mardi 2 juin 2020

Le Centre d’Action laïque a une nouvelle présidente

L’ancienne eurodéputée PS Véronique De Keyser vient d’être élue présidente du Centre d’Action laïque (CAL), la coupole fédératrice des organisations humanistes et de libre pensée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est la première femme à occuper cette fonction, et relève ce défi après d’autres personnalités fortes telles que Pierre Galand ou Henri Bartholomeeusen. Psychologue, professeur émérite de l’Université de Liège, femme engagée à gauche, elle a été député européenne durant trois législatures, de 2001 à 2014, et connaît donc bien les mondes politique, associatif et académique — ce qui lui sera assurément utile dans ses nouvelles responsabilités. Elle aura aussi à déterminer de quelle manière elle va s’inscrire dans la ligne de son prédécesseur et faire face aux défis de la laïcité aujourd’hui — c’est l’inventaire de ces défis qui est développé ci-dessous.

D’emblée, au lendemain de son élection, Véronique De Keyser a affiché sa volonté de développer l’action laïque sur trois axes. Le premier sera celui de l’action sociale, en tirant les leçons de la crise du coronavirus que nous traversons, et en mettant en avant la dimension éthique de la reconstruction de nos sociétés, de nos systèmes de santé et de nos économies. Cette crise a également montré, plus que jamais, le rôle des scientifiques face à la rupture sanitaire et la nécessité de faire le partage entre le vrai et le faux, entre connaissances fiables et opinions. Son deuxième axe sera donc celui de l’insistance sur le rôle de la science et des savoirs dans nos sociétés fragmentées et livrées à la querelle des informations.

Enfin, la crise du COVID-19 a été un révélateur des failles de nos démocraties et nous amène à poser la question de savoir quel monde nous voulons construire. Le troisième axe de Véronique De Keyser sera dès lors celui la réflexion sur un redémarrage économique et social qui ne pourra faire l’économie des leçons à tirer de ce qu’il s’est passé. La laïcité sera aux yeux de la nouvelle présidente la réponse universaliste pour un monde à reconstruire, face au déni des droits humains qui émerge de plus en plus dans des démocraties illibérales ou en perte de crédibilité, le socle humaniste indispensable face à un repli identitaire, populiste et nationaliste fondé sur les peurs que l’état de nos sociétés entretient.

Véronique De Keyser arrive à un moment particulier de l’histoire du mouvement laïque, puisque outre son président sortant, Henri Bartholomeeusen, qui depuis près de six ans en assurait la direction, le secrétaire général du CAL, Jean De Brueker, quitte également ses fonctions pour partir à la retraite. Durant le mandat précédent, le Centre d’Action laïque a soigné sa communication et développé de nombreux chantiers, dans le domaine de la défense des valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, dans la défense des migrants, dans la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes, dans la lutte contre la pauvreté, la paupérisation et la marginalisation sociale, dans l’enseignement et en particulier l’enseignement de la philosophie et du civisme démocratique à l’école publique.

Fidèle aux traditions d’un mouvement laïque qui en appelle depuis cinq décennies à favoriser l’émergence d’une société plus juste, plus progressiste et plus fraternelle, c’est en matière de choix éthiques et de politiques de l’intime que le Centre d’Action laïque a aussi mis le curseur, en militant pour le choix de mourir dans la dignité et pour une dépénalisation pleine et entière de l’interruption volontaire de grossesse. Le bilan est donc celui d’une insistance sur le principe d’une solidarité active, dans les domaines politique, social, éthique et climatique, et d’un combat pour assurer l’autonomie de la personne dans ses choix de vie.

Quant à la question de la laïcité proprement dite, le Centre d’Action laïque a veillé à ce que des parlementaires portent la reconnaissance de ce principe au cœur de la Constitution, par son inscription dans un préambule constitutionnel toujours en débat en 2020. Il a au sein de ses propres instances veillé à clarifier sa définition de la laïcité, comme un principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits de l’homme sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique, dégagé de toute ingérence confessionnelle. Enfin, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, il a lancé un appel à l’adresse des autorités de toutes les démocraties, mais avant tout à l’intention des pouvoirs publics en Belgique, de manière à les inviter à adhérer au principe de laïcité comme à une exigence démocratique primordiale — à inscrire dans les lois fondamentales des pays concernés et dans les traités internationaux.

L’enjeu pour Véronique De Keyser, très certainement, sera de reconnecter le mouvement laïque aux plus jeunes générations, des plus jeunes qui partagent manifestement les mêmes préoccupations que la laïcité dite organisée mais n’y adhèrent pas ou peu. Ici, le rôle de la transmission des valeurs et des combats historiques de la laïcité belge sera crucial. Un autre enjeu sera de construire des ponts avec les milieux confessionnels et des convergences avec les grands courants convictionnels du pays sur des thèmes communs, tels que les migrations, les questions sociales ou les questions de santé publique — là où néanmoins les clivages philosophiques peuvent aussi ré-émerger et menacer le dialogue interconvictionnel. Et il lui faudra, inlassablement, faire œuvre de pédagogie afin de d’opérer la démonstration, aux plus jeunes en particulier, que la laïcité ne serait ni ringarde ni exclusive, et que les crispations qu’elle suscite parfois sont injustifiées.

En la matière, son prédécesseur a balisé le terrain déjà. C’est en effet sous l’impulsion de son président sortant que le Centre d’Action laïque s’est attelé à une refondation, laquelle s’est matérialisée en 2016 par une nouvelle définition de ses objectifs. Face à des mésusages fréquents du terme laïcité et sa polysémie ambiguë, face à la perspective d’une polarisation stérile entre laïcité et religions, face à des interprétations variées qui vidaient la laïcité de son sens — entre laïcité ouverte, laïcité plurielle, laïcité inclusive ou exclusive… —, face surtout à une définition adoptée en 1999 qui faisait le partage entre une conception politique et une conception philosophique de la laïcité, le Centre d’Action laïque est en 2016 revenu, en le rajeunissant, à ce qui était le propos des fondateurs du mouvement, en 1969.

Plutôt que circonscrire l’humanisme qu’il porte en étendard à une communauté non confessionnelle étroite, plutôt que réduire son combat à la séparation des Églises et de l’État, le Centre d’Action laïque a fait le choix d’une nouvelle définition qui désormais se décline plus clairement et en surplomb de la variété des actions qu’il peut mener. Il est vrai que cette définition peut se comprendre comme moins engageante, plus ample et moins combative. Dans le même temps, le mouvement laïque considère que son orientation et sa coloration sont apportées par ses engagements et ses combats plutôt que par des statuts trop particularistes, et qu’il convenait dès lors de séparer le principe de l’action.

Voici ce que propose donc depuis 2016 l’article 4 de ses statuts : « Le CAL a pour but de défendre et de promouvoir la laïcité. La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démocratique dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen ».

La laïcité que défend le Centre d’Action laïque n’est donc plus d’une part politique, d’autre part philosophique, mais à la fois politique et philosophique, à la fois politique et humaniste, vectrice de l’émancipation et de l’égalité. Ce faisant, la laïcité belge francophone entend être plus ancrée dans son siècle et sortir de l’ornière d’un anticléricalisme désuet — un anticléricalisme que la sécularisation de la société et l’évolution manifeste de l’Église et surtout du monde catholique après Vatican II ont rendu quelque peu anachronique. Dans le même temps, elle veut continuer à défendre l’idée forte que le progrès vient d’une émancipation des individus par l’apprentissage de la liberté, s’appuyant sur le principe du libre examen et du développement d’un savoir critique. Elle entend aussi se départir de l’image d’une organisation qui défendrait les seuls intérêts d’une communauté parmi d’autres, fût-elle non confessionnelle et libre — l’ambiguïté demeure pourtant, puisque c’est bien au nom de la dite communauté philosophique non confessionnelle que le mouvement laïque a obtenu d’être financé par les pouvoirs publics au même titre que les six cultes reconnus en Belgique.

Parmi les combats essentiels que le Centre d’Action a menés ces dernières années, il y a eu celui qui a abouti à la mise sur pied d’une heure obligatoire d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté dans les établissements de l’enseignement officiel en Belgique francophone, tant au niveau primaire que secondaire. Un objectif qui a participé de l’intégration d’un cours de philosophie qui jusque-là n’existait pas au programme, qui a à vrai dire participé également d’un processus d’érosion des cours de religion à l’école publique — mais a aussi eu pour conséquence de saper la légitimité du cours de morale non confessionnelle, suscitant une fronde des professeurs de morale à l’égard du Centre d’Action laïque.

Il n’est pas indifférent que la nouvelle présidente soit une progressiste, alors que le défi est de déplacer le curseur et de faire en sorte que la gauche se réapproprie la laïcité, là où pour des motifs compassionnels elle a depuis une vingtaine d’années plutôt pris le parti de défendre la diversité culturelle ou le respect des croyances et de se départir de l’universalisme abstrait que véhicule le mouvement laïque. Il s’agira pour Véronique De Keyser de remettre le mot laïcité au cœur de l’agenda politique, là où il a pour l’essentiel disparu. Chose difficile pourtant dans un contexte qui certes a évolué au lendemain des attentats de 2014, 2015 et 2016, contexte qui n’est plus celui d’une aspiration débridée à un multiculturalisme qui ferait la part belle à la diversité et au relativisme culturel, mais un contexte pourtant où la place de l’islam en milieu urbain, les interrogations nouvelles sur le partage entre le public et le privé, la mise en cause de droits que l’on croyait acquis... tout cela oblige la laïcité à se repositionner dans un rapport de force mouvant et qui ne lui est pas toujours vraiment favorable.

Jean-Philippe Schreiber (Université libre de Bruxelles).

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