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dimanche 30 novembre 2014

La rénovation, ce n’est pas la révolution ! Le Concile Vatican II et les religieux

La rénovation, ce n’est pas la révolution ! Le Concile Vatican II et les religieux  Beeldarchief Redemptoristinnen, BE/942855/1898/103 Vergadering Regelproject, Colle S. Alfsonso (1972), KADOC

Cinquante ans après le 2Concile œcuménique du Vatican (1962-1965), les historiens et sociologues du catholicisme s’interrogent plus que jamais sur la portée exacte de cet événement. La question se pose notamment de savoir si les réformes sanctionnées par les décrets conciliaires ont été vécues comme une rupture par les croyants, les religieux et la hiérarchie ou si elles entérinaient une série de changement expérimentés ou espérés dans les communautés, partout à travers le monde. Un colloque international s’est réuni la semaine dernière à Rome afin d’examiner le problème en se focalisant plus spécifiquement sur les ordres religieux, masculins et féminins. Les congrégations religieuses ont en effet été des laboratoires où ont été discutés des projets de rénovation des structures de gouvernance de l’Église. Nombre d’experts du Concile en étaient d’ailleurs issus. 

Si on s’en tient à l’observation du Saint-Siège, l’annonce du Concile Vatican II a éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Certes, il y avait déjà eu des tentatives de rouvrir le Concile Vatican I (1870). Mais dans les années 1950, sous l’ère de Pie XII, tout semble bloqué et les tentatives pour « ouvrir » l’Église à la pensée moderne se soldent invariablement par des coups de crosse — qu’on pense à la condamnation des prêtres ouvriers (1954). Jean XXIII est élu par ses pairs en 1958 comme pape de la transition, il n’est pas adversaire des changements mais, conservateur, il semble garant de l’ordre établi. Dès lors, personne ne s’attendait à ce qu’il ouvre son pontificat par une annonce de Concile. D’autant qu’il exprime alors une idée révolutionnaire pour l’époque : demander l’avis des évêques du monde entier. Peu habitués à ce type d’exercice, ceux-ci répondent en des termes très prudents et les textes qu’ils envoient sont le plus souvent décevants. Cependant, la démarche inspire au sein des communautés, dans le monde entier, tout un mouvement de consultation et d’enquête qui concerne jusqu’à des ordres très modestes. Ainsi s’écrivent des centaines de milliers de rapports que les historiens commencent à peine à exhumer. Il en ressort la manifestation d’un sentiment généralisé d’espérance, d’attente… et de crainte.

Les premiers constats que les chercheurs réunis au colloque de Rome tirent de la comparaison de ces rapports est l’extrême disparité entre les congrégations… et les religieux qui les composent.

La première grande fracture concerne la différence entre les ordres masculins et féminins. Les sœurs sont particulièrement touchées par les grands bouleversements sociopolitiques de l’après-guerre. L’alphabétisation, la scolarisation et la professionnalisation des femmes combinées aux effets de la formation du laïcat par l’Action catholique et les mouvements de jeunesse les incitent à exiger une formation plus poussée, mieux apte à leur donner une place active et utile dans la « vie réelle ». L’exigence est d’autant plus prégnante qu’elles sont conscientes que le modèle familial est en train d’éclater et qu’une remise en question de l’image traditionnelle du rôle dévolu aux femmes se dessine, même s’il est encore trop tôt pour parler de féminisme. Les mentalités changent et nombreuses sont les nonnes qui réalisent que changer le monde est impossible ; ce sont leurs institutions qui doivent s’adapter. Elles en appellent à une « intelligence de la foi » en matière théologique et liturgique et espèrent briser le monopole masculin en cette matière. Notons que leur parole est d’autant plus difficile à entendre qu’au départ, aucune supérieure générale féminine n’est invitée au Concile !

La deuxième fracture est sociale. Peu ou prou, et d’une manière implicite, les ordres religieux sont basés sur une hiérarchie qui se calque sur le statut social. Ce système est particulièrement à l’œuvre dans les ordres missionnaires, qui distinguent très clairement les religieux-ses « indigènes », par l’habit et le titre. Dans le contexte de la décolonisation, la situation devient intenable, tant théologiquement que politiquement. Le désir d’unification et d’égalité est commandé par une nécessité de survie. Par un effet de domino, une telle démarche entraîne des réactions en chaîne. L’unification doit également être culturelle et suppose la remise en question de la latinité obligée de l’Église universelle, soit une reconnaissance de l’Église orientale, mais aussi une écoute de la parole issue de l’espace missionnaire — lequel a été une source de l’aggiornamento souvent trop négligée par les historiens.

La question sociale se pose également dans les pays nord-Atlantique. La clôture de l’espace monial (même assouplie comme c’est le cas après Vatican II) devient incompatible avec l’idéal de proximité avec le terrain, avec « le peuple », qu’il soit étranger ou non. Dans beaucoup de pays, les habits qui étaient naguères des symboles de pauvreté sont devenus des emblèmes de la richesse indécente de l’Église, à l’image d’ailleurs de nombreuses abbayes à la taille démesurées.

La fracture est générationnelle. Les plus jeunes sont imprégnés de la société qui les entoure, laquelle entre dans un processus de remise en question de l’autorité qui aboutit, notamment, à la vision individualiste du monde qui se déploie dans la deuxième moitié du XXe siècle. La structure hiérarchique des ordres qui avait prévalu dans les communautés est peu à peu battue en brèche au profit d’une appréhension de la collectivité qui privilégie la responsabilité individuelle. Dans certaines communautés, comme les Petites Sœurs de l’Assomption pour ne citer qu’un exemple, l’effacement, « l’impersonnalité » et le renoncement, maîtres mots naguère, font l’objet d’une discussion parmi les religieuses (influencées par le personnalisme d’Emmanuel Mounier et les écrits de Jean Guitton, Louis Boyer, etc.). Elles décident ensuite de préférer l’idéal de « charité discrète », fondamental pour leur ordre, tout en acceptant désormais de mettre à l’œuvre leur identité personnelle et le dialogue avec l’autre. Conjointement, se développe dans le monde profane une pédagogie nouvelle. L’aspiration à une catéchèse renouvelée s’en ressent profondément. La vieille querelle entre les partisans d’une transmission évangélique par le catéchisme ou par la Bible refait surface.

En revanche, il semble qu’il n’y ait pas eu de réelle fracture entre les congrégations ; pas de cohérence, de « ligne de parti », donc, pour les jésuites, dominicains, bénédictins. Les familles religieuses se sont montrées plutôt divisées sur le Concile. Les regroupements et agrégations ont fonctionné selon des logiques d’affinités géographiques (nationales et selon la proximité avec Rome), générationnelles et de parcours (de longs séjours à Rome par exemple). Par ailleurs, certains religieux ont été réellement « transformés » par le Concile, lequel a marqué une rupture fondamentale dans leur vision du monde.

Cependant, il faut bien reconnaître qu’on ne sait pas ce que les congrégations ont réellement perçu et su de ce qui se passait au Concile. Il semble que celles situées à Rome étaient plus au courant. Toutefois, un travail reste à faire afin de savoir ce qui s’est dit et fait dans les maisons généralices. Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu des étapes dans la réception. À cet égard, le rôle des journalistes a été fondamental. En France par exemple, beaucoup de catholiques ont eu connaissance des débats du Concile par la voix du journaliste de La Croix, le père Wenger. Il n’est pas interdit de penser, dès lors, que certains journalistes ont eu plus d’influence dans le bouillonnement intellectuel généré par les Commissions que s’ils avaient été parmi les experts qui ont participé à la rédaction des textes.

La réception a aussi été, évidemment, liée au degré d’ouverture et aux velléités réformatrices   présentes dans les congrégations dans les années avant le Concile. Les moines de l’abbaye de Maredsous, par exemple, avaient anticipé le mouvement en expérimentant une série de réformes. Les Assomptionnistes, en revanche, ont été pris au dépourvu. Mais quel que soit le degré d’anticipation de l’aggiornamento, dans beaucoup de communautés, le Concile a produit un choc qui a eu pour conséquence une sortie massive des couvents. Les grands débats ont en effet mis au jour puis galvanisé des lignes de fractures déjà présentes mais jusqu’alors sous le boisseau. Outre la polarisation typique entre conservateurs et réformateurs, d’autres lignes de tensions se sont fait sentir : autonomie individuelle vs. attachement à la collectivité ; autonomie de la communauté vs. allégeance au Saint-Siège ; semi-clôture élitaire vs. proximité évangélique avec le peuple (le complexe de supériorité à l’égard du laïcat) ; engagement social vs. contemplation ; multiactivité à destination de tous les secteurs de la vie sociale vs. densification de la communauté et de la spiritualité. Vatican II n’est cependant pas la seule raison de l’explosion du modèle : la montée de l’individualisme déjà signalée, la fin des golden sixties, la révolution sexuelle et la société de consommation ont également été déterminantes.

Les conséquences du Concile n’ont pas toujours été explosives. Bien au contraire. Sa réception s’est faite sur le temps long et, d’une certaine manière, n’est toujours pas achevée. Les conflits entre les textes conciliaires et le droit canonique est un vrai casse-tête. La réécriture des constitutions des ordres ne s’est achevée que dans les années 1970. L’enthousiasme et la sensation d’une libération partagés pendant les réunions des Commissions se sont mués ensuite en un sentiment désagréable, celui d’être allé trop loin pour aboutir, dans une troisième phase, à un recul. Ce mouvement de balancier a d’ailleurs été également celui du Saint-Siège. Enfin, on aurait bien tort de voir dans Vatican II l’enterrement du catholicisme. Celui-ci s’est reconfiguré, enfantant notamment le renouveau charismatique et des nouvelles églises. Ces phénomènes sont la conséquence immédiate de l’un des objectifs poursuivis par les pères conciliaires : le retour aux sources et à l’Évangile.

Cécile Vanderpelen-Diagre (ULB).

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