Vendredi 19 avril 2024
samedi 5 avril 2014

Un nouvel Exécutif des Musulmans de Belgique

L’organe représentatif du culte islamique vient d’être renouvelé ; sa nouvelle composition a été présentée ce 30 mars, au terme d’un processus de sélection organisé au sein des mosquées. Alors que les élections des équipes précédentes avaient été ouvertes à tous les musulmans de Belgique et avaient reçu une large attention médiatique, cette fois le processus s’est accompli dans la discrétion. Le nouvel Exécutif sera-t-il à même de stabiliser la représentation du culte islamique et de fonctionner plus efficacement que ses prédécesseurs ?

Rappelons que le culte islamique a été reconnu, c’est-à-dire admis au financement public, en 1974. Cette décision impliquait pour l’État de reconnaître également un organe représentatif, indispensable pour mettre en œuvre le financement public. La nomination et le paiement des imams, l’organisation de l’administration, de la reconnaissance et du financement des mosquées, la nomination des professeurs de religion islamique nécessitent impérativement l’intervention d’un organe familièrement dénommé « chef de culte ».  Diverses voies furent explorées pour mettre sur pied cet organe représentatif. Après plusieurs échecs, l’idée d’organiser des élections au sein de la communauté musulmane toute entière s’est imposée à la fin des années 1990 : l’organe chef de culte devenait ainsi davantage un organe représentatif de tous les musulmans de Belgique qu’une institution chargée de la gestion du temporel du culte. Il s’inscrivait dans une volonté politique d’appuyer l’émergence d’un islam belge, dégagé de l’influence des pays étrangers (Arabie saoudite, Maroc et Turquie).

Des élections générales furent organisées à deux reprises, en décembre 1998 et en mars 2005. Tant le premier que le second Exécutif connurent de graves difficultés qui paralysèrent à différentes reprises le fonctionnement de l’institution — nous le montrions dans ORELA en janvier 2012. La reconnaissance de l’Exécutif par le ministre de la Justice, indispensable à son fonctionnement, prit fin le 31 mars 2011. La gestion des affaires courantes fut confiée à un bureau composé des président et vice-présidents de l’Exécutif sortant.

Un processus de réflexion autour d’une nouvelle voie pour la constitution d’un Exécutif fut mis en route, et accompagné par les pouvoirs publics. Deux propositions de renouvellement avaient été mises sur la table : la première, soutenue par une majorité des membres de l’ancien Exécutif dont son président, proposait d’organiser la représentation des musulmans sur base des mosquées ; celles-ci enverraient un délégué pour constituer un Conseil général des Musulmans de Belgique d’où serait issu une Assemblée générale des Musulmans de Belgique, elle-même chargée de désigner les membres du nouvel Exécutif. La seconde proposition, portée par la plate-forme Alternative démocratique des Musulmans de Belgique et par la vice-présidente de l’ancien Exécutif Isabelle Praile, maintenait le principe d’élections générales, où les électeurs et les candidats seraient regroupés par collèges  (marocain, turc, convertis, minorités, groupes émergeants) afin de garantir  la représentation équilibrée de tous les groupes. 

La ministre de la Justice Annemie Turtelboom (Open Vld) a pris la décision de soutenir la première proposition et a accordé à une nouvelle association sans but lucratif (asbl) de renouvellement de l’organe représentatif du culte musulman de Belgique, créée en juin 2013, une subvention de 100.000 euros (arrêté royal du 21 décembre 2013). Les membres fondateurs de l’asbl sont Salah Echallaoui, inspecteur de religion islamique et président de l’asbl Rassemblement des Musulmans de Belgique,  l’ancien président de l’Exécutif Coskun Beyazgül, porte-parole de la Diyanet de Belgique, le président de l’Exécutif sortant, Semsettin Ugurlu, Tahar Chahbi (président de l’Unie van moskeeën en islamitische vereniging van Limburg), et Rashidi Makanga Abibu (directeur de l’Association islamique africaine de Belgique). Il apparaît que Salah Echallaoui et Coskun Beyazgül ont été les acteurs principaux du processus de reconstitution de l’Exécutif.

La désignation des nouveaux membres de l’Exécutif s’est déroulée en trois temps. Dans un premier temps, 284 mosquées ont présenté un délégué. Ces délégués ont ensuite constitué une assemblée de 60 membres, qui ont eux-mêmes élus 15 d’entre eux membres du nouvel Exécutif, le 8 mars 2014. Deux membres supplémentaires ont été cooptés. L’Exécutif a désormais à sa tête de nouveaux venus : Nordine Smaïli, professeur de religion islamique à Verviers, francophone, en est le président.  Mohamed Achaibi,  à la tête de l’Union des mosquées et centres islamiques de Flandre occidentale et de Flandre orientale, en est le vice-président, néerlandophone. Certaines sources évoquent à cet égard un résultat surprenant du vote des délégués des mosquées, d’autres noms ayant été attendus à la tête de l’Exécutif. La nouvelle équipe a officiellement été présentée le 30 mars ; on attend la publication de l’arrêté royal de reconnaissance, annoncé par la ministre de la Justice.

Des critiques ont déjà été formulées, mettant en cause, une fois encore, la non-représentativité d’un Exécutif où les minorités et les femmes sont peu présentes, et où les représentants des États du Maroc et de la Turquie conserveraient une grande influence. Le déroulement du processus de sélection des membres de l’Exécutif, via un vote à main levée, a également été épinglé comme susceptible de nuire à l’indépendance du choix. Enfin, de nombreux musulmans ont exprimé leur surprise face à ce renouvellement de l’Exécutif dont ils n’avaient pas connaissance avant l’annonce de sa mise en place.

En tout état de cause, cette réorganisation de l’Exécutif sur base des mosquées, analogue aux modes de constitution d’autres organes chefs de culte, tels le Consistoire central israélite et le CACPE protestant, semble annoncer un recentrage des missions essentielles de l’organe chef de culte : la reconnaissance des mosquées et la présentation des imams, soit la gestion du temporel du culte, et le choix des professeurs et inspecteurs de religion islamique ainsi que l’élaboration du programme du cours. C’est sans doute dans ce second rôle, qui prend une importance croissante vu l’augmentation rapide du nombre d’élèves qui suivent le cours de religion islamique, que l’action de l’Exécutif sera suivie avec le plus d’attention ; les observateurs resteront particulièrement attentifs aux indications favorables à la promotion d’un islam moderne ancré dans la démocratie.

Caroline Sägesser (ULB).

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