mardi 1 novembre 2011

Personnel ecclésiastique et droit du travail

Dans le numéro d'octobre de Pastoralia, la revue du diocèse de Malines-Bruxelles, le primat de Belgique, Mgr Léonard, a estimé que les divorcés devaient éviter les tâches qui les placeraient dans une position délicate ou difficile. Et de leur déconseiller d'enseigner la religion ou d'exercer une fonction de direction dans l'enseignement catholique.

Cette nouvelle sortie du primat de Belgique a aussitôt suscité la réaction courroucée, entre autres associations, du Collège des directeurs de l'enseignement fondamental catholique, de l'Union des fédérations des associations de parents de l'enseignement catholique (Ufapec) et du Secrétariat général de l'enseignement catholique (Segec) — ce dernier évoquant la discrimination à l'embauche.

On ne discutera pas ici la question, en droit canonique, du caractère indissoluble de l’union matrimoniale d’un homme et d’une femme, le mariage demeurant au regard du christianisme un sacrement fondamental basé sur Mathieu, 19, 6 : « L’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». En revanche, le problème soulevé par Mgr Léonard rappelle qu’au regard du droit social, l’Eglise catholique, comme les autres cultes, conserve des privilèges, parmi lesquels celui d’échapper parfois aux règles conventionnelles du travail, en vertu de le neutralité proclamée des pouvoirs publics en la matière.

En France, après plusieurs revirements de jurisprudence, la Cour de Cassation a ainsi considéré comme justifié le fait qu’un divorcé remarié soit licencié dans un établissement d’enseignement catholique, parce qu’il s’agit d’une « entreprise de tendance », dotée d’une mission éducatrice, où l’employeur est en droit de prendre en considération la moralité et la vie privée de ses employés. Le magnifique film de Ken Loach, Just a Kiss (2004), évoque cette même question dans le cas de l’Ecosse.

En Belgique, la chose est manifeste concernant les ministres du culte. N’ayant pas de contrat de travail — l’Etat ne s’immisce pas dans les affaires internes des cultes et abandonne donc le « travailleur religieux » à son employeur ecclésiastique — le ministre du culte ne relève pas du droit du travail, et n’aura par exemple pas droit au chômage en cas de révocation, ni de recours devant un Tribunal du travail. Des curés défroqués émargeront ainsi au centre public d’aide sociale plutôt que d’avoir droit à des indemnités de chômage.

La Cour de Cassation, ici aussi, a rappelé le principe de l’autonomie interne absolue de l’autorité convictionnelle en matière de mesures disciplinaires à l’égard de ses subordonnés — quand bien même tous les éléments constitutifs d’un contrat de travail seraient-ils réunis. De sorte que la protection juridique élémentaire, pourtant stipulée par la Convention européenne des droits de l’homme, ne s’applique pas aux activités des ministres du culte, même si ces activités sont assimilables à toute autre activité professionnelle.

En France aussi, il y a cette incongruité que la hiérarchie ecclésiastique échappe au droit du travail. En vertu de la neutralité qu’il s’impose, l’Etat considère qu’il ne peut qualifier la nature des liens de subordination résultant de l’organisation interne des Eglises. En conséquence, les tribunaux civils se déclarent systématiquement incompétents pour apprécier la décision d’un évêque mettant fin aux fonctions d’un prêtre ou d’un religieux ; lequel, s’il dispose certes d’une certaine protection sociale (maladie, retraite) ne bénéficiera par exemple d’aucune indemnité de licenciement s’il est révoqué.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).

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