Mercredi 02 juillet 2025

Résultats de la recherche pour : Christian Brouwer

lundi, 16 avril 2012 09:47

Revue de presse, 16 avril

Jérusalem

"Dix mille chrétiens de rite orthodoxe ont célébré le « feu sacré » de la Pâques orthodoxe, le 14 avril, au Saint-Sépulcre de Jérusalem" - Jérusalem: Les orthodoxes célèbrent le « feu sacré » ((Apic/La Croix, Catho.be)

USA

Easter At The Mosque: Sacramento Muslims Lend Space To Churchless Christian Congregation. Hundreds of worshippers in Sacramento, California, were able to celebrate Easter together this Sunday thanks to a local Muslim organization that let the Christians hold services in their mosque (Huffington Post)

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samedi, 14 avril 2012 07:31

Revue de presse hebdo, 14 avril

Koweit

Les députés du Koweit ont décidé jeudi 12 avril 2012 que le blasphème et les insultes envers Dieu, le prophète Mohammed et ses femmes seraient désormais passibles de la peine de mort. Ce nouvel amendement du code pénal fera l'objet d'une seconde lecture avant sa promulgation par le gouvernement — Koweit : le blasphème sera passible de la peine de mort (Mikael Corre, Le Monde des Religions)

Brésil

La Cour suprême du Brésil a autorisé jeudi l'avortement dans le cas de foetus atteints d'anencéphalie (sans cerveau), une brêche dans la rigoureuse loi anti-avortement en dépit des protestations de groupes religieux — Brésil: la Cour suprême autorise l'avortement en cas de foetus sans cerveau (AFP, Romandie)

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jeudi, 12 avril 2012 07:42

Revue de presse, 12 avril

International

Maroc

"L'interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, l'obligation de diffuser les cinq appels à la prière et une plus grande arabisation des programmes sur les chaînes publiques ont provoqué un coup de tonnerre au Maroc, dirigé depuis janvier par un gouvernement islamiste." - Maroc: le gouvernement islamiste bouleverse le paysage de l'audiovisuel (AFP, Le Point)

Iran

"Ils sont environ 20 000 Juifs dans la République islamique, un pays qui affiche des positions officiellement antisionistes et négationnistes." - Etre juif en Iran (Marie de Bouhet, Le Point)

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samedi, 07 avril 2012 07:16

Revue de presse hebdo, 7 avril

Egypte

"L'Église copte orthodoxe d'Égypte a décidé de boycotter la commission chargée de rédiger la future Constitution, composée à majorité d'islamistes, rejoignant les partis laïques et l'institution sunnite d'Al-Azhar qui ont déjà annoncé leur retrait —  (AFP, Le Point)

Cet avocat de 51 ans, partisan d'un islam radical, s'est taillé la place de grand favori dans la course à la présidence (Denise Ammoun, Le Point)

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samedi, 31 mars 2012 08:01

Revue de presse hebdo, 31 mars

Cuba

La pérégrination récente à travers l’île de la Vierge de la Charité du cuivre, la patronne de Cuba, illustre la nouvelle approche de la religion par les autorités cubaines — Cuba : entre l’Eglise et l’Etat, des relations ambiguës (Geneviève Delrue, RFI)

Chine

La Chine réfute un rapport américain sur la liberté religieuse (Radio Chine Internationale)

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jeudi, 29 mars 2012 10:18

Revue de presse, 29 mars

Cuba

"Fidel Castro a eu « une conversation très animée » avec le pape Benoît XVI, qu’il a notamment interrogé sur le sens des changements liturgiques à la messe, a indiqué le porte-parole du Saint-Siège Federico Lombardi" - Fidel Castro et Benoît XVI ont eu un « échange intense » mais « cordial » (AFP, La Libre Belgique)

"Au dernier jour de sa visite à Cuba, le Pape s'est entretenu pendant trente minutes avec l'ancien président. Au menu des discussions : la réforme liturgique, le rôle du Pape et d'autres questions culturelles" - Que se sont dit Benoît XVI et Fidel Castro ? (Jean-Marie Guénois, Le Figaro)

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Jésus de Nazareth, figure centrale de la religion chrétienne, est juif. Ses disciples sont juifs. Les premiers chrétiens sont juifs. C’est dans les communautés juives de la province romaine de Palestine ainsi que de diaspora que se fera en premier lieu l’annonce de l’Évangile. Le contenu même de la « Bonne Nouvelle » (c’est le sens du mot « Evangile » en grec) est incompréhensible en dehors de la tradition juive. Jésus est le Messie (en grec « Christ »), « Fils » unique du Dieu d’amour, proche de Lui au point de ne faire qu’un avec Lui, qui appelle à reconnaître, dans un mouvement de « conversion », la venue du « Royaume de Dieu », fait de paix et de fraternité humaine. Pour les croyants, il accomplit les promesses bibliques et inaugure une Nouvelle Alliance (c’est le sens des mots « Nouveau Testament »).

L’effroyable accusation

Jésus ne sera suivi que par une poignée de Juifs et finira exécuté comme un esclave (crucifié) par les Romains vers l’an 30. La raison invoquée est au fond politique : c’est la crainte, tant du côté juif que du côté romain, de voir ce Messie tourner au chef nationaliste, avec les catastrophes que ce type d’aventure risque de provoquer…

Dans l’âpre polémique à laquelle la lecture des textes du Nouveau Testament donnera lieu, dans un milieu sociologiquement de plus en plus étranger au judaïsme, « les Juifs » seront vite présentés comme coupables d’avoir, dans leur aveuglement et leur mauvaise foi, en même temps refusé de reconnaître l’« accomplissement des prophéties » et d’avoir « tué Dieu ». Car s’il est homme, le Messie des chrétiens est aussi Fils de Dieu et Dieu lui-même, divinisation que jamais les Juifs n’ont songé à accorder à leurs prophètes, même le plus grand : Moïse.

L’accusation de « déicide » portée contre les Juifs est la principale racine de l’antisémitisme pendant deux millénaires. Elle se renforce de l’accusation de « pharisaïsme », qui mêle les griefs de ritualisme pétrifié et d’hypocrisie, cuirassant « les Juifs » contre le message d’amour qu’ils avaient pourtant vocation à entendre et à diffuser. Que le « Fils de Dieu » soit ressuscité des morts et que ses fidèles attendent son retour pour la Fin des Temps (Parousie) inaugure le temps de l’Église, qui se comprend elle-même comme le « véritable Israël » (Verus Israel), l’« Israël selon l’Esprit » (« théologie de la substitution »).

Les Juifs et le « Nouvel Israël »

De fait, les chrétiens vont très vite se recruter pour la plupart parmi les païens. C’est essentiellement la personnalité de Paul de Tarse (saint Paul, actif dans les années 40-50 après-J.-C.) qui symbolise cette ouverture du groupe chrétien au-delà du monde juif, avec une conséquence fondamentale : il renoncera en fin de compte au plus gros des exigences de l’« orthopraxie » (voir plus haut) et, au nom de la « foi », libérera les chrétiens de ce que le judaïsme tient pour essentiel. La rupture deviendra vite évidente. Elle est consommée quand l’Empire romain, au lendemain de la conversion de l’empereur Constantin, assure au christianisme la liberté de culte (Édit de Milan, 313) et le favorise au détriment du paganisme. À la fin du IVe siècle, sous l’empereur Théodose, il est devenu la religion officielle de l’État.

L’accusation de déicide et la prétention de l’Eglise à incarner le véritable Israël placent désormais les Juifs et le judaïsme dans une position radicalement inconfortable. Ils sont à la racine d’une religion qui ne peut ni ne veut oublier qu’elle est née d’eux, mais qui les accable des accusations les plus écrasantes.

Naissance de l’antijudaïsme

Cette querelle d’identité du christianisme, la faille intime qu’implique pour lui le fait que les Juifs refusent obstinément au cours des siècles de le reconnaître pour leur propre vérité, rend compte de la haine du monde chrétien à leur égard. Plutôt que d’antisémitisme, il convient donc de parler ici d’« antijudaïsme ». Cette haine découle du refus opiniâtre par la religion-mère de reconnaître la religion à prétentions universelles qui est née d’elle. Elle a une limite logique contraignante : l’insupportable cesserait, aux yeux des chrétiens, si les Juifs se convertissaient. Dans ce contexte, les expulser ou les tuer n’a pas de sens : il s’impose de les convaincre, c’est-à-dire de les amener au baptême…

« Les Juifs » : de plus en plus étrangers

La distanciation qui s’opère entre le jeune christianisme et son milieu juif d’origine entraîne en peu de temps une ignorance de ce dernier chez les adeptes du Christ. Jusqu’au triomphe de l’historicisme au XIXe siècle, le judaïsme sera, de manière dominante, vu au prisme d’un pharisaïsme ergoteur, hypocrite, asservi à « la lettre » aux dépens de « l’esprit » et sclérosé par essence et par choix. Figée pour des siècles dans les termes de la polémique néotestamentaire, cette image devenue canonique découragera tout souci de s’enquérir de ce que le pathos de la Loi, source vivante de la pensée juive, qui est à la racine de la controverse, a nourri de créativité chez les « Sages » juifs, héritiers des pharisiens, au lendemain de la rupture et en dépit des vicissitudes historiques que connaît le judaïsme. Pareille négation de l’aventure spirituelle propre du monde juif déréalise celui-ci en l’arrachant à son devenir et le condamne à tenir à son corps défendant, sur le théâtre de l’histoire chrétienne, un rôle de fossile, inintelligible et obstiné.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

L’avènement du régime national-socialiste (nazi) en Allemagne en janvier 1933 va marquer une culmination sans précédent dans l’histoire de l’antisémitisme. Nationalisme outrancier, revanchardisme au lendemain de la défaite allemande de 1918, menaces de révolution sur le mode bolchevique, crise économique dramatique (1929), faiblesse des institutions démocratiques de la République de Weimar, ce sont là autant de facteurs qui vont permettre l’arrivée à la tête de l’État allemand d’un régime d’extrême droite gravitant autour de la personne du « Führer » Adolf Hitler.

La « race pure » et les « sous-hommes »

Dès 1924, dans son indigeste Mein Kampf, Hitler avait exposé ses haines. Celle des Juifs y tient une place centrale et proprement pathologique. On a là comme l’esquisse d’un programme qu’il finira par mettre à exécution. Les Juifs sont responsables de tous les malheurs de l’Allemagne. Ils sont cause de la boucherie que fut la Première Guerre mondiale. Ils ont porté ce « coup de poignard dans le dos » qui a valu la défaite à l’Allemagne. Ligués au niveau mondial, infiltrés partout, ils détruisent et souillent tout ce qu’ils touchent. Ce ne sont que des « sous-hommes », appartenant à une race odieuse. Au fait, ils ne sont pas vraiment humains : il faut les détruire comme les « virus » qu’ils sont.

Toute la faiblesse de l’Occident, sa décadence, vient de la morale d’esclaves du christianisme, qui n’est qu’une invention des Juifs, ces étrangers absolus, ces déracinés qui, insinués dans la vie moderne, la dévorent de l’intérieur, en sapent sans cesse la vitalité par leur esprit maladivement critique et débilitant, tout en en tirant cyniquement tous les avantages. Or, la vraie « vie », c’est la guerre. Le « surhomme » nazi, sommet de la « race pure », a pour idéal la lutte à mort qui verra l’élimination des inférieurs et la domination de l’homme « aryen » sur un espace vital (« Lebensraum ») élargi, organisé en fonction de la devise « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » (« Un peuple, un empire, un chef »). Le parti nazi sera jusqu’au bout animé par cette idéologie, qui combine à un degré délirant toute une série d’ingrédients que nous avons relevés comme constitutifs du « racisme » moderne.

Condamné à mort parce que juif

L’essentiel est pourtant ailleurs : le nazisme est bien plus qu’un antisémitisme porté à incandescence. L’élément caractéristique central de l’antisémitisme nazi est qu’il va mettre la puissance d’un des États rationnellement et technologiquement les plus avancés du monde (c’est la patrie du Juif Albert Einstein…) au service d’un projet d’extermination méthodique et quasi industrielle du peuple juif (et des malades mentaux, des Tziganes et des homosexuels ; d’autres exterminations furent envisagées : celles des Slaves, par exemple). Celui-ci, contenu en germe dans les délires de Mein Kampf, prendra progressivement forme et ne se verra ultimement ruiné que par la destruction de l’Allemagne hitlérienne au terme de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).

Si l’antijudaïsme chrétien cherche à convertir le Juif, si l’antisémitisme classique travaille à l’exclure, le nazisme lui dénie le droit à l’existence. Il veut le détruire parce que juif : hommes, femmes, enfants, riches et pauvres, capitalistes et communistes, anciens combattants médaillés de 1914-1918, savants et illettrés, bons et moins bons, jeunes et vieux. Seul compte dans une personne le fait qu’elle appartienne à la « race » porteuse de toutes les tares : ce qu’elle a fait ou n’a pas fait, ce qu’elle pense, ce qu’elle veut est sans importance. Le Juif est condamné à mort parce que Juif.

Le génocide, phase ultime d’une logique de la haine

Réfléchissant à la logique qui présidait depuis des siècles à la volonté de ségrégation des Juifs par la société dominante, le grand historien de la Shoah, Raul Hilberg, a ainsi résumé en quelques phrases les étapes qui scandent ce développement vers l’irrémédiable. « Vous ne pouvez pas vivre parmi nous comme juifs » (vous devez vous convertir), soutenait le discours chrétien. L’antisémitisme moderne rêve pour sa part d’exclusion : « Vous ne pouvez pas vivre parmi nous » (vous devez émigrer, de gré ou de force). Les nazis, eux, parviennent au définitif « Vous ne pouvez pas vivre ».

De la ségrégation à l’expulsion

L’ampleur de cette entreprise d’extermination n’apparaît pas d’emblée. C’est dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale (« voulue par les Juifs », selon Hitler qui, comme tous les paranoïaques, projette sur autrui sa propre agressivité) qu’elle se dévoilera. Dès les débuts du régime en Allemagne, les mesures restrictives et vexatoires apparaissent. En avril 1933, boycott des firmes juives, renvoi des fonctionnaires juifs de l’administration, exclusion des Juifs des hautes écoles. Le 10 mai 1933, on brûle à Berlin les livres dus à des Juifs et autres ennemis supposés du régime (Kafka, Einstein…). À l’été 1935, les lieux publics (cafés, cinémas…) affichent « Interdit aux Juifs ». À la fin de l’année 1935, les lois de Nuremberg sont votées : elles privent les Juifs de leur citoyenneté allemande dans leur propre pays et interdisent les mariages entre « races » (une législation fort complexe est mise en place pour définir qui est juif et à quel degré : « demi-Juif », « quart de Juif », etc.).

Quand, en mars 1938, l’Allemagne envahit et annexe l’Autriche (Anschluss), elle y introduit immédiatement les lois raciales (il en ira ultérieurement de même dans tous les pays occupés). Celles-ci ont pour but de couper les Juifs de tout ancrage économique, social, politique ou psychologique dans leur propre pays. Pestiférés et vilipendés, ils se retrouvent ainsi à la merci du régime. Mais à ce stade, et si pénible qu’il s’avère, l’exil (conséquence d’une logique de l’expulsion) reste possible et nombre de Juifs entreprennent de fuir vers d’autres pays d’Europe ou vers le Nouveau Monde.

Alors que l’on sent venir la guerre, la pression devient insupportable. Le 9 novembre 1938, éclate en Allemagne la « Nuit de Cristal » (Kristallnacht) : une centaine de personnes sont tuées, autant de synagogues incendiées, des milliers de magasins juifs pillés. En Allemagne, le 12 novembre 1939, 26.000 Juifs sont envoyés en camp de concentration (des camps de concentration – c’est-à-dire d’internement –, tels Dachau et Buchenwald, ont été ouverts pour les opposants au régime dès l’accession des nazis au pouvoir) ; deux jours plus tard, les enfants juifs sont exclus des écoles ; le 13 décembre, un décret d’« aryanisation » met un terme à toute activité commerciale ou industrielle des Juifs.

De l’expulsion à l’assassinat

Avec l’invasion de la Pologne (1er septembre 1939), la Seconde Guerre mondiale commence. L’Europe est mise à genoux par la foudroyante avancée militaire allemande. La Belgique est envahie en mai 1940 ; la France s’effondre ; l’Angleterre est menacée… L’irrésistible élan militaire du Reich finit pourtant par être stoppé et c’est à ce moment que, significativement, le pire commence pour les Juifs. Alors que l’expansion nazie rencontre militairement ses limites sur le front de l’Est (bataille de Stalingrad, août 1942-février 1943), la logique d’expulsion fait décidément place à celle de l’extermination.

Les nazis ont en effet introduit la politique antisémite dans les pays occupés : étouffement socio-économique méthodique, stigmatisation par le port de l’étoile jaune, interdiction de déplacement, etc. En Belgique, une série d’ordonnances à cet effet sont publiées à partir de fin 1940. À l’Ouest, la brutalité des mesures antijuives est souvent tempérée d’une part par la volonté nazie de ne pas heurter de front l’opinion publique et les autorités politiques des pays occupés, de l’autre par le besoin de dissimuler aux victimes la véritable nature du « travail à l’Est » pour lequel on les réquisitionne. À l’Est (Pays baltes, Pologne, Union soviétique…), les nazis ne mettent pas ces gants. Les Juifs meurent de privations et de maladie dans les ghettos où ils ont été enfermés (Łódź, Varsovie…).

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

L’énormité de la Shoah a en quelque sorte frappé d’illégitimité l’antisémitisme et nombre de thèses qui l’avaient rendu possible. Revenus pour la plupart à la démocratie à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les pays d’Europe occidentale le bannissent en même temps qu’ils mettent un terme à la barbarie nazie. Les pays de l’Est le dénoncent, sans toutefois en reconnaître la spécificité, dans le contexte plus large de la poursuite du « combat antifasciste », ce qui ne signifie nullement qu’ils n’en sont pas atteints. Le 4 juillet 1946 encore, un pogrom éclate à Kielce en Pologne. En Union soviétique, à l’été 1952, Staline ordonne l’exécution d’un groupe d’écrivains yiddish de premier plan.

La liberté redécouverte

Le contexte de la décolonisation (dans les années 60) est pourtant celui d’une dénonciation radicale du « racisme » qui, drapé dans les oripeaux d’une mission civilisatrice (le « fardeau de l’homme blanc »), formait depuis le XIXe siècle la « justification » idéologique plus ou moins avouée de l’expansionnisme européen. La philosophie existentialiste (Jean-Paul Sartre) dénonce toute « essence » invariante, naturelle ou suprahistorique, qui « précéderait » la liberté de l’individu, laquelle est absolument première. Le déclin, puis la disparition de l’Union soviétique et l’extinction du mythe communiste (9 novembre 1989 : chute du mur de Berlin ; 26 décembre 1991 : dissolution de l’URSS) laissent seul en course le libéralisme économique, avec l’individualisme qu’il implique et préconise.

Les sociétés occidentales dénoncent les philosophies politiques « organicistes » – où chacun n’est qu’un aspect du « corps social » – au profit de celles qui se veulent fondées sur le « contrat » conclu entre volontés libres. La biologie elle-même finit par s’interroger sur le bien-fondé de la notion de « race ». Dans ce contexte émergent une préoccupation fondamentale pour les Droits de l’Homme, une méfiance profonde envers les valeurs de l’« enracinement », une volonté d’ouverture à l’altérité individuelle et collective allant jusqu’à un respect parfois ambigu de la « différence », une volonté résolument universaliste de « multiculturalisme ».

Le racisme se reconvertit

L’antisémitisme ne disparaît bien sûr pas. Néo-paganisme (y compris celui qui est recyclé sous forme d’écologisme radical) et autoritarisme de droite restent bien vivants. Mais on n’insistera ici que sur deux phénomènes récents. On a vu paraître dans les années 1980 toute une littérature dite « révisionniste », émanant de milieux intellectuels et politiques, marginaux mais actifs, qui entendaient dénoncer dans la Shoah un mythe fabriqué par « les Juifs » pour culpabiliser les consciences occidentales et justifier l’existence et la politique de l’État d’Israël. Les partis d’extrême droite semblent bien pour leur part avoir relégué la thématique « raciste ».

Le Front National de Jean-Marie Le Pen en France ou le Vlaams Belang en Belgique ne sont, en toute rigueur, pas « racistes » : le premier aime bien les Arabes, mais pourvu qu’ils ne nous « envahissent » pas et restent « chez eux » ; le second prône la prévalence nationale flamande. En fait, la nouvelle réincarnation de l’ancien « racisme » est dite « différentialisme » et se pense en termes d’oppositions irréductibles de civilisations. La négation de l’universel oublie – pour combien de temps ? – la génétique au profit du relativisme culturel radical. À la limite, la communauté humaine n’existe pas comme telle. Elle est faite de sphères socioculturelles mutuellement incompatibles, pour lesquelles la juxtaposition est le moindre mal.

La tragédie du Proche-Orient 

Mais l’actualité de l’antisémitisme se situe ailleurs et la haine des Juifs connaît un nouvel avatar. Elle a pour toile de fond la tragédie du Proche-Orient, qui voit s’opposer désespérément deux peuples qui se sentent des droits égaux à une même terre qu’ils se disputent. L’État d’Israël, né en 1948 comme accomplissement de la vision de Herzl (voir plus haut), et le peuple palestinien, fort de sa présence séculaire sur les lieux, s’affrontent depuis maintenant plus de soixante ans. Avec, en arrière-plan, les stratégies mondiales américaine, européenne, et la crise qui travaille en profondeur le monde musulman, dans ses multiples composantes. La lutte politique est vive, et la polémique permanente.

Amalgames

On voit apparaître dans le débat des amalgames et des caricatures typiquement « antisémites » au terme de notre définition initiale : la presse des pays musulmans (sur papier ou sur la toile) multiplie les caricatures de Juifs au nez crochu et Mein Kampf ou les Protocoles se trouvent sans difficulté dans les librairies du Caire ou de Khartoum. La « conspiration sioniste internationale » se porte pour le mieux. Les thèses révisionnistes se sont acclimatées, notamment par la publicité faite dans le monde musulman aux écrits du philosophe Roger Garaudy, successivement chrétien, stalinien et converti à l’islam.

Dans cette propagande, tous les Juifs, où qu’ils soient dans le monde et quelles que soient leurs opinions, se trouvent assimilés aux Israéliens, eux-mêmes démonisés, quoi qu’ils pensent et fassent, comme assassins en puissance, sinon en acte, quand on ne les accuse pas de commettre un « génocide » à l’égard du peuple palestinien ou d’être, à la faveur de leur omniprésence mondiale, l’origine ultime des maux du monde musulman. La complexité historique de l’expérience juive évoquée dans ces pages est ignorée et ses moments les plus douloureux fournissent parfois, par un mimétisme pervers, des symboles et un vocabulaire à la manipulation.

L’« antisionisme », tel qu’il se déploie dans ce contexte, dépasse de loin la critique – fût-elle virulente – de la politique menée par l’État d’Israël et cache en général difficilement sa volonté d’éradiquer celui-ci – tout reconnu qu’il soit en droit international. À ce titre, il constitue à certains égards une nouvelle version de l’antisémitisme.

Jihâd…

L’arrière-plan politique de ces déviations perverses est au moins double. Elles sont générées et instrumentalisées en ordre principal par l’« islamisme », c’est-à-dire par une lecture utopiste « radicale » de l’islam, qui voit dans celui-ci un projet politico-religieux à dimensions planétaires voué à s’imposer par le jihâd  (guerre sainte). Cette mouvance se montre accueillante aux données fournies par l’antisémitisme européen. Elle les combine avec plus ou moins de cohérence à celles qui lui viennent du fond théologique musulman traditionnel. Dernier né des monothéismes abrahamiques, l’islam a en effet, tout comme le christianisme avant lui, élaboré sa relation avec les religions auxquelles il succède. Selon cette construction, l’islam livre enfin dans sa pureté définitive une parole de Dieu que les Juifs, dans un premier temps, ont sciemment pervertie et que les chrétiens ont ensuite dénaturée par leur idolâtrie (dogme de la Trinité). Cette théologie de la falsification de la Révélation par les Juifs frappe ceux-ci d’un stigmate permanent, que seule leur appartenance aux « peuples du Livre » sauve de se retrouver dans le camp des ennemis de l’islam. Reste que, comme les autres minorités en terre d’islam, ils ont souvent le statut de « dhimmis », c’est-à-dire de citoyens de seconde zone de l’État musulman, soumis à discrimination.

…et tiers-mondisme

Cette idéologie rencontre par ailleurs la sensibilité d’une certaine extrême gauche tiers-mondiste, qui interprète (pour la dénoncer) l’existence de l’État d’Israël dans le cadre d’une problématique anticolonialiste et tend à faire jouer à l’immigration maghrébine en Europe, et plus généralement au monde musulman dans son ensemble, le rôle messianique du défunt prolétariat révolutionnaire. La violence en paroles et en actes, la propagande antisémite et le terrorisme, sont dans ce contexte justifiés au titre de contre-violence légitime, au mépris de leur contenu spécifique explicite.

La célèbre résolution de l’assemblée générale de l’ONU du 10 novembre 1975 assimilant sionisme et racisme, rapportée seulement le 16 décembre 1991, les explosions d’ « antisionisme » qui ont marqué la conférence – contre le racisme ! – tenue à Durban (Afrique du Sud) en août-septembre 2001 sont significatives. État pourtant reconnu en droit international, Israël reste pour certains « le Juif des nations », qu’on rêve d’extirper. Le Congrès révisionniste qui s’est tenu à Téhéran en 2006, les déclarations répétées du président de la République islamique d’Iran Ahmadinejad s’inscrivent dans une perspective qui ne manque pas d’inquiéter.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme

Lorsque l’empire russe s’empare, sous Catherine II, d’une portion importante du territoire polonais, notamment lors de la Deuxième (1793) et de la Troisième (1795) Partition de la Pologne, c’est une masse de Juifs qui, du même coup, passent sous son contrôle. Les discriminations héritées de la domination polonaise se maintiennent dans le nouveau contexte.

La tsarine décrète par ailleurs l’instauration d’une Zone de Résidence (qui comprend la Pologne et, pour un temps, la Crimée) que les Juifs ne peuvent quitter sans autorisation expresse. Il y ont certes le droit de vote aux élections municipales, mais à hauteur d’un tiers seulement des électeurs... Ils échappent à la conscription, moyennant une imposition compensatoire double de celle infligée à d’autres minorités, jusqu’en 1827.

Le drame des cantonistes

Nicolas Ier leur étend alors l’application d’un système visant à les intégrer, comme d’autres minorités, à la société russe. Les jeunes garçons – quatre pour mille mâles – sont, au terme de six années d’éducation dans des collèges militaires, enrôlés dans l’armée d’active pour une durée de... vingt-cinq ans (ultérieurement réduits à vingt, puis à douze). Ce sont les cantonistes, dont l’expérience laissera un souvenir terrible. Il incombe aux communautés de désigner les malheureux, ce qui donne lieu à toutes les injustices. Une discrimination portant sur les conditions d’âge du recrutement (12 ans pour les seuls Juifs) gonfle hors de proportion le nombre de cantonistes juifs. Les pressions à la russification et donc à la conversion, condition de l’avancement (pas de nourriture kasher), sont massives. Il faudra attendre 1856 pour que l’odieux système soit aboli par ukaze d’Alexandre II. Entretemps, près de 70.000 Juifs en ont été victimes.

Le mot pogrom est russe…

L’assassinat d’Alexandre II, le Tsar libérateur (il a aboli le servage en Russie), que l’on impute aux Juifs, déclenche en 1881, sous son successeur, le réactionnaire Alexandre III, une vague de pogroms qui durera jusqu’en 1884 : 166 villes d’Ukraine sont touchées, des milliers de foyers juifs détruits, il y a des morts et d’innombrables blessés. La loi bannit les Juifs des localités de moins de 10.000 habitants, même dans la Zone, ce qui condamne à mort nombre de bourgades juives. Des restrictions drastiques s’abattent sur l’accès des Juifs à l’enseignement secondaire et supérieur, ainsi qu’aux professions juridiques. Ils sont chassés de Kiev en 1886 et de Moscou en 1891. En 1892, on leur interdira d’élire et d’être élus aux conseils municipaux, même là où ils représentent une majorité de la population... Entre 1903 et 1906, alors qu’éclate la Première Révolution russe, une nouvelle vague de pogroms fait un millier de morts et plus de 7.000 blessés.

Lutter ou émigrer

Confrontés à l’oppression et à la misère, nombre de Juifs adhèrent aux mouvements progressistes et révolutionnaires, libéraux ou marxistes, quand ils ne les créent pas. C’est l’époque où naissent notamment, en milieu juif, le mouvement sioniste et le Bund (mouvement marxiste révolutionnaire, mais nationalitaire). L’alternative à la lutte pour plus de dignité sur place est l’émigration de masse, principalement vers le Nouveau Monde : entre 1880 et 1928, 1.750.000 Juifs quitteront par exemple l’empire pour gagner les seuls États-Unis.

Au temps des Soviets

L’Union soviétique, qui naît de la Révolution de 1917, instaure le régime bolchevique. Tôt mise en place, la Yevsektsia (Section juive du parti communiste) a pour mission de détruire toute expression nationalitaire juive, et au premier chef le sionisme et le bundisme. Au nom de l’internationalisme prolétarien, l’héritage religieux et culturel juif est qualifié – à l’instar de celui d’autres nationalités – de « bourgeois », ce qui signe en principe son arrêt de mort. Quant à l’antisémitisme, il est dénoncé, mais simultanément nié dans sa triste originalité, puisque, selon Lénine, il n’est rien d’autre qu’un « essai en vue de dévier sur les Juifs la haine des travailleurs et des paysans ». Cette lecture du phénomène en termes de technique politique utilisée par l’ancien régime comme arme dans la « lutte des classes » (le concept clé du marxisme-léninisme), prévaudra tout au long de l’ère soviétique.

Le même contexte idéologique explique la négation de la dimension spécifiquement juive de la Shoah, présentée comme ensemble d’atrocités perpétrées à l’encontre de citoyens soviétiques (ou, sous d’autres latitudes, polonais, hongrois...).

La haine des Juifs perdure dans les faits. Entre autres exemples qu’on pourrait multiplier : la répression des intellectuels juifs entre 1948 et 1953 sous Joseph Staline, qui associe volontiers les Juifs au « cosmopolitisme » et au pro-américanisme. L’exécution, le 12 octobre 1952, lors de la « Nuit des poètes assassinés », de treize écrivains yiddish de premier plan (Peretz Markish, Leib Kvitko, David Hofstein, Itzik Feffer, David Bergelson...) symbolise bien, même dans le contexte d’une société révolutionnaire qui prétendait bâtir l’universalisme concret, la durable survivance de la hargne... Non moins d’ailleurs que le « Procès des Blouses blanches » (1953), où des médecins et pharmaciens, principalement juifs, sont accusés d’avoir empoisonné de hauts dirigeants du Parti : plusieurs centaines de personnes seront arrêtées...

Aujourd’hui

Aujourd’hui, la Russie post-soviétique peine à redéfinir ses normes sociales et politiques. Et dans le bouillonnement idéologique qui la caractérise, on ne s’étonnera pas de redécouvrir, sous des étiquettes mises à jour, des haines fort traditionnelles. Des mouvements fascisants tel Pamiat (Mémoire) semblent renouer à l’identique avec toutes les obsessions antisémites de l’époque tsariste...  

Le rôle de l’Église orthodoxe

Le premier pogrom de Kichinev (1903) fut mené par des prêtres orthodoxes. L’Église orthodoxe, que ce soit en Russie ou ailleurs, partage évidemment l’héritage commun du christianisme. Peut-être l’attention toute particulière qu’elle porte au message des Pères de l’Eglise de langue grecque et des premiers conciles la rend-elle particulièrement sensible aux vitupérations antijuives de certains d’entre eux. Elle présente au cours des siècles la même attitude faite de haine et de peur des Juifs que celle du christianisme latin, avec – dans des contextes de mutation sociale, économique, religieuse ou politique – une aptitude identique de ses couches populaires à fournir des contingents de fanatiques capables de pillage et de meurtre.

Cela dit, l’intrication institutionnelle de l’Église dans l’appareil d’État, héritée du « césaro-papisme » byzantin, est fort éloignée de l’autonomie qui caractérise sur ce plan l’Église catholique par rapport aux États (et à l’Empire). Une institution telle que le Saint Synode étant essentiellement une section du gouvernement, il est particulièrement malaisé de mesurer la responsabilité propre de la hiérarchie religieuse – si claire en Occident – dans les décisions antijuives. On doit la supposer considérable. De fait, jamais l’autorité religieuse ne prit en Russie des mesures pour protéger les Juifs, comme le fait est attesté en Occident latin, contre la violence populaire. Qu’elle n’ait jamais adopté de position officielle sur les Juifs n’a pu qu’encourager la haine des Juifs à laquelle prêtres, clercs et moines n’étaient que trop portés.

Jacques Déom (ULB).

Publié dans L'antisémitisme
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