Lundi 23 décembre 2024
samedi 17 octobre 2015

Belgique : nouveau procès contre la Scientologie

Un nouveau procès mené à l’encontre de l’Église de Scientologie débute à Bruxelles ce 26 octobre. L’Église de Scientologie de Belgique et le Bureau européen de l'Église de Scientologie internationale, ainsi que certains de leurs responsables, comparaissent en effet devant le tribunal correctionnel. Les chefs d’accusation sont lourds et englobent la qualification d’organisation criminelle. La Scientologie, qui s’était faite plutôt discrète en Belgique ces derniers temps, bien qu’elle bénéficie d’implantations luxueuses dans la capitale de l’Europe, est ainsi appelée à revenir à la une des médias.

Le procès qui va s’ouvrir contre la Scientologie et certains de ses responsables résulte de la fusion de deux instructions. La première, initiée en 1997 déjà, a pour origine la plainte d’anciens membres qui avaient réclamé en vain le remboursement de sommes très élevées versées à l’Église. Elle a entraîné en 1999 de vastes perquisitions dans les locaux de l’Église de Scientologie et au domicile de certains de ses responsables, menées conjointement avec des perquisitions effectuées en France à la demande des autorités belges. Ces perquisitions ont débouché sur la saisie d’un large volume de documents, y compris, semble-t-il, de dossiers dont la tenue seule constitue une infraction à la législation protégeant la vie privée. La seconde instruction découle d’une plainte, déposée en 2008 par l’Office régional bruxellois de l’Emploi (Actiris), suite à la publication par l’Église, dans un toutes-boîtes, d’annonces de recrutement considérées comme mensongères.

Les charges aujourd’hui retenues à l’encontre de l’Église de Scientologie sont lourdes : faux et usage de faux, escroquerie, pratique illégale de la médecine, infractions aux lois sur la vie privée et constitution d’organisation criminelle. L’instruction des dossiers à charge de la Scientologie a été longue et entravée par de multiples plaintes et recours déposés par l’Église, qui soutenait que son droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence avaient été entamés par la publication de certains articles de presse. Attribuant à des magistrats du ministère public la paternité de déclarations relatives à l’instruction relayées dans la presse, l’Église a utilisé tous les recours possibles contre l’État belge, pour être finalement déboutée par la Cour européenne de Strasbourg le 19 septembre 2013. Ce procès s’inscrit par ailleurs dans la foulée d’actions judiciaires intentées contre la Scientologie dans différents pays européens ; l’Église a notamment été condamnée lourdement par la Cour d’Appel de Paris en février 2012, du chef d’escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de la pharmacie. La Scientologie figure au demeurant parmi les cibles de premier plan des acteurs de la lutte contre les « organisations sectaires nuisibles ».

La Scientologie est elle-même fréquemment à l’origine de procédures judiciaires, destinées à lui obtenir le statut d’organisation religieuse dans les pays où une forme de reconnaissance ou d’enregistrement pourrait lui être offerte. S’appuyant sur la liberté religieuse et la non-discrimination, la Scientologie a notamment obtenu des tribunaux en  2007 d’être inscrite au registre des entités religieuses en Espagne ; de la même façon, elle s’est en décembre 2013 vu reconnaître le droit de célébrer des mariages au Royaume-Uni, pays où le mariage religieux a valeur civile. L’autodéfinition de la Scientologie en tant que religion s’est elle-même largement forgée dans le cadre d’un long combat judiciaire, mené contre les autorités fiscales aux États-Unis.

À l’origine de la Scientologie se trouve l’Américain Lafayette Ron Hubbard (1911-1986), un auteur de science-fiction qui, en 1950, a publié un manuel de développement personnel à grand succès, La Dianétique. La méthode proposait de se libérer de névroses, de traumatismes liés à l’enfance, dans un processus d’auditions à l’aide d’un thérapeute amateur. Loin de constituer une révélation à caractère religieux, la Dianétique se présente alors comme une méthode rationnelle, scientifique, d’exploration du cerveau humain. Quelques années plus tard, suite au désintérêt total du monde scientifique pour sa théorie, Hubbard s’embarque dans la construction d’une nouvelle religion, la Scientologie. Sa théorie s’élargit de références au surnaturel, aux vies antérieures et à des événements de l’histoire imaginée du cosmos. Cette construction va se nourrir également de la longue bataille juridique menée aux États-Unis pour obtenir l’exemption fiscale dont bénéficient les Églises : long de vingt-six années au terme desquelles l’Église de Scientologie a obtenu ce statut, ce combat a été décisif dans la transformation de la Scientologie en un mouvement spirituel ou religieux.

Principalement implantée outre-Atlantique, où elle compte parmi ses membres quelques stars hollywoodiennes qui sont ses porte-drapeaux les plus efficaces, la Scientologie est très critiquée pour ses méthodes de recrutement, l’utilisation d’organisations de promotion des Droits de l’Homme ou de lutte contre la drogue comme paravents de son action, le coût des formations qu’elle dispense à ses adeptes et son organisation ultra-hiérarchisée et quasi para-militaire. La littérature à son sujet est abondante mais se partage quasi exclusivement entre la propagande publiée par l’Église et les témoignages d’anciens adeptes qui dénoncent la Scientologie ; il n’existe que peu d’études à caractère  scientifique du phénomène scientologue. Quelques travaux esquissent cependant les caractéristiques des adeptes de l’Église : ils sont relativement jeunes, au bénéfice d’une éducation supérieure et issus d’une classe socio-économique aisée ; par contraste avec d’autres mouvements spirituels, les hommes y sont majoritaires.

Le nombre d’adeptes de la Scientologie n’est pas connu ; bien que l’Église se définisse comme la religion qui croît le plus rapidement au XXIème siècle, annonce compter plus de 11.000 implantations dans 167 pays et rassembler plusieurs millions d’adeptes, l'American Religious Identification Survey n’en dénombre pas plus de quelques dizaines de milliers aux États-Unis, et leur nombre serait en diminution. Contrastant avec ce que certains observateurs perçoivent comme un déclin de la Scientologie, mal adaptée au monde de l’Internet où sa doctrine et ses pratiques sont dorénavant connues et accessibles à tous, l’Église est engagée dans un vaste programme d’expansion à l’échelle mondiale. Depuis une dizaine d’années, des « organisations idéales » s’ouvrent sur tous les continents : il s’agit de vastes complexes, répondant à des caractéristiques précises définies par L. Ron Hubbard et proposant l’ensemble des services de la Scientologie dans un environnement confortable, voire luxueux.

L’une de ces « organisations idéales » est établie à Bruxelles depuis 2010, au boulevard de Waterloo 101-103, dans les anciens locaux de la Commission communautaire française. Sur près de 8000 mètres carrés sont rassemblés des bureaux, bibliothèques et salles d’étude, salles de réception, cafétéria et auditorium faisant également fonction de chapelle, ainsi qu’une vaste exposition multimédia sur la Scientologie, son fondateur et ses œuvres. La Scientologie dispose également d’une seconde implantation dans la capitale de l’Europe, au 91 de la rue de la Loi. Dans ce vaste hôtel de maître également luxueusement restauré, l’Église a établi son bureau européen des affaires publiques et des droits de l'homme, dont l’objectif principal est de défendre les intérêts de l’Église auprès des institutions européennes. L’action de la Scientologie à Bruxelles est davantage orientée vers la représentation et le lobbying que le recrutement d’adeptes. Celui-ci est de la responsabilité de l’Église de Scientologie de Belgique, une association sans but lucratif fondée en 1984, et dont le siège social est actuellement établi à Malines, dans un bâtiment bien plus modeste. Bien que globalement peu productif, le recrutement semble plus efficace en Flandre que dans les autres régions du pays.

Le procès qui s’ouvre à Bruxelles va braquer les projecteurs médiatiques sur la Scientologie, conférant à l’organisation une importance qui est sans rapport avec la modestie de son implantation dans la société belge. À cet égard, les bâtiments qu’occupe l’Église à Bruxelles – et qui appartiennent à des sociétés américaines, ce qui devrait les mettre à l’abri de toute saisie – ne doivent pas faire illusion ; vitrines de la Scientologie internationale, ils ne rassemblent que peu de fidèles. Dans son dernier rapport couvrant la période 2013-2014, le Centre d’Information et d’Avis sur les Organisations sectaires nuisibles (CIAOSN), organisme consultatif établi par la loi du 2 juin 1998, indique que moins de 5 % des demandes d’informations qu’il reçoit concernent la Scientologie : ce mouvement n’est pas, en ce moment, au cœur des préoccupations du public. Le procès qui s’ouvre à Bruxelles ne manquera toutefois pas de remettre la Scientologie à l’agenda des médias, du monde politique et du public belges.

Caroline Sägesser (Université libre de Bruxelles).
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