Vendredi 29 mars 2024
dimanche 14 décembre 2014

Nouvelles dispositions à propos des fabriques d’église en Wallonie : les évêques introduisent un recours

Le ministre Paul Furlan Le ministre Paul Furlan

La Belgique a depuis quelques années fédéralisé une partie importante de sa légilsation relative aux cultes, de sorte que les trois Régions du pays ont désormais dans leur giron nombre de compétences essentielles en la matière. Restait à adopter des dispositifs régionaux afin de les mettre en oeuvre, ce que la Flandre a opéré depuis une dizaine d’années déjà. Le décret wallon du 13 mars 2014 modifiant les règles de la tutelle applicables aux fabriques d’église est venu combler une partie du retard accumulé par la Wallonie à ce propos ; il entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Les évêques des diocèses wallons et l’archevêque de Malines-Bruxelles, ainsi que trois fabriques d’église, ont toutefois, début octobre, introduit auprès de la Cour constitutionnelle un recours en annulation de larges pans de ce décret.  

Depuis le 1er janvier 2002, les Régions sont en effet compétentes pour l’organisation, la tutelle et le financement des fabriques d’église — et établissements apparentés des autres cultes. La Flandre et la Communauté germanophone — à qui la Région wallonne a transféré cette compétence pour ce qui concerne la région de langue allemande — ont adopté de nouveaux décrets en matière de temporel des cultes, respectivement en 2004 et en 2008. En revanche, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, les processus de réflexion, entamés de part et d’autre il y a plusieurs années, n’ont pas encore débouché sur une refonte de la législation, laquelle date pour l’essentiel du XIXème siècle… 

Le gouvernement wallon a récemment opté pour une réforme partielle, adoptée en fin de législature. Elle ne concerne que la tutelle, et non l’organisation des établissements publics des cultes. Le « décret Furlan », du nom du ministre wallon des pouvoirs locaux, insère dans le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation un nouveau chapitre concernant la tutelle administrative sur les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus. Simultanément, il modifie deux anciens instruments, le décret impérial du 30 décembre 1809 sur les fabriques d’église et la loi du 4 mars 1870 sur le temporel des cultes, afin de les mettre en conformité avec les nouvelles dispositions.

Outre une simplification des procédures, les principales modifications introduites par la nouvelle législation sont l’instauration d’une tutelle des communes sur les budgets et les comptes des fabriques, qu’elles devront désormais approuver, là où un simple avis était auparavant demandé, et l’organisation d’une tutelle générale du gouverneur de province sur les autres actes de la fabrique. Les nouvelles dispositions ne sont pas révolutionnaires : en particulier, elles laissent intactes les obligations financières de la commune à l’égard des fabriques et ne modifient pas non plus l’organisation des fabriques, toujours régie par le décret impérial de 1809.

Néanmoins, les évêques des diocèses wallons et plusieurs fabriques ont introduit un recours en annulation partielle du décret auprès de la Cour constitutionnelle, début octobre. Le recours se fonde principalement sur l’ingérence des pouvoirs publics dans l’organisation du culte, dénoncée comme déraisonnable et injustifiée, et le non-respect de la spécificité des établissements cultuels, qui se voient appliquer des règles semblables à celles en vigueur pour les Centres publics d'Action sociale (CPAS). Sont également visés les très courts délais impartis à l’évêque pour statuer et le caractère automatique de la déchéance aux subsides en cas de non-respect des délais.

En 2004, le décret flamand sur le temporel des cultes comprenait des dispositions similaires, dont la tutelle d’approbation de la commune, et prévoyait en outre une réforme poussée de la composition et du fonctionnement des fabriques : il n’avait cependant pas fait l’objet d’un recours des évêques des diocèses flamands. Sans doute peut-on ici souligner deux points importants sur lesquels le décret wallon se distingue de son homologue flamand : premièrement, il inscrit les dispositions régissant la tutelle des établissements publics des cultes dans le Code de la démocratie locale, et non plus dans un texte spécifique. Selon les requérants devant la Cour Constitutionnelle, les fabriques sont ainsi assimilées à de simples organismes communaux. Dans le même temps, le décret wallon traite tous les établissements publics des cultes reconnus de la même manière, sans plus distinguer entre les fabriques d’un côté et les administrations des autres cultes de l’autre ; en procédant ainsi, la législation wallonne a fait disparaître « l’évêque » du texte, désormais compris sous le vocable générique d’ « organe représentatif du culte ». Ce traitement identique de tous les cultes, conforme au principe d’égalité, représente sans doute une évolution non négligeable sur le plan symbolique. Deuxièmement, le décret paraît avoir été élaboré, au terme d’un processus de réflexion générale autour du temporel des cultes, certes, mais sans concertation avec les représentants des cultes, contrairement à ce qui s’était passé en Flandre et en Communauté germanophone. Il est probable que cet élément de contexte aura, lui aussi, pesé sur la décision de recours des évêques.

On ne présumera évidemment pas de la décision de la Cour. Mais on peut rappeler qu’en 2004, le décret flamand avait également fait l’objet d’un recours déposé par  des fabriciens, qui s’étaient élevés contre la limite d’âge — 75 ans — pour l’exercice de leurs fonctions instaurée par le nouveau décret. La Cour d’Arbitrage (aujourd’hui Cour constitutionnelle) leur avait donné raison, non pas sur base d’une ingérence injustifiée des pouvoirs publics dans l’organisation du culte, mais bien sur une discrimination sur base de l’âge prohibée par la Constitution en ses articles 10 et 11… Ce faisant, la Cour avait validé a contrario la réglementation des fabriques comme constituant une ingérence légitime dans le fonctionnement des cultes reconnus, justifiée et répondant à un « besoin social impérieux », compatible avec la liberté de religion et de culte.

Au-delà de la péripétie judiciaire, on notera que l’accueil hostile réservé aux nouvelles dispositions du décret Furlan s’inscrit dans une histoire déjà longue d’interprétations divergentes du rôle des pouvoirs publics dans la gestion du temporel des cultes. Cette divergence d’interprétation est rendue possible par une tension inhérente au régime constitutionnel belge des cultes : instaurant en 1831 une séparation poussée de l’Église et de l’État, le Constituant a néanmoins maintenu tant le principe du financement public des cultes que son organisation par des instruments adoptés à l’époque concordataire. In fine, la liberté des cultes s’accommode malaisément des contrôles que les pouvoirs publics doivent nécessairement exercer sur l’emploi des sommes qui leur sont allouées en vertu du financement public, auquel les cultes ne sont toutefois pas prêts à renoncer…

Comme rappelé plus haut, l’organisation du financement public des cultes trouve en Belgique son origine dans les dispositions concordataires napoléoniennes. Ces dispositions, qui avaient déjà été abandonnées en France (sauf en Alsace-Moselle) et aux Pays-Bas, sont actuellement en voie de révision au Luxembourg. En Belgique, pareille réforme en profondeur se fait attendre : à côté des difficultés politiques liées à cette question sensible, la répartition des compétences dans l’Etat fédéral y est peu propice.  C’est dire que ce dossier évoluera certainement encore.

Caroline Sägesser (ULB).

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