour la sécurité, la captation vidéo, la traduction simultanée, etc.). Un second local est souvent nécessaire pour y organiser l’école du dimanche et autres activités rassemblant un plus petit comité. L’existence d’une cuisine est assez fréquente, éventuellement d’un bureau pastoral, voire d’un logement…

Malgré les efforts financiers relativement importants des fidèles pour subvenir aux besoins de leur église, « un évangélisme de caves » — pour reprendre l’expression de Sébastien Fath — existe bel et bien à Bruxelles. La « précarité spatiale » — concept de Frédéric Dejean — s’observe majoritairement au sein de groupes de fidèles d’origine africaine ou sud-américaine, récemment institués et en proie à une évolution rapide du nombre de fidèles. Parallèlement, d’autres communautés sont installées dans un plus grand confort, dans des espaces conformes aux normes de sécurité, y compris parmi les communautés issues de l’immigration.

Où sont situées ces 230 églises ? On les retrouve sur l’ensemble du territoire bruxellois, bien que l’on constate une concentration importante dans les communes centrales (Anderlecht, Bruxelles-Ville, Molenbeek et Schaerbeek) que l’on peut expliquer en partie par l’existence de zones moins résidentielles, offrant un plus grand nombre de surfaces anciennement industrielles ou commerciales. Parallèlement, on observe une sous-représentation dans les communes du Sud-Ouest de la ville, à l’exception d’implantations plus anciennes de communautés propriétaires.

Deux des raisons qui poussent les communautés récentes à s’installer dans ces zones “industrielles” est la disponibilité d’espaces à prix abordable, et la relative distance avec des habitations, ce qui réduit les tensions de voisinage liées au “bruit” et facilite, dans certains cas, le parking des fidèles. Cela dit, la rareté de ce type d’espace entraine des concentrations de communautés dans certaines zones, voire certaines rues, comme c’est notamment le cas dans la commune d’Anderlecht.

Que faire pour limiter les risques d’un fait divers tel que celui de Stains sur le territoire bruxellois ? La fermeture de lieux de culte par la police, pour raisons de sécurité, a déjà eu lieu en Région bruxelloise — notamment en août 2010 à Anderlecht. Cependant, lancer une vague de contrôle généralisé ne semble pas être la solution préventive idéale. D’abord, parce que la fermeture d’un lieu de culte sans autre forme de dialogue risque de précariser davantage les communautés les plus fragiles, qui ne s’arrêteront pas d’exister pour autant. Ensuite, parce que d’une commune à l’autre, la connaissance, par les autorités en charge du culte, du tissu associatif cultuel sur leur territoire est très variable… La responsabilisation des pasteurs par les instances de représentation du culte protestant et évangélique semble néanmoins indispensable.

Les églises affiliées au CACPE bénéficient d’une forme de reconnaissance par l’Etat et ont été associées, par le biais de leurs représentants, aux réflexions menées à la Région concernant la gestion des cultes. L’association des communautés évangéliques par le biais du Synode fédéral, l’un des deux organes formant le CACPE, est récente, puisqu’elle ne date que de 2002. Cette association artificielle de communautés parfois très différentes et indépendantes les unes des autres, au sein ou non de dénominations parfois internationales, correspond au besoin légal d’interlocuteur unique et leur permet de bénéficier d’une forme de légitimité. A contrario, les groupes qui ont décidé de rester indépendants, comme c’était le cas de la communauté de Stains — ce qu’ont immédiatement fait savoir les deux grandes instances rassemblant les évangéliques de France, la CNEF citée plus haut et la Fédération protestante de France — souffrent en Belgique comme en France de soupçons de « sectarisme ».

Si les Eglises protestantes historiques sont majoritairement financées par l’Etat et que plusieurs communautés évangéliques du pays bénéficient aujourd’hui de ce privilège également, il est utile de préciser que les communautés évangéliques locales bruxelloises, à une exception près (la communauté Biserica Crestina Romîna Elim), ne bénéficient pas de financement étatique. Elles financent donc intégralement tant leurs lieux de culte que la rémunération de l’officiant, si rémunération il y a. Elles n’ont dès lors pas d’obligation de rapport avec les communes, ni d’inscription auprès de celles-ci, excepté quant au respect des règles urbanistiques d’affectation du sol lorsqu’elles sont propriétaires. La précarité financière de certaines petites communautés n’est pas étrangère aux choix limité dont elles disposent en terme de localisation, mais elles ne seraient de toutes façons pas éligibles à un financement impliquant une multitude de critères dont l’ancienneté sur le territoire et un nombre conséquent de fidèles. Toutes les communautés membres du Synode fédéral ne sont pas demandeuses de financement, préférant maintenir leur indépendance.

Ainsi, au-delà de la question du financement des cultes, se pose celle du rôle des pouvoirs publics dans l’encadrement des lieux de culte et la gestion du vivre ensemble dans une capitale qui, sur ce plan, a subi de grandes mutations ces trente dernière années.

Barbara Menier (ULB).

 

 

 

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