Vendredi 18 avril 2025

Résultats de la recherche pour : Jean Philippe Schreiber

jeudi, 07 février 2013 08:02

ORELA a un an !

ORELA fête sa première année d'existence...

L'Observatoire des Religions et de la Laïcité a en effet été lancé par l'Université libre de Bruxelles au début du mois de février 2012. Depuis lors, six jours par semaine, notre site vous propose une revue de presse actualisée sur le fait religieux et les convictions. Tous les trois ou quatre jours, suivant l'actualité, il vous adresse (si vous vous êtes abonnés à notre Newsletter par le biais du site) un message annonçant la publication d'une nouvelle analyse rédigée par l'un des experts de notre Centre ou de notre réseau international. Depuis peu, ORELA propose en outre des analyses en vidéo, qui connaissent un franc succès, tout en poursuivant la mise en ligne de portefeuilles pédagogiques (accessibles par le menu "dossiers").

Forts de l'obtention du Prix Wernaers pour la diffusion des connaissances scientifiques, nous travaillons actuellement à développer des partenariats qui nous permettront de toucher un public plus nombreux et de diversifier notre offre. En outre, d'ici quelques semaines, ORELA proposera son premier rapport relatif aux religions et convictions en Belgique.

Le nombre d'abonnés (plus de 1 000) et le nombre de visiteurs de notre site (plus de 24 000), sont en croissance constante. Continuez à encourager vos amis, collègues et connaissances à visiter le site ORELA, et à s'abonner à notre Newsletter — l'inscription est gratuite.

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Cordialement,

Jean-Philippe Schreiber et Cécile Vanderpelen (Centre interdisciplinaire d'Etude des Religions et de la Laïcité, Université libre de Bruxelles).

Publié dans ANALYSES

Ce jeudi 3 janvier 2013 a pris fin, ou presque, à Tunis, une saga judiciaire dont les vives tensions témoignent de l’âpreté du climat politique et de la radicalisation des esprits dans la Tunisie post-révolutionnaire, plus que jamais secouée par la question religieuse.

Comme nous l’évoquions dans ces mêmes colonnes en octobre dernier, Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de la Manouba à Tunis, était en effet poursuivi devant le tribunal correctionnel pour des actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, suite à une altercation avec deux étudiantes en niqab, en mars 2012, dans son bureau. 

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dimanche, 16 décembre 2012 12:39

La loi allemande sur la circoncision

Le Bundestag, la principale chambre du Parlement fédéral allemand, a adopté à une large majorité de 434 voix (contre 100 et 46 abstentions), ce mercredi 12 décembre, un projet de loi gouvernemental qui autorise la circoncision pour motif religieux. Ce texte prévoit que l’opération devra se dérouler dans un cadre médicalisé, et être pratiquée soit par un médecin, soit par un circonciseur, si ce dernier se conforme toutefois à une série d’obligations sanitaires strictes et encadrées.

Publié dans ANALYSES

Ce 25 octobre se déroulait à Tunis le procès de Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de La Manouba, qui répondait devant le tribunal d’actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, suite à une altercation avec deux étudiantes en niqab, en mars dernier, dans son bureau. Une accusation qui n'est que le dernier épisode en date d'une longue série qui a vu le professeur Kazdaghli être victime d’agressions et de menaces, jusqu’à l’occupation de la Faculté de La Manouba par des militants salafistes — lesquels tentent d'imposer par la violence et la peur la prévalence des normes religieuses et le refus des règles académiques.


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mercredi, 24 octobre 2012 10:13

Revue de presse, 24 octobre

Education

"« Est-il juste, lorsqu’une majorité des élèves fréquentant une école catholique est de confession musulmane, de ne pas offrir le choix de suivre un cours de cette confession, même si le cadre légal l’exclut actuellement ? Comment construire un vrai dialogue inter-convictionnel dans les écoles, sachant que la relégation du religieux dans la sphère privée n’offre aucune solution à l’égard des risques de dérive fondamentaliste ? Plutôt un vrai cours de religion, donné par quelqu’un de formé, que des discours simplistes tenus dans des arrière-salles de café. »" — En Allemagne et en Belgique, l’enseignement catholique s’interroge sur l’opportunité de cours d’islam (A.-B. H., La Croix)

"Le Parti socialiste a réclamé mardi davantage de réflexion dans le débat sur l'introduction d'un tronc commun aux cours dits "philosophiques" dès l'école primaire, laissant peu d'espoir à l'aboutissement sous cette législature du projet de la ministre de l'Enseignement obligatoire Marie-Dominique Simonet (cdH), soutenu au moins partiellement par Ecolo et le MR" — L'éternel débat des cours philosophiques (Belga, La Libre Belgique)

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Il y a un an exactement, l’attentat perpétré contre les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, qui s’apprêtait à publier un numéro spécial intitulé Charia Hebdo, avait conduit sa rédaction à déplorer le soutien qu’elle s’attendait à recevoir de la part de Marine Le Pen ou de l’association Riposte laïque.

Et, en effet, le Front national s’était très rapidement fendu d’un communiqué indiquant que « l'attentat contre Charlie Hebdo est à la fois une atteinte à la liberté de la presse et une agression contre la laïcité ». Cette récupération de la thématique de la laïcité, a priori surprenante dans le cas de l’extrême-droite, est révélatrice des glissements, réappropriations et dévoiements de certains thèmes qui appartiennent à l’arsenal démocratique ou républicain et connaissent aujourd’hui des mutations politiques ou idéologiques marquées.

Publié dans ANALYSES

« Dans cette Révolution Française, tout, jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué ; tout a été […] amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices au complot ». Ainsi s’exprimait, dans un texte célèbre, l’abbé Augustin de Barruel (Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1798-1799).

Il ne fut certes pas le premier à attribuer la Révolution française à la conspiration des francs-maçons, mais l’idée d’un complot permanent, qu’il élabora au lendemain de la Révolution, marquera pour des générations la pensée antimoderniste, de sorte que nombre de théories autour du complot n’ont été que des avatars des écrits barruéliens, et que l’antimaçonnisme des XIXe et XXe siècles, la principale incarnation de la rhétorique du complot, n’est en fin de compte qu’une longue resucée de sa pensée.

Les délires conspirationnistes qui, depuis Barruel, ont entretenu l’imaginaire du soupçon dans nos sociétés peuvent bien entendu être balayés d’un revers de main, parce qu’ils ne sont après tout que l’expression d’une vision magique du politique. Mais ce serait un peu court. Les théories du complot permanent puisent le plus souvent aux mêmes sources, se nourrissent depuis deux siècles de la même historiosophie, répondent à des mêmes schèmes rhétoriques et offrent une explication générale des maux du monde qui structure maints discours contemporains sur le réel.

L’Église catholique, mise à mal par la modernité, a joué à la fin du XIXe siècle un rôle capital de ce point de vue. D’abord, elle a condensé et popularisé un discours qui reposait jusque-là sur la complexité et la confrontation documentaire avec des adversaires dont le propos était davantage étudié et disséqué. Ensuite, elle a préparé le terrain à la sécularisation de motifs qui s’énonçaient pour l’essentiel dans un registre religieux. Car ce sont les usages politiques de conceptions théologiques ou apologétiques (comme les notions d’hérésie, de secret, de prophétie, voire la figure du diable…) qui ont offert au discours complotiste une profondeur causale légitimée par la doctrine de l’Église et l’Institution ecclésiale.

L’idée du complot est d’une puissance redoutable parce qu’elle mobilise les ressorts de la pensée mythique — le mythe ayant précisément pour fonction de tout expliquer. Elle relève du mythe aussi parce qu’elle suggère un dédoublement du monde, la réalité apparente n’étant que le voile derrière lequel opèrerait un autre monde, insaisissable, qui en fixerait les règles et les lois, et serait le lieu véritable du pouvoir. Pierre-André Taguieff a montré que le principal véhicule textuel en fut les Protocoles des Sages de Sion, dont il a décortiqué les formes du discours et les avatars.

Toutefois, le discours officiel de l’Église catholique a fortement concouru à entretenir ce mythe politique d’une prétendue puissance cachée, organisatrice du désordre social et politique, trente ans avant la diffusion des Protocoles. L’encyclique Humanum Genus du Pape Léon XIII, fulminée en 1884, point d'orgue de l'antimaçonnisme catholique et matrice de nombreuses théories du complot, s’inscrit au cœur de cette logique — aucune condamnation papale de la franc-maçonnerie n’avait auparavant été aussi sévère. Humanum Genus constitue en effet un tournant fondamental : ce qui était ressassé sur la conspiration moderniste antichrétienne d’inspiration satanique, et ce depuis l’abbé Barruel, sera ici synthétisé dans la doctrine de l’Église, qui fit désormais de l’antimaçonnisme un combat au cœur de son action, lui offrant une formidable chambre d’écho.

La substance du propos du Pape tient dans ces premières lignes de l’Encyclique : « Les fauteurs du Mal paraissent s’être coalisés dans un immense effort, sous l’impulsion et avec l’aide d’une Société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons ».

La théorie de la conspiration, dans ses ressorts rhétoriques comme dans l’argumentaire théologique, est ainsi tout entière dans le discours explicatif d’Humanum Genus. Les conceptions qui seront développées ultérieurement, nourrissant le mythe politique du complot mondial, relèveront souvent d’une sécularisation de conceptions théologiques et du fantasme papal d’une conspiration pour ainsi dire ontologique.

L’Église se considère en effet, dans la seconde partie du XIXe siècle, comme une citadelle assiégée en permanence par les forces du Mal. Elle identifie la franc-maçonnerie — ou son avatar judéo-maçonnique — comme le lieu par excellence qui symbolise ce Mal, à savoir le changement du monde moderne. Et c’est au nom de sa conception de la société parfaite qu’elle va condamner la franc-maçonnerie avec une violence qu’elle n’a appliquée, canoniquement, à aucune autre institution. Incarner les forces agissantes de la modernité dans le diable, c’est affirmer clairement que, en dehors de l’Église, aucune voie du Salut n’est légitime.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).

Orientation bibliographique :

P.-A. Taguieff, La foire aux Illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et Une Nuits, 2005

Id., Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg, 1992.

La franc-maçonnerie constitue aux yeux de l’Église un complot contre l’ordre naturel et contre la Vérité : depuis la Constitution In Eminenti du Pape Clément XII de 1738 et jusqu’au code de droit canonique de 1917, sa morale naturelle et son objectif de réunir des hommes de confession différente vont paraître en effet éminemment subversifs à l’Eglise. La prétention de la franc-maçonnerie de faire succéder la religion de l’humanité à la religion vraie et de proposer un autre modèle de société contre la société parfaite promue par le magistère catholique est on ne peut plus intolérable à ce dernier.

Car la franc-maçonnerie est née de l’essor de la Royal Society, du libertinage philosophique et des idées newtoniennes et lockiennes. Doctrine insupportable aux yeux de l’Église, elle consiste en une autre légitimation de la Vérité, la négation de la Révélation et l’élimination de l’idée d’un Dieu personnel, justicier et rémunérateur, au profit du culte de l’Humanité.

Selon la lecture catholique, l’adhésion à la franc-maçonnerie constitue une forme d’aliénation de l’individu, un esclavage : les francs-maçons se livrent pieds et poings liés à une puissance occulte qu’ils ne connaissent pas. « Ceux qui sollicitent l'initiation doivent […] faire le serment solennel de ne jamais révéler […] les noms des associés […] et les doctrines de la Société » dit l’Encyclique Humanum Genus.

Le discours sur le complot emprunte ainsi à la rhétorique théologique quand il s’en prend au secret maçonnique comme savoir dissimulé — une doctrine secrète ne peut qu’être hérétique et anathème. Cela paraît être une remise en cause radicale de la suprématie de l’Église, par une sorte de dédoublement du monde, porteur d’une autre Vérité, ce qui lui est odieux. Ce n’est pas pour rien que les antimaçons visaient systématiquement dans leur dénonciation du complot les Illuminés de Weishaupt, même encore à la fin du XIXe siècle, et les confondaient avec l’ensemble de la maçonnerie.

Outre le rappel des sentences promulguées par ses prédécesseurs, Léon XIII appelle à la divulgation et à la dénonciation : « En premier lieu, arrachez à la franc-maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites la voir telle qu'elle est ». Le secret de l’appartenance fera ainsi l’objet de divulgations systématiques avec l’antimaçonnisme populaire né de Humanum Genus. L’un des procédés caractéristiques sera de faire apparaître les maçons au grand jour, par le fait notamment des revues qui naquirent dans le sillage de l’encyclique : ce sera le cas, en Italie, de la Civiltà Cattolica des jésuites ou, en France, de la revue La franc-maçonnerie démasquée de Mgr. Armand-Joseph Fava, parmi d’autres organes des ligues antimaçonniques créées avec l’assentiment du Pape.

Cependant, ceux qui se donnent ainsi « corps et âme » à une autre société que l’Église — « autorité légitime » — sont en grande majorité des chrétiens. L’Église ne peut totalement les rejeter et doit donc considérer qu’une partie d’entre eux a été abusée : le chrétien qui se serait fourvoyé dans la complicité avec la conspiration peut s’en absoudre en se dénonçant, ou en dénonçant.

Le coupable, dans la vision chrétienne de l’homme, n’est en effet pas un coupable absolu, il est libre de ne pas continuer à céder à la tentation et peut racheter ses fautes. Un décret du Saint-Office de 1886 stipulera les conditions posées par tout confesseur à celui qui voulait être absous et voir levée l’excommunication qui le frappait ; parmi ces conditions figurait l’obligation de dénoncer les chefs occultes — reflétant ainsi l’idée d’un complot dans le complot.

La franc-maçonnerie est systématiquement désignée dans l’Encyclique Humanum Genus par le vocable de secte ; elle est ainsi assimilée à une hérésie — ce que le code canonique de 1917 (Canon 1240, II-XII) entérinera en droit. Ce faisant, elle colporte une thématique, influencée par l'abbé Barruel, d’un savoir caché, inaccessible, un mystère évident et pourtant invisible transmis à travers les siècles.

Se dessine ainsi une généalogie des sectes et hérésies, toutes liées, toutes nées les unes des autres, certaines judaïsées, d’autres pas, mais toutes à l’origine issues d’un Orient vu comme creuset des mystères. La subversion moderne serait en effet, pour les antimaçons, l’héritière d’une longue lignée — hérésies antiques, gnoses, socinianisme… jusqu’à la franc-maçonnerie —, le changement des formes masquant en réalité l’unité du but.

Cette idée d’une secte transhistorique figure déjà dans la Constitution Ecclesiam a Iesu Christo de 1821 ; les condamnations qui suivront reprendront et développeront ce postulat. Humanum Genus sanctionnera définitivement l’idée d’une société secrète dans la société secrète, de mystères cachés même aux initiés et d’un point central d’où toutes les hérésies procèdent et aboutissent.

La franc-maçonnerie apparaît ainsi comme la quintessence de toutes les hérésies, le Mal absolu, l’ennemi implacable de l’Église, la contrefaçon de celle-ci. Dans la même mobilisation contre ce qu’elle considère comme une Contre-Église, l’Encyclique Humanum Genus utilise des couples archétypiques — Bien/Mal, Vérité/Erreur, Lumière/Ténèbres… — et considère la maçonnerie comme une religion secrète qui inverserait dans sa contrefaçon les figures de la vraie religion : Dieu devient le Mal, Lucifer le Bien ; le dieu de la franc-maçonnerie, c’est Satan.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).

Orientation bibliographique :

P. Boutin, La franc-maçonnerie, l’Eglise et la modernité : les enjeux institutionnels du conflit, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.

L. Nefontaine, Église et franc-maçonnerie, Paris, Chalet, 1990.

L’Église est marquée par les réponses qu’elle offre aux désastres du monde — épidémies, violences naturelles, mais crises politiques aussi. La franc-maçonnerie s’inscrit à ses yeux dans ces calamités politiques, dans ce péril qu’on rapproche d’une menace naturelle, voire surnaturelle...

Les changements sociaux accélérés désemparent les tenants de l’ordre traditionnel, lesquels ne peuvent l’imputer qu’à des causes extérieures, incapables qu’ils sont d’en comprendre les fondements, leur conception de l’histoire et de la société étant manichéenne et providentielle. Cette conception suppose que le citoyen n’est jamais susceptible d’agir sur le cours des événements : il en est ainsi de la Révolution, qui se serait accomplie sans aucune action de la société, mais ne peut être que le produit d’une conspiration.

Les épigones de l’abbé contre-révolutionnaire Barruel n’ont en réalité qu’à transposer l’accusation portée à l’encontre de la Révolution française à d’autres événements politiques : les révolutions de 1830 et 1848, les mouvements nationaux de libération, la Commune de Paris, plus tard la Révolution bolchevique... Le complot politique ayant réussi, pour s’être incarné dans la Révolution française ou ses divers surgeons, la conspiration peut désormais se concentrer sur son objectif religieux, la destruction du christianisme.

Mais c’est la Révolution même qui se poursuit parce qu’elle est l’essence de la conspiration, sa forme perpétuée. Le terme de Révolution prend ici un sens quasi métaphysique : la thèse de nombre d’auteurs antimaçons, contemporains de l'encyclique Humanum Genus, est que la Révolution n’est pas seulement un événement, mais un travail lent et continu qui dissout la religion, la morale, le droit, la famille, la propriété, la hiérarchie sur lesquels la société a reposé de tout temps.

La Révolution manifeste le sacrilège, l’offense blasphématoire faite à la religion et à l’autorité que celle-ci sanctionne. Ainsi, la Révolution française, attribuée aux francs-maçons, a été le théâtre d’un événement que les catholiques français intransigeants assimilent symboliquement au déicide : le régicide de 1793, le péché de la France. Dans une partie de la littérature antijudéomaçonnique, le régicide a visé à substituer au souverain légitime un souverain d’usurpation imposé par la conspiration, régnant par le pouvoir de l’argent : Rothschild Ier. 

Dans la forme, le discours antimaçonnique sur la conspiration se révèle ainsi pleinement religieux, pétri de rhétorique apocalyptique et d’avertissements prophétiques : cette lecture mobilise une logique de décadence et y oppose une attente rédemptrice, la réalisation du Salut opérant par le combat contre les maçons et les juifs. Les travaux des abbés Chabauty et Rougeyron, notamment, qui s’inscrivent dans cette théologie visionnaire des révolutions et ce registre prophétique et apocalyptique, vont marquer la personnalité de Léon XIII et alimenter l’écriture anxiogène d’Humanum Genus.

Face à cette menace ontologique, c’est donc une Église de combat qui s’affirme, qui exige que chaque chrétien soit un soldat de la chrétienté assiégée par la Révolution. L’argumentaire sera à la Croisade rédemptrice, déploiera une rhétorique de guerre et un usage politique du surnaturel. L’appel est adressé aux guerriers du Christ rassemblés sous la bannière du chef des armées de Dieu, l’Archange Saint-Michel, Archange de Lumière en lutte contre le Prince des Ténèbres — Léon XIII avait, en 1880 déjà, chargé l’Archiconfrérie de Saint-Michel d’anéantir les sociétés secrètes et leurs projets infernaux.

La Vierge était apparue — parmi d’autres apparitions dans une France alors fort mariolâtre — à Pellevoisin, en 1876, pour dire que la France serait délivrée de l’emprise maçonnique et satanique. Comme Humanum Genus le proclame : « Demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu, de se faire notre auxiliaire et notre interprète. Victorieuse de Satan dès le premier instant de sa conception, qu’Elle déploie sa puissance contre les sectes réprouvées qui font si évidemment revivre parmi nous l’esprit de révolte, l’incorrigible perfidie et la ruse du démon ». 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’enjeu est sotériologique. La crainte absolue que suscite le plan démoniaque ne peut qu’entraîner une réponse proportionnelle et justifie donc le déchaînement de violence en retour — ce que reflètera notamment le langage de la Civilità Cattolica. Et l’Encyclique de marteler : « Notre devoir est de Nous appliquer à trouver des remèdes proportionnés à un Mal si intense et dont les ravages ne se sont que trop étendus ».

Jean-Philippe Schreiber (ULB).


Orientation bibliographique :

E. Poulat et J.-P. Laurant, L’antimaçonnisme catholique, Paris, Berg, 1994.

J. Rousse-Lacordaire, Rome et les Francs-Maçons. Histoire d’un conflit, Paris, Berg, 1996.

La franc-maçonnerie est dans les délires conspirationnistes la coalisation des forces du Mal, le point central d’où tout procède et où tout aboutit, synthèse du caractère polymorphe de l’ennemi. Selon l’Encyclique Humanum Genus : « Il existe dans le monde un certain nombre de sectes qui, bien qu’elles diffèrent les unes des autres par le nom, les rites, la forme, l’origine, se ressemblent et sont d’accord entre elles par l’analogie du but et des principes essentiels. En fait, elles sont identiques à la franc-maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point central d’où elles procèdent et où elles aboutissent ».

Elle est la « mère de toutes les sociétés secrètes » écrira l’évêque québécois Laflèche. Le mal paraît protéiforme, mais en réalité ramène à la même essence diabolique, cumule tous les maux du passé ; la franc-maçonnerie est la synthèse de toutes les hérésies. Ce discours simplifie le réel : les ennemis sont assimilés les uns aux autres plutôt que différenciés. La Constitution Ecclesiam a Iesu Christo de 1821 avait ainsi élargi les griefs adressés à la franc-maçonnerie à toutes les sociétés clandestines, alimentant les amalgames qui suivront ; procéder par l’amalgame et l’analogie vise à laisser supposer le caractère d’universalité de la conspiration.

La franc-maçonnerie est certes une société homogène, armée d’un projet conspirateur. Mais elle est tout à la fois régie par un principe séparateur : cette société est hiérarchisée ; les grades inférieurs n’ont pas accès aux mystères ; les grades supérieurs manigancent des plans occultes que les premiers ignorent. Il y aurait donc plusieurs niveaux dans le complot : c’est la société secrète dans la société secrète : l’Encyclique Humanum Genus sanctionne, théologiquement, la thèse barruélienne des Supérieurs inconnus.

Il s’agit dès lors de dévoiler le vrai pouvoir caché derrière le pouvoir apparent ou, comme l’écrivait Mgr. de Ségur, de faire apparaître la maçonnerie secrète que cache la maçonnerie visible — d’où tout le jeu rhétorique entre l’ombre et la lumière, entre visible et invisible. On peut supposer que la théorie des mystères, des hauts grades opaques et des supérieurs inconnus est mobilisée du fait même que les ouvrages de révélation ont permis de se rendre compte que la franc-maçonnerie n’avait rien de bien épouvantable. Il faut donc en quelque sorte créer une autre franc-maçonnerie, bien plus redoutable, bien plus occulte — la franc-maçonnerie ordinaire n’est que l’antichambre de la véritable société secrète.

La thèse des supérieurs inconnus procède de l’idée d’un gouvernement occulte, tirant les ficelles économiques et politiques, œuvrant en secret à confisquer le pouvoir : cette idée traverse l’histoire politique de l’antimaçonnisme et des théories du complot et puise dans l’antimaçonnisme théologique depuis la Constitution Ecclesiam a Iesu Christo de 1821. Cette théorie implique qu’une vision providentielle de l’histoire soit remplacée par celle d’un plan réalisé par une minorité secrète. Au pouvoir de l’Église se substitue progressivement celui d’une force sociale active, insaisissable, qui agit rationnellement sur le cours de l’histoire, comme l’explique Pierre-André Taguieff.

C’est un double mouvement complotiste : tout à la fois, il tente de subvertir le pouvoir, et il est déjà dans le pouvoir ; il est le vrai pouvoir désormais — le gouvernement invisible —, et il convient donc de l’en déloger. Toujours selon l’Encyclique : « Dans l’espace d'un siècle et demi, la secte des francs-maçons a fait d'incroyables progrès. Employant à la fois l’audace et la ruse [ce sont les attributs du Malin], elle a envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des États modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté ».

Avec les années 1860, en Allemagne puis en France, la rhétorique antimaçonnique va s’emparer de la thématique juive pour fustiger la conspiration antichrétienne à l’œuvre dans la modernité européenne. En faisant de la coalition des maçons et des juifs une instance intrinsèquement « complotrice », ce discours a redoutablement gagné en performance, peu de mythes ayant eu dans l’histoire une efficacité symbolique aussi forte.

L’ouvrage de Henri Gougenot des Mousseaux (Les Juifs, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, 1869) a pour objectif de démontrer les liens organiques entre franc-maçonnerie et judaïsme, les juifs ayant pu grâce au relativisme religieux de l’ordre maçonnique investir la société chrétienne. Accentuant la logique de la thèse barruélienne, Gougenot des Mousseaux judaïse les supérieurs inconnus : le judaïsme serait donc le deus ex machina qui manipulerait la franc-maçonnerie à sa guise. Et Humanum Genus d’insister sur la perte de la souveraineté temporelle du Pape, le démembrement des territoires pontificaux étant souvent imputé aux juifs.

 Jean-Philippe Schreiber (ULB).


Orientation bibliographique :

P. Rajotte, Les mots du pouvoir ou le pouvoir des mots. Essai d'analyse des stratégies discursives ultramontaines au XIXe siècle, Montréal, Ed. de l’Hexagone, 1991.

P.-A. Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg, 1992.

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