mercredi 27 février 2013

Le jour où le Pape a démissionné...

Célestin V est l'un des rares papes de l'histoire de l'Eglise, à la fin du XIIIe siècle, à avoir volontairement démissionné de sa charge, comme il a été rappelé maintes fois lors de l'abandon récent de ses fonctions par le pape Benoît XVI. A l'époque où son prédécesseur Jean-Paul II commençait à manifester des signes de faiblesse, suscitant nombre de commentaires relatifs à une éventuelle résignation, l'historienne Anne Morelli (Centre interdisciplinaire d'Etude des Religions et de la Laïcité, ULB) rappelait déjà une anecdote bien plus intéressante qu'il n'y paraîtrait à première vue...

On a souvent évoqué ces derniers mois, à propos de la possibilité de voir Jean-Paul II démissionner pour raison de santé, le dernier cas connu dans l'histoire de l'Eglise où un pape a volontairement démissionné. Il ne s'agissait évidemment pas des excommunications réciproques que se lançaient les deux ou trois papes simultanés du grand schisme d'Occident (1378-1418) depuis Avignon, Rome et Pise, mais bien d'un acte par lequel un pape, jouissant de toutes ses facultés mentales, avait abandonné la plus haute charge de l'Eglise, créant ainsi un précédent que ne peut ignorer le droit canon.

Le bref pontificat de Célestin V, puisque c'est de lui qu'il s'agit, s'inscrit dans une période troublée de l'histoire de l'Eglise. Son prédécesseur, Nicolas IV, était mort à Rome le 4 avril 1292. Très logiquement, à la suite de sa mort, le collège des cardinaux s'était réuni en conclave pour désigner son successeur, mais avait dû interrompre ses réunions notamment parce qu'une épidémie de peste frappait Rome. Ce n'est que le 18 octobre 1293 que les cardinaux se retrouvèrent à Pérouse, dont le climat était plus sain. Mais la vacance du trône pontifical accentua les problèmes sociaux et politiques, des désordres éclatèrent et les cardinaux se divisèrent fortement entre les partisans des Orsini et ceux des Colonna. Après 27 mois de vacance du trône pontifical, le conclave élit finalement, le 5 juillet 1294, à l'unanimité, un moine bénédictin qui ne s'était pas déclaré candidat.

Pietro Angelari, dit aussi Pietro de Morrone (1215-1296), est un rigoriste de tendance érémitique et spirituelle, persuadé que l'Eglise se doit de retourner à la pauvreté évangélique. Il a vécu cinq ans dans une grotte du contrefort de la Maiella dans les Abruzzes. Le saint homme a fui sa popularité croissante et s'est retiré dans l'ermitage de Sant'Onofrio, quand on vient lui apprendre son élection comme pape. Il choisit de se faire appeler Célestin V et descend de son ermitage.

Octogénaire, il est couronné pape à L'Aquila, à la basilique Santa Maria di Collemaggio à la fin du mois d'août 1294. Il rejoint la cour du Roi à Naples, mais il semble que son court pontificat l'ait confronté à une multitude de problèmes politiques, financiers, linguistiques, mondains, militaires, administratifs qu'il n'avait nullement envie d'aborder, face auxquels il était absolument dépourvu et qui ne lui semblaient nullement essentiels à résoudre pour poursuivre les voies de l'évangile.

Probablement bouc émissaire des rivalités politiques qui se poursuivaient entre le camp des Colonna et des Orsini, c'est son successeur, Benedetto Caetani, futur Boniface VIII, qui aurait préparé son abdication. Après avoir promulgué une bulle relative à l'abdication pontificale et exposé les divers motifs de sa démission, le saint homme se délesta de sa tiare et s'assit par terre.

Pendant les quelques mois de son pontificat, ses fidèles s'étaient organisés et sa congrégation était devenue officiellement une branche bénédictine rigoriste : les frères de Pierre de Morrone, mieux connus sous le nom de Célestins. Le 16 mai 1295, Pier Celestino, qui – menacé – voulait fuir en Grèce, est capturé dans le Gargano, arrêté par son successeur et meurt incarcéré dans un château (assassiné selon les rumeurs, mais il avait plus de 80 ans...) le 19 mai 1296.

Il a été canonisé le 5 mai 1313 par Clément V à Avignon, sur le conseil de Philippe le Bel qui haïssait Boniface VIII. Une pièce due à un auteur catholique allemand a repris au XXe siècle la thèse de son assassinat par ce dernier. Il est dépeint pour cette raison dans l'iconographie comme un martyr, mais un bas-relief du XVIIIe siècle, à Santa Maria di Collemaggio, le représente déposant sa tiare et inspiré dans ce geste par l'Esprit Saint.

Pétrarque fit un éloge vibrant de Pier Celestino dans sa De vita solitaria. En déposant la tiare, Pier Celestino aurait éprouvé une immense joie spirituelle : il se libérait des choses terrestres pour retourner vers celles de Dieu.

L'auteur italien Ignazio Silone, qui lui a consacré une pièce de théâtre, assurait que, pendant ses recherches préparatoires dans les Abruzzes dans les années 1960, un vieux paysan lui avait demandé quelle était la « spécialité » de San Piero Celestino, quelles étaient ses compétences, pour quelles grâces et faveurs il convenait de le prier. J'essayai de lui expliquer, raconte Silone, qu'il pouvait l'aider à le sauver des tentations du pouvoir. Quand, finalement, le vieux paysan eut compris le sens de son conseil, il se mit à rire, puis dit à Silone avec gravité : "Alors San Piero Celestino n'est pas un saint pour nous, pauvres diables, mais pour les prêtres" !

Une reproduction grand format de San Piero Celestino déposant sa tiare, « le saint qui peut nous sauver de la tentation du pouvoir », ne devrait-elle pas orner non seulement les locaux du Vatican, des nonciatures et des évêchés, mais aussi les palais des monarchies et républiques et bien des sièges de partis et des syndicats ?

Anne Morelli (ULB).

Cet article a paru dans La Libre Belgique, le mardi 5 novembre 2002. Il est reproduit avec l'aimable autorisation de la Libre Belgique et de Copiepresse.

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