Jeudi 19 juin 2025

Résultats de la recherche pour : Pierre Petit

mardi, 10 avril 2012 07:41

Revue de presse, 10 avril

Mali

Le mouvement islamiste Boko Haram multiplie depuis des mois les opérations meurtrières au Nigeria. Boko Haram et AQMI, qui commet des rapts d'Occidentaux dans la zone sahélo-saharienne depuis plusieurs années, ont noué des contacts et, selon certaines sources, ont même entamé une coopération qui fait craindre aux Etats de la région et aux pays occidentaux une jonction entre les deux mouvements — Des islamistes de la secte Boko Haram présents au nord du Mali (AFP, Le Monde)

Nigeria

Trente-six personnes ont été tuées et une trentaine blessées le dimanche de Pâques par un attentat à la bombe près d'une église de Kaduna, dans le nord du Nigeria — Un attentat fait trente-six morts près d'une église au Nigeria (AFPLa Croix)

Un attentat à la bombe le dimanche de Pâques près d’une église dans la ville de Kaduna, dans le nord du Nigeria, a fait au moins vingt morts, selon les services de secours — Nigeria : un attentat à la bombe près d’une église fait au moins 20 morts (Belga, Le Soir)

Publié dans ACTUALITÉS
vendredi, 06 avril 2012 09:35

Revue de presse, 6 avril

Philippines

"Comme chaque année, plusieurs catholiques aux Philippines ont été cloués sur des croix et d'autres se sont flagellés, une dévotion poussée à l'extrême dans ce pays lors des traditionnelles cérémonies du Vendredi saint" -(AFP, Le Point)

Tunisie

"Des blogueurs tunisiens ont récemment révélé que deux jeunes diplômés au chômage ont été condamnés à la fin de mars à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur Facebook des caricatures de Mahomet. Il s'agit d'une peine sans précédent dans les affaires d'atteinte à la morale et au sacré, qui se multiplient en Tunisie depuis la révolution et l'arrivée au pouvoir des islamistes" - Sept ans de prison pour avoir posté des caricatures du prophète sur Facebook (AFP, Le Monde)

"On est en train de bâtir une Tunisie pour tous les Tunisiens. Il faut donc parvenir à une formulation qui convienne à tout le monde."Mabrouka M’Barek fait partie des 132 députés (sur les 217 que compte l’Assemblée nationale constituante) chargés de déblayer le terrain de la nouvelle Constitution tunisienne" - La Tunisie à petits pas vers la démocratie (Vincent Braun, La Libre Belgique)

Publié dans ACTUALITÉS
jeudi, 05 avril 2012 10:10

Revue de presse, 5 avril

Mali

"Tombouctou, aux portes du désert, est une cité historique sur le plan culturel, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Ses mosquées, son architecture et surtout ses manuscrits anciens témoignant de l'âge d'or de l'université de Sankoré préoccupent l'Unesco, qui redoute pillages et trafics" -(Valérie Marin La Meslée, Le Point)

Egypte

"Forts de leurs succès électoraux, les islamistes égyptiens, longtemps prudents, se montrent de plus en plus assurés face aux libéraux et à l'armée, comme en témoigne leur décision de présenter un candidat à la présidentielle. L'analyse de Bernard Rougier, directeur du Cedej, au Caire" - Égypte: "les Frères musulmans ne veulent pas partager le pouvoir" (Catherine Gouëset, Le Vif.be)

Publié dans ACTUALITÉS
samedi, 31 mars 2012 08:01

Revue de presse hebdo, 31 mars

Cuba

La pérégrination récente à travers l’île de la Vierge de la Charité du cuivre, la patronne de Cuba, illustre la nouvelle approche de la religion par les autorités cubaines — Cuba : entre l’Eglise et l’Etat, des relations ambiguës (Geneviève Delrue, RFI)

Chine

La Chine réfute un rapport américain sur la liberté religieuse (Radio Chine Internationale)

Publié dans ACTUALITÉS
vendredi, 30 mars 2012 09:41

Revue de presse, 30 mars

Mali

"Voilà l'un des hommes les plus occupés de Bamako. L'imam Mahamoud Dicko est le président du Haut conseil islamique du Mali (HCI) et il cherche des solutions pour éviter que le pays ne sombre dans la violence" - Un responsable religieux au secours du Mali (Jean-Philippe Rémy, Blog Africa Nova, Le Monde)

Philippines

"A Philippine Catholic school is withholding the diplomas of six high school boys who uploaded Facebook photos that appear to show them kissing each other, an education official said on Friday" - Philippine Catholic school punishes boys over Facebook photos (AP, The Guardian)

Publié dans ACTUALITÉS
jeudi, 29 mars 2012 10:18

Revue de presse, 29 mars

Cuba

"Fidel Castro a eu « une conversation très animée » avec le pape Benoît XVI, qu’il a notamment interrogé sur le sens des changements liturgiques à la messe, a indiqué le porte-parole du Saint-Siège Federico Lombardi" - Fidel Castro et Benoît XVI ont eu un « échange intense » mais « cordial » (AFP, La Libre Belgique)

"Au dernier jour de sa visite à Cuba, le Pape s'est entretenu pendant trente minutes avec l'ancien président. Au menu des discussions : la réforme liturgique, le rôle du Pape et d'autres questions culturelles" - Que se sont dit Benoît XVI et Fidel Castro ? (Jean-Marie Guénois, Le Figaro)

Publié dans ACTUALITÉS

L’empressement de Vichy

La législation antijuive du régime instauré en France à partir de juin 1940 par Philippe Pétain, dit « régime de Vichy », décline une panoplie de discriminations, égrenées au long des années 1940 et 1941. En effet, le nouveau régime qui naît au lendemain de l’effondrement du pays face à l’agression nazie hisse l’antisémitisme au niveau d’une idéologie officielle. L’antisémitisme n’est plus simplement dû à des individus, des groupes privés ou des partis. Il devient le fait de l’État. La haine des Juifs ne reste pas que verbale. Sa traduction dans les faits sera rapide et dramatique : les lois sur le statut des Juifs, la création du Commissariat général aux Questions juives, la saisie des biens juifs et l’aryanisation des entreprises, les arrestations et l’internement de Juifs dans des camps de concentration, d’internement ou de transit, puis la déportation vers l’Est en forment les différents aspects.

Exclus de la citoyenneté

Sitôt entré en fonction, le gouvernement Pétain s’engage dans une politique de restriction des droits des Juifs, sans que les Allemands n’aient exprimé la moindre demande. Dès juillet 1940, Raphaël Alibert, le ministre de la Justice, met sur pied une commission de révision des 500.000 naturalisations prononcées depuis 1927. 15.000 personnes, dont 40 % de Juifs, perdent du jour au lendemain leur qualité de citoyen français. Fin septembre 1940, on apprend que les Juifs seront recensés et que les magasins leur appartenant doivent porter un écriteau « Juif ».

Le 3 octobre paraît le premier « statut des Juifs ». Les citoyens juifs français sont exclus de la fonction publique, de l’armée, de l’enseignement, de la presse, de la radio et du cinéma. Les Juifs « en surnombre » sont exclus des professions libérales. Le lendemain, les préfets reçoivent l’autorisation d’interner les étrangers de race juive dans des camps spéciaux ou de les assigner à résidence. Le 7 octobre, le Décret Crémieux (qui date de 1871) est abrogé et 100.000 Juifs d’Algérie perdent du coup la nationalité française. Le 18 octobre commence en zone occupée l’“aryanisation” des entreprises : les Juifs sont sommés de céder leurs droits sur les entreprises dont ils sont propriétaires à des « Aryens », censés être, eux, racialement purs.

Les Juifs, « responsables de la misère des Français »

Le 29 mars 1941 est créé le Commissariat général aux Questions juives (CGQJ), dont le premier directeur est Xavier Vallat. Jugé trop mou par les Allemands, il sera remplacé en février 1942 par Louis Darquier de Pellepoix, un antisémite rabique, qui explique : « Les Français doivent se rendre compte que le principal responsable de leurs misères actuelles est le Juif ». En mai 1941 ont lieu en zone occupée les premières rafles de Juifs étrangers. 3.700 d’entre eux se retrouvent internés à Pithiviers et Beaune-la-Rolande sous administration française.

Le 2 juin 1941 est adopté le deuxième « statut des Juifs », plus restrictif encore que le premier. La définition de la judéité est durcie, la liste des interdits professionnels s’allonge, un numerus clausus réduit la proportion de Juifs à 3% à l’Université et à 2% dans les professions libérales. Les Juifs sont obligés de se faire recenser en zone libre. Le 21 juillet, c’est l’aryanisation des entreprises en zone libre. En août, en zone occupée, 3.200 Juifs étrangers et 1.000 Juifs français sont internés dans divers camps (dont Drancy). En décembre, 740 Juifs de profession libérale et intellectuelle sont internés à Compiègne.

Déportation

Janvier 1942 marque un tournant décisif dans la politique allemande à l’égard des Juifs à l’échelle européenne. À la conférence de Wannsee, dans la banlieue de Berlin, les officiels nazis au plus haut niveau décident de la mise en œuvre de la « solution définitive de la question juive » (Endlösung der Judenfrage). De la politique de ségrégation et d’expulsion, on passe à une logique d’extermination. Les Juifs – hommes, femmes et enfants – sont voués à la destruction, non pour ce qu’ils auraient fait, mais pour l’unique motif qu’ils sont. Qu’ils sont juifs.

Le 27 mars 1942, la Shoah a commencé en France : le premier convoi de déportation quitte Compiègne à destination d’Auschwitz, avec à son bord 1.112 personnes, dont 19 survivront. Officiellement, il s’agit de les regrouper quelque part en Pologne. C’est le début d’une atroce série qui en comprendra près de 80. Au terme, plus de 42.000 personnes auront été déportées, dont 2.190 seulement survivront.

À partir du 7 juin le port de l’étoile jaune est obligatoire. Le 2 juillet un accord est conclu entre René Bousquet, chef de la police française, et Karl-Albrecht Oberg, représentant en France de la police allemande en présence de Reinhard Heydrich, adjoint de Heinrich Himmler : les polices française et allemande collaboreront étroitement, au moins jusqu’à fin 1942. L’administration fait preuve d’un zèle tout particulier dans l’antisémitisme à cette époque.

La rafle du Vel’ d’Hiv’

Les 16 et 17 juillet a lieu la Rafle du Vel’ d’Hiv’ : 12.884 juifs « apatrides » (3031 hommes, 5.802 femmes et 4.051 enfants) sont arrêtés. L’armée allemande envahit la zone libre.

Ce n’est qu’à l’été 1942 que l’opinion s’émeut vraiment du sort réservé aux Juifs : la protestation publique la plus connue est celle du cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, dont la lettre est lue en chaire le 23 août. Pierre Laval, le chef du gouvernement, explique lui que « la victoire de l’Allemagne empêchera notre civilisation de sombrer dans le communisme. La victoire des Américains serait le triomphe des Juifs et du communisme. Quant à moi, j’ai choisi... »

Entre les 26 et le 28 août, une série de rafles en zone libre débouche sur la déportation de 7.000 personnes. Toute l’année 1943 est émaillée de rafles et d’arrestations. En février, rafle à Lyon dans les locaux de l’UGIF. En avril, rafles à Nîmes et à Avignon. En septembre, rafles à Nices et dans l’arrière-pays niçois... L’ultime convoi de la mort ne partira qu’en août 1944.

Un meurtre à l’échelle industrielle

C’est au moment où la tournure que prend militairement la guerre nécessiterait que tout l’effort allemand soit orienté vers la victoire que des moyens considérables sont affectés à la réalisation de la tâche idéologique centrale du régime : l’extermination des Juifs. Elle sera systématiquement poursuivie. Des Einsatzgruppen exécutent d’abord méthodiquement des villages juifs entiers dans les pays baltes, faisant des milliers de morts. Trop « voyante », trop lente, trop éprouvante pour les nerfs des bourreaux, la méthode est finalement abandonnée. En septembre 1941 ont lieu les premiers essais d’exécution par le gaz à Auschwitz. C’est finalement ce modus operandi qui sera retenu : enfermés dans des chambres à gaz, des millions de Juifs mourront étouffés par l’action du Zyklon B, un insecticide industriel…

Pour connaître cette fin, ils auront été amenés par trains entiers de toute l’Europe jusqu’en Pologne, où une trame serrée de camps de concentration, de camps de travail (c’est-à-dire d’exténuation par le travail) et de centres de mise à mort a été tissée. Chełmno, Sobibór, Treblinka, Auschwitz (Oświęcim en polonais) ne sont que quelques noms dans la longue liste des lieux de l’horreur. Pour la seule Belgique, ce sont, entre le 11 août 1942 et le 31 juillet 1944, 26 convois qui quittent la caserne Dossin à Malines à destination d’Auschwitz : sur les 24.908 déportés juifs, 23.712 ne reviendront pas.

Shoah

Le chiffre total des victimes du génocide des Juifs oscille selon les spécialistes entre 5 millions et demi et 6 millions d’êtres humains. Le mot de « Shoah » (« catastrophe » en hébreu) est préférable, pour désigner cette orgie de haine païenne servie par les moyens d’un État industriel avancé, à celui d’ « Holocauste », couramment utilisé en anglais, mais qui présente des connotations religieuses et sacrificielles difficilement acceptables pur’ d’aucuns.

À l’analyse, il s’avère donc que le projet nazi pourrait bien relever d’une logique autre qu’« antisémite », si l’on accepte qu’il y a davantage qu’une différence de degré entre l’exclusion et l’extermination programmée.

Jacques Déom (ULB).

 

Publié dans L'antisémitisme

Lorsque les Juifs sont plongés, comme l’ensemble de l’Orient, dans la civilisation grecque qu’exporte la conquête d’Alexandre le Grand (qui règne entre 336 et 323 avant J.-C.), ils se retrouvent confrontés à des valeurs fort différentes des leurs : les Grecs vivent dans un monde qui existe de toute éternité, dont les dieux multiples (polythéisme) ne sont que des figures, où l’homme a pour vocation supérieure la raison (logos), la connaissance objective du monde et de sa place dans le monde, dont l’histoire est fondamentalement cyclique (répétitive). Si la Bible vit de la question : « Qui es-tu ? », le monde grec ne cesse de demander « qu’est-ce que… ? ». Cette civilisation dite « hellénistique », que l’impérialisme romain adopte sans complexes, est de fait « multiculturelle », universaliste, sceptique et mystique à la fois. Elle s’étend de la Grèce à l’Inde et englobe de vieux pays de civilisation comme l’Égypte, la Syrie ou l’Iran. Ses réalisations artistiques, culturelles, urbanistiques, son raffinement intellectuel sont admirés de tous.

Juifs parmi les païens

Toutes les vieilles cultures du Proche-Orient en sont marquées en profondeur. Les Juifs aussi, et sans réaction immédiate de rejet, loin de là. Il faudra une assez incompréhensible persécution du judaïsme par Antiochus IV Épiphane pour que se réveille, dans l’insurrection des Maccabées en 165 avant J.-C., le sentiment national. Renaît alors au terme d’une guerre de libération un État juif qui, après un siècle d’indépendance, finit par être « protégé » par les Romains et perdre toute autonomie politique. Par ailleurs, de très nombreux Juifs vivent hors de la Terre sainte, en « diaspora » (dispersion). Ils occupent par exemple tout un quartier d’Alexandrie (Égypte). Ce sont des commerçants actifs, de mœurs rigoureuses. Leur religion répugne à certains et en attire d’autres. La rigueur de leur morale, leur monothéisme sans concession parlent aux païens que travaillent de longue date des aspirations philosophiques. À l’inverse, des pratiques telles que la circoncision, ou encore les interdits alimentaires – qui leur rendent impossible la commensalité constitutive de la socialité antique – suscitent incompréhension et rejet, et permet à certains, à l’époque romaine, de les présenter comme des « ennemis du genre humain ».

Incompris, mais tolérés…

Le monde non juif va donc basculer entre une sympathie parfois profonde et une répulsion tout aussi certaine – notamment dans les milieux lettrés – pour ces orientaux exotiques, ces « barbares » (au sens grec du mot : ceux qui ne parlent pas grec), qui n’exclut pas l’admiration éventuelle pour leur culture. Parfois de graves rixes éclatent, pour des raisons essentiellement politiques ou de rivalité commerciale. Il est bien difficile de déterminer dans quelle mesure il convient dans tout cela de parler d’antisémitisme au sens que l’on a dit en commençant. De fait, si le monde hellénistique n’a pas été antisémite, si certains Grecs disent même leur admiration pour « la sagesse de Moïse », d’autres l’ont été, comme le fameux Apion, conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie, qui invente la légende odieuse du « meurtre rituel » d’un Grec dans le temple de Jérusalem à l’occasion des fêtes juives…

Dans son pragmatisme, Rome, avec Jules César (1er siècle avant J.-C.), reconnaîtra légalement le judaïsme comme religio licita, en voyant dans la Thora la « loi nationale » des Juifs, ce qui mettra ces derniers à l’abri de certaines exactions que l’animosité et l’incompréhension de l’opinion publique auraient volontiers tolérées. La société gréco-romaine est multiethnique, elle ne connaît pas de religion unifiée dotée d’un credo déterminé et contraignant. Si ses peuples peuvent y être allergiques l’un à l’autre, elle est fondamentalement ouverte. Ce qui explique que, dans son ensemble, elle ne connaîtra rien de comparable à la haine antijuive globale, et proprement « radicale », qui va caractériser l’Occident chrétien.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

Amorcé au XVIIe siècle (avec, par exemple, les grandes figures d’Isaac Newton en physique, ou de René Descartes en philosophie), un mouvement de fond va modifier radicalement en deux siècles les fondements du monde occidental. Ce que l’on a appelé en France « les Lumières » (avec Voltaire, Denis Diderot, Jean-Jacques Rousseau…) et en Allemagne l’« Aufklärung », est un mouvement intellectuel caractérisé par la volonté de penser par soi-même, indépendamment des autorités traditionnelles, même et surtout si elles se prétendent fondées sur une Révélation. Le mot d’ordre est : « Sapere aude ! » (Ose savoir !). Tout homme se voit appelé à devenir adulte, c’est-à-dire à s’émanciper des tutelles héritées du passé et à assumer la responsabilité de ce qu’il pense et fait. Rationalisme donc, et individualisme.

Un monde bouleversé

Cette révolution dans la manière de penser bouleverse l’image que l’on a du monde matériel : la physique mathématique de Newton remplace la physique qualitative héritée d’Aristote, la conception biblique de la création perd sa pertinence scientifique, la Terre n’est plus le centre de l’univers…). Plus tard, Charles Darwin (1809-1882) formule la théorie de l’évolution par la sélection du plus apte, où le plus complexe naît du plus simple : l’Homme n’est donc plus le fleuron de la création, voulu par Dieu, but et justification du monde ; il descend, au terme d’une série d’accidents génétiques, des formes les plus frustes de la vie et, ultimement, constitue une branche, la plus jeune et la plus complexe, de la famille des grands anthropoïdes, au sein de laquelle il cousine avec les singes...

Ces deux « blessures narcissiques » (comme dira Sigmund Freud) vont de pair avec un ébranlement profond de l’ordre sociopolitique : la Révolution française (1789) abolit la monarchie de droit divin (où le roi occupe le trône « par la grâce de Dieu ») et l’Ordre social traditionnel né au Moyen Âge et instaure l’égalité de tous devant la Loi. Celle que le peuple se donne souverainement à lui-même : la démocratie est le régime où le peuple, « éclairé » par la Raison, choisit librement de vivre sous la loi qu’il se donne (régime d’« autonomie », qui abolit l’« hétéronomie » qui prévalait sous l’Ancien Régime).

Enfin, on ne perdra pas de vue le substrat économique de ces processus : le développement fulgurant du capitalisme qui, de pair avec un progrès technologique accéléré, engendre la révolution industrielle du XIXe siècle. L’Occident – fasciné par le « Progrès » – domine décidément la planète, au prix d’un coût humain considérable : luttes sociales acharnées à l’intérieur, colonialisme à l’extérieur.

Les Juifs deviennent citoyens

Dans ce contexte, la situation des Juifs se modifie en profondeur. Le philosophe Moïse Mendelssohn (1729-1786) est le premier Juif à s’affranchir des limites du monde traditionnel. À sa suite, ils seront nombreux à apprendre l’allemand (et le français, et l’anglais, et le russe…), à s’habiller à l’occidentale, à absorber avec enthousiasme la science et la culture européenne (où ils vont d’ailleurs souvent briller). Le dynamisme économique et social des Juifs est considérable.

Le climat universaliste du temps prend une forme radicale avec la Révolution française, qui abolit les anciennes références identitaires, y compris pour les Juifs, tout en permettant à ceux-ci de maintenir leur spécificité : ils sont désormais des citoyens de plein droit (des hommes libres et responsables parmi leurs semblables) « de confession mosaïque » (c’est-à-dire qui, à titre personnel, ont le droit d’adhérer s’ils le souhaitent à la foi de leurs pères, et dans les formes qui leur agréent). Reconnus dans leur humanité, ils vont participer avec passion à l’aventure commune du monde occidental. Le système consistorial assure leur représentation devant l’État en tant que communauté religieuse, constituée sur base de la libre adhésion. Leur statut sera envié par bon nombre des Juifs qui continuent à vivre dans des pays (Russie tsariste, Pologne…) restés dominés par les structures d’Ancien Régime.

Naissance de la « question juive »

C’est une authentique libération – et célébrée comme telle, dans des termes exaltés au ton quasi messianique – que vivent par là les Juifs d’Occident. Elle implique la réduction drastique – il est vrai engagée de longue date – de l’autonomie des communautés juives et donc du domaine d’application de l’orthopraxie. La réduction définitive et de principe du substrat institutionnel millénaire de l’existence juive à une réalité purement « religieuse » (confessionnelle) sans pouvoir de coercition aucun confronte désormais chaque Juif à la nécessité de définir à nouveaux frais sa judéité. Une nouvelle conscience juive naît et, avec elle, la « question juive ». L’évidence identitaire traditionnelle fait place au questionnement. La question de savoir « qui est juif » se pose désormais de manière permanente. Divers mouvements d’aggiornamento religieux se développent, modulant des réponses. Et la possibilité se fait jour de vivre et de penser sa judéité sans relation immédiate à la tradition religieuse.

Les Juifs, causes du chaos

La haine des Juifs va, dans cet environnement, changer de structure. Non qu’on oublie le triste héritage médiéval. Bien au contraire. Les Églises (surtout catholique et orthodoxe), supports idéologiques de l’Ancien Régime menacé ou aboli, irréductiblement opposées à la modernité qu’elles tiennent pour athée, matérialiste et viscéralement antichrétienne, ne manquent jamais de réactiver les anciens stéréotypes. D’autant plus facilement que les Juifs, bénéficiaires de la Liberté moderne et qui ne se font pas faute de l’exercer avec brio, ne peuvent à ses yeux qu’avoir été, sinon la cause, du moins l’une des causes majeures de l’effondrement de l’Ordre voulu par Dieu. L’« arrogance » des Juifs, déicides et partout présents dans la société moderne matérialiste qui veut la mort de l’Église, est intolérable. Ce type d’argument, parmi d’autres, sera repris par tous les mouvements réactionnaires (opposés aux valeurs de la modernité). L’appartenance fréquente de Juifs socialement en vue à des sociétés de pensée telles que la franc-maçonnerie, elle-même fantasmée et en butte aux attaques de l’Église et de la Réaction, renforce encore leur image de dangereux trublions.

Mythe des racines…

Mais la nostalgie de l’Ordre ancien sacralisé n’est pas la seule inspiratrice de la détestation des Juifs. En réaction à l’universalisme « abstrait » des Lumières (aux yeux duquel n’existent que des « individus » libres de s’autodéterminer), l’Europe va connaître au XIXe siècle une montée sans précédent de nationalisme. Chaque nation se trouve (s’invente) des racines historiques, une originalité irréductible (« éternelle » et bien sûr toujours menacée), une « mission » historique (« messianisme politique ») et se fabrique les mythes qui l’illustrent. Que l’on découvre ces racines dans le Moyen Âge très chrétien et la haine du Juif prend une allure théologico-politique traditionnelle (permettant l’alliance avec l’Église). Mais il est loisible de remonter plus haut. L’Allemagne par exemple sera fascinée par son passé préchrétien (les tribus germaniques). Face à cette exaltation de l’archaïque (« néo-paganisme »), le Juif est non seulement l’incarnation du « moderne » – universaliste, cosmopolite, déraciné –, mais surtout du monothéiste irréductiblement opposé à la déification de la Nature, et à ce double titre responsable d’avoir détruit le paradis de la pureté primitive, ruiné la spontanéité de l’instinct, de l’appartenance immédiate et non réfléchie au groupe au profit du purement rationnel, de l’abstrait. Le Juif tue tout ce qu’il touche, parce qu’il est désincarné…

… et angoisse de la Révolution

En sens inverse, les mouvements révolutionnaires (socialistes, de gauche), qui dénoncent dans l’« égoïsme sacré » que constitue le nationalisme un symptôme (et une tactique) du capitalisme destructeur d’une humanité appelée à la réconciliation ultime dans la justice, sont tentés de voir dans les Juifs le type même du ploutocrate, du capitaliste cynique et exploiteur. Tous les Juifs ne sont-ils pas banquiers ?

Mais il y a aussi des Juifs révolutionnaires ! Ils sont même nombreux parmi les fondateurs, idéologues et militants des partis voués à renverser l’ordre établi. Karl Marx est petit-fils de rabbin… Ils interprètent l’anomalie de la situation socio-économique des Juifs dans le cadre de la « lutte des classes » et attendent sa normalisation de la réorganisation globale de la société au terme du processus révolutionnaire. « À droite », on accusera donc « les Juifs » d’être les agents de la subversion, de chercher à ruiner l’ordre bourgeois et ses valeurs. Tous les Juifs ne sont-ils pas communistes ?

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

Fondés par des Européens fuyant l’intolérance politico-religieuse de l’Europe, les États-Unis d’Amérique n’échappent pas pour autant au lourd héritage de la haine des Juifs. Non que celle-ci ait jamais présenté la même envergure ou le même caractère oppressant que sur le vieux continent. Mais l’immigration juive en provenance de la Zone de Résidence de l’empire tsariste se fait massive après les pogroms de 1881.

Les tristes échos du Vieux Monde

La mobilité sociale du groupe juif, remarquable dans un pays neuf où la compétition est extrêmement vive, réveille les mouvements populistes, qui surestiment par exemple de manière fantasmatique l’importance de la banque juive, censée accaparer l’économie de l’Union. Dès le début du XXe siècle, les Juifs connaissent des discriminations à l’emploi, se voient interdire l’accès à certaines zones résidentielles et à certains clubs et organisations. Si bien que l’Anti-Defamation League voit le jour en 1913 pour combattre cette montée de haine.

Elle vient à son heure :

-     - L’identification des Juifs aux bolcheviques qui renversent en 1917 le régime tsariste, la montée dans les années 20 de l’organisation raciste du Ku Klux Klan alertent la communauté juive.

- Le numerus clausus frappe étudiants et professeurs juifs dans de grandes universités comme Harvard, Columbia, Cornell ou Boston.

- Ce sont essentiellement les candidats juifs à l’immigration que les quotas restrictifs de la loi de 1924 ont pour effet de frapper, sans toutefois les viser explicitement.

Démagogie et religion dans l’entre-deux-guerres

Dans les années 30 et 40, les sondages révèlent que près de la moitié de l’opinion américaine considère les Juifs comme malhonnêtes et avides. Et certains rêvent de remèdes drastiques à leur présence.

-    - La démagogie d’extrême droite les accuse d’être à l’origine de la Grande Dépression, de dominer l’administration Roosevelt et sa politique du New Deal (le « Jew Deal »), d’entraîner le pays dans la guerre avec une Allemagne nouvelle que d’aucuns à droite de l’échiquier politique tiennent pour exemplaire à bien des égards.

- Faisant fond sur la donnée religieuse inhérente à l’imaginaire civique américain, divers prêcheurs fanatiques (le catholique Charles Coughlin par exemple) font du christianisme un élément sine qua non de l’identité nationale.

- Le pionnier de l’industrie automobile Henri Ford propage activement l’antisémitisme dans la presse qu’il dirige, où il n’hésite pas à rééditer les Protocoles des Sages de Sion.

- Charles Lindbergh, le premier aviateur à avoir traversé l’Atlantique, prête son immense prestige à la dénonciation de l’emprise des Juifs sur la politique du pays, tandis que des mouvements pronazis donnent de la voix.

La libre Amérique au temps de la Shoah

C’est ce contexte qui, au-delà des justifications – attendues – par la dureté économique des temps, rend compte du peu d’empressement à accueillir les réfugiés fuyant le nazisme.

-  --Les quotas d’immigration, pourtant restrictifs, ne seront même pas remplis et, en termes absolus, les États-Unis recevront dans les années de guerre moins d’immigrants juifs que la Suisse. En 1939, on renverra ainsi à un destin incertain en Europe le paquebot Saint-Louis, parti de Hambourg avec 936 réfugiés, allemands pour la plupart.

- Alors même que la Shoah ravage le monde juif sur le vieux continent, une centaine d’organisations antisémites insufflent la haine des Juifs dans le public américain. Des cimetières et des synagogues sont vandalisés à New York et Boston.

- Au plan politique, les obstacles bureaucratiques à l’immigration seront délibérément multipliés. Ce n’est qu’en janvier 1944 que sera instauré, par décision du président Roosevelt, le War Refugee Board, avec pour mission l’aide aux victimes de l’oppression nazie. Combien de milliers de Juifs ont payé de leur vie cet immobilisme ?

Des années 50 à la guerre d’Irak

L’après-guerre voit décliner, mais certainement pas disparaître, l’antisémitisme.

-  Les chapelles néo-nazies restent extrêmement actives (promues par exemple, dans les années 50-70, par une organisation comme le Liberty Lobby de Willis Carto). Les skinheads néo-nazis prolifèrent dans les années 80-90.

- En 1979 est fondé en Californie l’Institute for Holocaust Research, qui s’attache à prouver « scientifiquement » que la Shoah n’est qu’une imposture qui ouvre aux Juifs un crédit illimité sur le sentiment de culpabilité de la nation.

Les Juifs et les Noirs

Par ailleurs, l’appui massif des Juifs à la cause des droits civiques pour les Afro-Américains dans les années 50 n’empêche pas des frictions continuelles entre les deux communautés, surtout quand voit le jour, sur fond de conflit israélo-palestinien, une forme d’islam local qui fournit aux yeux de certains un élément déterminant dans la construction de l’identité noire. Nation of Islam est certainement l’une des raisons majeures de l’inquiétude des Juifs américains. Son principal leader, Louis Farrakhan, a multiplié, entre autres invectives dirigées contre « les Blancs », les déclarations virulemment antisémites et révisionnistes.

L’impact du Proche-Orient

Enfin, aux États-Unis comme ailleurs, la situation au Proche-Orient n’a pas manqué de fournir la matière à un « New Antisemitism » où se rejoignent extrême gauche, extrême droite et islam radical : sous couleur de dénonciation du « sionisme », ce sont les Juifs en général qui se trouvent ciblés. Et les engagements de George W. Bush dans la guerre d’Irak ont ranimé chez certains politiciens conservateurs une rhétorique qui, à l’occasion, rappelle étrangement celle qu’on entendait dans les années 40 et qui faisait des États-Unis l’otage des Juifs dans une guerre menée contre les intérêts du pays...    

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme
Page 184 sur 191
Aller au haut