Samedi 23 novembre 2024
jeudi 14 septembre 2017

Belgique : crépuscule du CdH, crépuscule de la démocratie chrétienne ?

Lors des élections fédérales, régionales et européennes du 25 mai 2014, le Centre démocrate humaniste (cdH) a atteint le plus mauvais score de l’histoire du catholicisme politique en Belgique francophone, et ce depuis l’établissement du premier grand élargissement du suffrage, en 1893. Avec 13,97 % des suffrages en Wallonie, le parti passait sous un nouveau plancher symbolique, le rapprochant dangereusement de l’étiage de 10 % sous lequel, depuis, plusieurs intentions de vote récentes l’ont situé. Si les sondages d’opinion n’ont aucun caractère prédictif d’un résultat aussi loin d’un scrutin, force est de constater que la tentative de redonner corps, âme et vie au Parti social chrétien (PSC) après l’échec traumatique de 1999 n’a pas porté ses fruits, et ce sous l’angle de plusieurs indicateurs socio-politiques.

Le premier d’entre eux, nous y avons fait d’emblée écho, est la courbe des résultats électoraux. Sans même revenir au tiers de l’électorat wallon que le PSC décrocha aux élections législatives de 1950 ou 1958, rapportons-nous à la fin du XXe siècle. Après un déclin affirmé à l’élection nationale de 1981, les sociaux chrétiens francophones s’étaient stabilisés à 22-23 % aux scrutins de 1985, 1987, 1991 et 1995. En 1999, la famille sociale chrétienne avait encouru un revers dramatique. Le PSC se situait alors à 16,83 % des suffrages en Wallonie. Le tocsin est sonné et l’opération qui conduit à l’adoption du Manifeste de l’humanisme démocratique (2001) et au nouveau libellé – Centre démocrate humaniste (2002) – est menée tambour battant par la nouvelle présidente, Joëlle Milquet.

Mais le résultat ne sera pas au rendez-vous. Jamais. Aux élections de 2003, 2007 et 2010, le cdH reste campé dans les eaux de 1999. Pire même, après un très léger rebond en 2007 (15,74 % pour 15,35 % en 2003), le parti voit son influence s’effilocher plus avant en 2010 (14,63 %) et, nous l’avons vu, en 2014 (13,97 %). Bien sûr, la traduction parlementaire est en phase avec cette érosion. Aux élections de 2003, 2007, 2010 et 2014, le parti n’a décroché respectivement que huit, dix, neuf et neuf sièges à la Chambre des Représentants. À l’aune du nombre d’adhérents de parti, l’observation est en phase. Entre 1980 et 2015, le parti passe de 57 000 affiliés à un peu plus de douze mille.

Pointons-le, le cdH n’est nullement seul concerné par l’érosion de l’adhésion partisane, mais elle est particulièrement marquée dans son chef. Le cdH ne se porte pas bien et a, à ce stade tout au moins, loupé son objectif de se redéployer. Le leadership du parti est-il en cause dans cet échec ? Nombre de politologues soulignent l’importance accrue des dirigeants de parti en parallèle avec l’approfondissement de la personnalisation de la vie politique. Il peut donc à tout le moins être questionné. Pour autant, l’origine de cette situation échappe selon nous, dans une large mesure, aux orientations prises depuis quinze ans. Pour l’essentiel, le déclin politico-électoral traduit l’affaissement socio-démographique des électeurs qui l’ont soutenu durant son histoire.

Comme son alter ego néerlandophone, le CD&V – auparavant le CVP –, le PSC a longtemps été le réceptacle politique du vote de la communauté des croyants catholiques. Depuis le début des années soixante, quatre évolutions structurelles ont peu à peu modifié la donne. La première est l’affadissement du clivage philosophique qui structurait le vote de la communauté catholique. La signature et le vote du pacte scolaire (1958-59) en sont l’élément le plus visible. La deuxième est le changement d’identité du parti libéral et de ses successeurs – jusqu’au Mouvement réformateur (MR) aujourd’hui. Les libéraux abandonnent leur référent anticlérical au profit d’une position fixée sur le différend socio-économique. De la sorte, ils deviennent un parti de droite socio-économique et transversal sur les questions philosophiques. En troisième lieu, le catholicisme connaît de profonds changements lui-même, notamment dans la foulée du concile de Vatican II. Les réflexes de communauté s’estompent, la diversité se fait jour dans les comportements des catholiques, en ce compris politiquement. La logique voulant qu’un catholique vote naturellement pour le PSC s’enraye. Plus largement, la pratique recule spectaculairement : les indicateurs sur la présence à l’office dominical en portent un témoignage éloquent. Enfin, au-delà de la diversification du comportement des catholiques et du recul de la pratique, la sécularisation de la société belge progresse. Le nombre de croyants catholiques diminue dans le temps.

A l’aune de ces éléments, le Parti social chrétien puis le Centre démocrate humaniste se sont de plus en plus donné à voir comme le réceptacle du vote des pratiquants, occasionnels ou réguliers. Mais parmi les catholiques non pratiquants, le Mouvement réformateur est désormais la première formation et des partis comme le PS ou Ecolo y ont enregistré une progression.

Ce confinement électoral n’est pas propre au cdH. Son alter ego néerlandophone, historiquement le parti dominant – et même occasionnellement hégémonique – en Flandre, est confronté au même dilemme. Les deux partis chrétiens démocrates belges ne peuvent donc plus faire valoir une implantation digne de ce nom qu’en périphérie des axes qui partent de Gand ou Anvers jusqu’à Mons en passant par Bruxelles, et en périphérie du pôle industriel liégeois : dans l’arrière-pays de la Flandre occidentale, dans la campine anversoise et son prolongement limbourgeois, dans la vallée de la Vesdre, dans l’arrière-pays namurois et le Luxembourgeois, surtout sa façade orientale.

A l’exception de la ville de Namur — lors des élections communales —, le cdH s’estompe des villes universitaires et/ou industrielles et ne maintient une influence certaine que dans les centres urbains qui ne ressortissent pas à ces deux catégories : Verviers et Mouscron notamment. Il en va de même du CD&V, très faible désormais à Ostende, Gand, Anvers, Malines, Alost et même, dans une mesure un peu moindre, Louvain, qui abrite pourtant l’Université catholique néerlandophone, la KULeuven. 

pcarte1CdH et CD&V sont de la sorte prisonniers de leur identité et du socle de plus en plus restreint d’électeurs qui s’y réfèrent dans leur comportement électoral et politique. La même observation prévaut d’ailleurs hors de Belgique. Nombre de partis chrétiens démocrates d’origine – principalement – catholique ont connu ou connaissent le même cheminement. En Italie, la Democrazia Cristiana (DC) a implosé après 1993 et cette sensibilité politique n’est plus aujourd’hui incarnée que par la modeste Alternative Democratica (AD). Aux Pays-Bas, le Christen-Democratisch Appèl (CDA) a connu une descente aux enfers et n’a recueilli aux deux derniers scrutins en date – 2012 et 2017 – que 8,5 % et 12,5 % des suffrages. Même au Luxembourg, où n’existe pas de grand pôle urbain, le Chrëschtlech Sozial Vollekspartei (CSV) s’est tassé dans la période récente.

Dans ce tableau, un contre-exemple peut être épinglé : l’Allemagne. La CDU et, en Bavière, la CSU conservent un socle très important d’électeurs. Ce contre-exemple est cependant relatif. La CDU et la CSU sont des formations que depuis leur origine les politologues et les sociologues ont du mal à classer. D’aucuns les présentent à titre principal comme des partis chrétiens démocrates ; d’autres comme des partis conservateurs. Néanmoins, la grande majorité des scientifiques s’accorde pour considérer que leur positionnement de référence ne s’est jamais prioritairement rapporté au clivage philosophique. Depuis 1949, la CDU-CSU est le grand parti de centre-droite face au SPD, le grand parti de centre-gauche. Or, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie… les partis chrétiens démocrates ont face à eux des partis de droite socio-économique, plus imposants qu’eux : la N-VA et l’OpenVLD en Flandre, le Mouvement réformateur dans l’espace francophone, le Volkspartij voor Vrijheid en Democratie (VVD) aux Pays-Bas, Forza Italia… Outre les difficultés internes que cela susciterait, les partis chrétiens démocrates n’ont donc pas – aisément – la possibilité de tenter un réalignement de nature conservatrice sur les questions socio-économiques, l’espace étant déjà occupé.

Le destin des partis chrétiens démocrates, plus particulièrement du cdH, est-il pour autant scellé ? On se gardera de tout déterminisme. Dans les années soixante-dix, plusieurs auteurs avaient annoncé la fin du PSC et du CVP alors même que ces deux formations connurent un certain regain dans cette décennie. Les sociologues Karel Dobbelaere et Liliane Voyé, dans leurs travaux, avaient expliqué  ce rebond par l’importance d’un « christianisme culturel » en Belgique. Dans un contexte de plus grande volatilité, des changements inattendus sont possibles, sinon même probables. Qui plus est, il ne faut pas exclure d’éventuelles nouvelles polarisations sur le clivage philosophique. Ces importantes précautions prises, il faut néanmoins constater que les voies d’une sortie du déclin du cdH et, plus largement, des partis chrétiens démocrates, paraissent pour les moins ténues.

Pascal Delwit (Université libre de Bruxelles).

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