Lundi 23 décembre 2024
jeudi 19 janvier 2012

Le financement réel des cultes en Belgique

Le financement des cultes coûterait en Belgique quelque 140 millions d'euros par an au budget de l'Etat belge, rapportait mardi le quotidien La Dernière Heure sur base d'une étude du CRISP, le Centre de recherche et d'information sociopolitique. Ce montant comprend les traitements mais également les pensions des ministres des cultes, ainsi que des délégués laïques. A cela, ajoutait la dépêche, il faudrait encore ajouter 160 millions d'euros de financement par diverses entités, essentiellement consacrés aux édifices du culte. Ce budget est distribué entre le culte catholique (85,8 %), la laïcité organisée (8 %), le culte protestant-évangélique (2,5 %), le culte islamique (2,1 %), ainsi que les cultes orthodoxe, israélite et anglican.

En effet, prenant en compte leur utilité sociale, l'État belge reconnaît donc certaines confessions. Cette reconnaissance entraîne des avantages financiers importants, qui ne se réduisent pas aux postes mentionnés dans l’article de La Dernière Heure, loin de là. En effet, à la prise en charge des traitements et des pensions de retraite de milliers de ministres du culte – le cadre était en 2008 de l’ordre de 7797 postes de ministres des différents cultes et délégués laïques –, il faut encore ajouter au moins les imputations budgétaires énumérées ci-dessous, à tous les degrés de pouvoir, depuis l’Etat fédéral jusqu’aux communes en passant par les Régions, les Communautés et les provinces.

Tout d’abord, la prise en charge par les Communautés flamande et française des coûts résultant de l’organisation des cours de religion dans l’enseignement officiel. La seule prise en compte des cours dits « philosophiques » doublerait le montant de 300 millions mentionné par La Dernière Heure.

Ensuite, la présence, dans les prisons, les hôpitaux, les forces armées et à l'aéroport national, d'aumôniers, conseillers religieux ou moraux, qui voient leur traitement pris en charge, ou leurs frais remboursés.

L’attribution d’un temps d’antenne, sur les chaînes publiques de radio et de télévision, aux cultes reconnus et à la laïcité organisée, est également à charge des pouvoirs publics, en l’occurrence les Communautés.

L’octroi de la personnalité de droit public aux organismes chargés de gérer le temporel des cultes, c'est-à-dire les biens appartenant à une église ou une communauté religieuse, entraîne l’intervention des communes dans les frais de ces fabriques d’église et communautés religieuses — il peut s’agir aussi des provinces en raison de la prise en charge par celles-ci des dépenses relatives aux églises cathédrales et aux palais épiscopaux. Outre les frais de construction, d’entretien ou de rénovation des lieux de culte — la restauration des édifices classés du culte est à charge des Régions —, ne peut être négligé le fait que la prise en charge des déficits des fabriques d’église liés à l'exercice du culte revient aux communes également. Or, l’on a ces derniers temps pointé la gestion souvent calamiteuse des fabriques d’église et établissements assimilés, qui a pour effet d’accroître ces déficits.

De plus, selon que la confession est organisée sur une base communale ou provinciale, les communes ou les provinces ont l'obligation de mettre à la disposition des ministres du culte un logement ou, à défaut, de leur verser une indemnité compensatoire. Enfin, signalons que toutes les paroisses catholiques n’étant pas dotées d’un ministre du culte — le cadre n’étant pas rempli en raison de la chute des vocations —, des curés cumulent plusieurs postes et le bénéfice financier y afférant, limité toutefois à 150%.

Mais ce n’est pas tout. En effet, outre les aides directes aux cultes reconnus et à la laïcité organisée, ceux-ci bénéficient, à des degrés divers, d’un régime fiscal assez favorable. En effet, les communautés religieuses reconnues ne sont pas soumises à l'impôt sur les sociétés, mais à l'impôt sur les personnes morales, qui ne frappe que certains revenus, essentiellement leurs revenus immobiliers et revenus de capitaux. Les bâtiments destinés à l’exercice d’un culte sont en outre exonérés d’impôts, principalement le précompte immobilier, l’impôt foncier prélevé par l'État et par les collectivités locales, ce qui constitue un avantage fort important.

Si en revanche les fabriques d'église et les entités correspondantes pour les autres confessions ne bénéficient pas de la déductibilité fiscale des dons, les associations liées aux communautés religieuses reconnues en bénéficient toutefois. Or, la plupart des institutions religieuses sont doublées par des associations sans but lucratif qui, outre le régime fiscal spécifique et très favorable des associations, bénéficient de surcroît de subventions publiques diverses — parmi lesquelles la mise à disposition d’un personnel de type « agents contractuels subventionnés », à charge, presque totalement, des pouvoirs publics.

Par ailleurs, les contribuables qui affectent, sans but lucratif, leurs immeubles au culte ou à l'assistance morale laïque, à l'enseignement ou à des oeuvres de bienfaisance sont exonérés de l'impôt qui frappe le revenu dont jouit théoriquement tout propriétaire foncier.

Il est donc très difficile de calculer le coût exact du financement public des cultes, vu la diversité des dépenses et des pouvoirs subsidiants. Même les experts en la matière ne se risquent pas à chiffrer ces coûts, mais l’on peut raisonnablement penser que l’ensemble des charges directes mentionnées ci-dessus, l’effet des exonérations fiscales, les assurances sociales des membres du clergé catholique régulier, les pensions des enseignants des cours philosophiques... double voire triple le montant de 300 millions d’euros mentionné par la presse.

Or, la pratique religieuse est partout en baisse : on estime à moins de 5% de la population ceux qui observent la pratique dominicale catholique. D’après des sources épiscopales, 54% des enfants nés en Belgique sont baptisés, 58% des décès donnent lieu à des funérailles catholiques et 25% des mariages civils à des mariages catholiques. C’est dire que le financement des cultes et les montants très importants qui y sont consacrés suscitent nombre d’interrogations. Le rapport final de la commission réunie par le ministre de la Justice, en charge des cultes, afin de réfléchir à une évolution du système n’a en réalité suggéré que des recommandations qui auraient pour effet de rééquilibrer quelque peu entre les bénéficiaires du système, mais n’en réduiraient pour autant pas le poids à charge de la collectivité.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).

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