Vendredi 22 novembre 2024
vendredi 6 octobre 2017

François Houtart (1925-2017), parcours d’un intellectuel engagé

François Houtart, sociologue de la religion, fondateur du Centre tricontinental (1979) et professeur émérite de l’Université de Louvain, est décédé le 6 juin 2017. Celui que l’on a prénommé « le chanoine rouge » dans les années 1960-1970 et « le pape de l’altermondialisme » au début des années 2000 est une figure marquante de l’engagement chrétien de gauche, des relations Nord-Sud — du tiers-mondisme à l’altermondialisme — et des réseaux scientifiques internationaux de la sociologie de la religion des années 1950 jusqu’à ce début de 21e siècle.

François Houtart est issu d’une grande famille belge. Il était baron et petit-fils de Henri Carton de Wiart, Premier ministre belge de 1920 à 1921. Il entre au Grand séminaire de Malines directement après ses études secondaires. Pendant sa période de formation sacerdotale, déjà sensible aux questions sociales, il collabore avec Joseph Cardijn, fondateur de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne).

Formé aux sciences sociales à l’Université catholique de Louvain et à l’Université de Chicago, il débute sa carrière en appliquant les méthodologies sociographiques à l’étude de diocèses dans les milieux urbains. Il participe activement aux premières Conférences internationales de Sociologie religieuse fondées à Louvain par Jacques Leclercq en 1948, et dont il est secrétaire de 1955 à 1965. Ces conférences deviennent en 1989 la Société internationale de Sociologie de la religion.

En 1954, François Houtart fonde à Bruxelles le Centre de Recherche socioreligieuse, rattaché à l’Université catholique de Louvain au début des années 1960. Il y rapatrie la revue Social Compass, Revue internationale de sociologie de la religion dont le premier numéro sort en 1953 au Pays-Bas. Il en est le rédacteur en chef de 1960 à 1999. En 1958, il participe à la fondation de la Fédération internationale des Institutions de Recherche en Sociologie religieuse (FERES). C’est la FERES qui demande en 1958 à François Houtart de coordonner la recherche sur l’état de l’Église en Amérique latine en une quarantaine de volumes et suivant la méthode et l’analyse sociologique. Ce travail est totalement innovant.  Il en fera plusieurs synthèses dont une, L’Église latino-américaine à l’heure du concile, est distribuée pendant le concile œcuménique Vatican II pour sensibiliser les évêques conciliaires aux contextes ecclésiaux, sociaux, économiques voire politiques d’Amérique latine (Houtart, 1963).

François Houtart devient un des principaux relais progressiste et visionnaire des relations entre les Églises européenne et latino-américaine alors que l’Église latino-américaine se structure et tente de sortir de l’ecclésiologie et de la théologie traditionnelles. Cette dynamique aboutit fin des années 1960 à l’émergence de la théologie de la libération, dont François Houtart sera un fidèle soutien. Expert au concile Vatican II, François Houtart a également participé à la rédaction de la constitution pastorale Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps (1965).

C’est aussi à cette période que François Houtart se lie d’amitié avec Camilo Torres, prêtre colombien qui étudie la sociologie à Louvain à partir de 1955, avant de rentrer en Colombie pour lutter contre la domination des pauvres par l’oligarchie colombienne. Déçu de l’évolution politique de son pays, Camilo Torres Restrepo s’engage auprès du mouvement de guérilla de l’Ejercito de Liberación Nacional et meurt le 15 février 1966 lors d’une escarmouche avec l’armée colombienne. François Houtart a été depuis lors un des principaux vecteurs de la mémoire de Camilo Torres Restrepo en Belgique et en Colombie.

Les engagements de François Houtart se sont ensuite tournés à partir des années 1970 vers l’Asie, où il a mené des recherche en sociologie religieuse aussi bien au Sri Lanka – sa thèse sur le bouddhisme au Sri Lanka est défendue en 1974 –, qu’en Thaïlande, en Malaisie, aux Philippines, en Corée ou au Japon (Houtart, 2004). Il s’engage également contre la guerre du Vietnam, dans le soutien des luttes de libération des colonies portugaises et contre l’apartheid en Afrique du Sud.

C’est aussi à cette époque que François Houtart applique la grille d’analyse marxiste à la sociologie de la religion, ce qui lui vaudra le surnom de « chanoine rouge ». En 1976, il fonde le Centre tricontinental à Louvain-la-Neuve qui vise au développement des rapports des pays Sud-Sud, pour plus de justice sociale. La revue du CETRI, Alternatives Sud, publiée à partir de 1994, devient le principal organe de l’institution pour publier des analyses critiques et alternatives d’intellectuels du Sud sur des sujets liés à la mondialisation, au développement et aux rapports Nord-Sud. Homme de réseaux, François Houtart profite de ses multiples expériences et des recherches qu’il mène aux quatre coins du monde pour témoigner des luttes des plus pauvres et des inégalités tant socio-économiques que politiques et écologiques ainsi que pour nourrir Social Compass et Alternatives Sud des articles de ses nombreux collaborateurs.

Au début des années 1980, il développe de nombreux contacts avec le Nicaragua en pleine révolution sandiniste et, particulièrement, avec la Universidad Centro-americana et son centre d’analyse socio-culturelle. La religion est au centre des débats. Comme il l’écrivait, les discussions mêlent « marxistes et chrétiens [faisant] cause commune pour construire une société plus juste ». Au début des années 2000, François Houtart s’engage dans le Forum social international dont le premier rassemblement se déroule à Porto Allegre en 2001 et qui promeut le mouvement altermondialiste. Par cet engagement, il reçoit son deuxième surnom de « pape de l’altermondialisme ».

En 2008, François Houtart est nommé représentant au sein de la Commission Stiglitz sur la crise monétaire et financière mondiale. En 2009, l’Unesco lui décerne le prestigieux Prix Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence. Mais, en 2010, alors qu’une campagne était en cours pour sa candidature au Prix Nobel de la Paix, une accusation de pédophilie datant de 1970 assombrit son engagement et ses dernières années de vie, accusation qu’il a reconnue en partie — bien que la justice n’ait donné aucune suite vu la prescription des faits.

François Houtart a vécu ses dernières années à l’Instituto de Altos Estudios Nacionales à Quito (Équateur) où il a continué ses divers engagements sociaux, politiques et intellectuels. L’Instituto de Quito a inauguré en juillet 2016 la chaire François Houtart sur l’Amazonie en son honneur. François Houtart était un intellectuel engagé et solidaire. Durant toute sa vie, il a gardé un regard critique, affuté et « actuel » sur les enjeux contemporains pour plus de justices sociales. Il a toujours tenté d’influer sur les luttes de « son » temps, c’est à dire le temps dans lequel il vivait.

Caroline Sappia (Université catholique de Louvain).

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