Dimanche 22 décembre 2024
vendredi 22 décembre 2017

La fréquentation des cours de religion et de morale dans l’enseignement francophone en Belgique

Le Mouvement réformateur (MR, centre-droit) a annoncé le dépôt d’une proposition de décret visant à porter d’une à deux le nombre d’heures obligatoires par semaine de cours de philosophie et de citoyenneté dans l’enseignement officiel, et d’y rendre optionnelle l’heure restante de cours de religion ou de morale non confessionnelle. Aujourd’hui, cette seconde heure de philosophie et de citoyenneté peut déjà être choisie par les élèves, en remplacement de l’heure de religion et de morale dont ils souhaitent être dispensés. Mais combien sont-ils à faire ce choix ? Et quel est le pourcentage d’élèves qui fréquentent les cours des différentes religions et de morale non confessionnelle ?

Depuis la rentrée scolaire 2016 dans le primaire, et 2017 dans le secondaire, un cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) est organisé dans toutes les écoles du réseau officiel de la Communauté française (Fédération Wallonie-Bruxelles), à savoir les établissements du réseau de la Communauté et les établissements communaux et provinciaux subventionnés. La fréquentation de ce cours est obligatoire, à raison d’une heure par semaine. Une seconde heure de philosophie et citoyenneté peut être choisie à la place du cours de morale ou de religion. Ces cours de religion ou de morale, organisés en vertu du Pacte scolaire de 1958, ont ainsi vu leur volume horaire passer désormais de deux heures à une heure par semaine.

Cette réforme a engendré de sérieuses complications pour les enseignants et pour les directeurs d’école. En outre, de nombreux acteurs de ce secteur estiment que le volume d’une heure par semaine est insuffisant tant pour couvrir l’ambitieux programme du cours de CPC que pour donner un enseignement consistant de la religion ou de la morale. On a ainsi pu lire dans le journal Le Soir du 18 décembre 2017 que trois inspecteurs de religion catholique se prononçaient en faveur d’un remodelage de l’enseignement des religions à l’école qui viserait à un cours de citoyenneté élargi, au sein duquel serait intégré un enseignement des religions. Cette proposition a immédiatement été rejetée par les évêques de Belgique, qui ont rappelé leur attachement à l’organisation actuelle des cours de religion.

Même si une nouvelle réforme des cours de religion et de morale n’est peut-être pas à l’ordre du jour immédiat, la plupart des observateurs s’accordent sur le caractère transitionnel du régime actuel, qui pose notamment d’évidents problèmes d’organisation, tant pour les directions d’école que pour les enseignants, contraints notamment de travailler dans plusieurs établissements pour compléter leurs horaires. La disparition de l’enseignement des religions reconnues et de la morale non confessionnelle de la grille horaire priverait toutefois l’observateur du fait convictionnel en Belgique de données statistiques intéressantes.

Tableau 1 : évolution du pourcentage d’élèves inscrits aux différents cours convictionnels,

Fédération Wallonie-Bruxelles, réseau officiel, enseignement ordinaire

2017-2018

2013-2014

2010-2011

Niveau primaire

r. catholique

35,76

43,0

46,8

r. islamique

21,10

18,0

15,2

r. protestante

2,25

2,1

2,0

r. orthodoxe

1,14

0,8

0,6

r. israélite

0,06

0,0

0,0

morale

29,40

35,9

35,4

CPC

10,28

-

-

Niveau secondaire

r. catholique

18,11

22,7

23,8

r. islamique

19,77

17,6

15,6

r. protestante

2,07

2,0

1,9

r. orthodoxe

0,89

0,8

0,6

r. israélite

0,11

0,1

0,2

morale

46,70

56,8

57,9

CPC

12,35

-

-

 

Ainsi que l’illustre le tableau 1, à la rentrée 2017-2018, la seconde heure de philosophie et de citoyenneté a été choisie par un peu plus de 10 % des élèves (ou leurs parents) au niveau primaire, et un peu plus de 12 % au niveau secondaire. Autrement dit, près de 90 % des élèves continuent, au moment de l’introduction du nouveau cours, à suivre l’un des cours de religion ou de morale proposés. Cette proportion s’observe tant en Wallonie qu’en Région de Bruxelles-Capitale ; il faut toutefois savoir que des différences très importantes sont observées d’un établissement scolaire à l’autre, ce que le tableau général proposé ici ne permet pas de constater.

Quels sont les cours qui à ce stade ont “perdu” des élèves au profit du cours de philosophie et citoyenneté ? En comparant les pourcentages de fréquentation des différents cours avant et après l’introduction du cours de philosophie et de citoyenneté, on note que ce sont les cours de religion catholique et de morale non confessionnelle qui ont vu leur fréquentation baisser. Toutefois, il existe une différence notable entre l’évolution de la fréquentation de ces deux cours. Alors que la baisse des effectifs du cours de religion catholique s’observait déjà avant l’introduction du cours de philosophie et de citoyenneté, qui n’a fait que l’accentuer, la fréquentation du cours de morale non confessionnelle, à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles, était stable avant cette introduction.

Comme l’illustre le tableau 2, depuis vingt ans, le cours de morale non confessionnelle concernait environ un élève sur cinq en Communauté française, tous réseaux et niveaux confondus, tandis que le cours de religion catholique avait vu sa part s’amenuiser d’un peu moins de trois-quarts des élèves à deux tiers d’entre eux. Il n’est évidemment pas surprenant que la possibilité de choisir une seconde heure de philosophie et citoyenneté se soit exercée prioritairement au détriment du cours de morale non confessionnelle : les deux cours procèdent de logiques pédagogiques très proches. Les parents ont donc logiquement préféré la cohérence d’un enseignement de deux heures par semaine avec un seul professeur. C’est la raison pour laquelle un collectif de professeurs de morale non confessionnelle s’est constitué pour défendre ce cours, rejoignant la mobilisation de la plupart des professeurs de religion en faveur du maintien des cours de religion et de morale.


Tableau 2 : évolution du pourcentage d’élèves inscrits aux différents cours convictionnels,

Fédération Wallonie-Bruxelles et région de Bruxelles-Capitale

(Tous réseaux, enseignement primaire et secondaire)

 

 

2015-2016

1996-1997

r. catholique

66,0

73,7

r. islamique

9,4

5,0

r. protestante

1,2

1,0

r. orthodoxe

0,4

-

r. israélite

0,2

0,2

morale

21,6

20,0

EPA

1,3

-

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En Région de Bruxelles-Capitale, toutefois, le cours de morale non confessionnelle reculait depuis plusieurs années, tout comme le cours de religion catholique, au profit des cours d’autres religions, ainsi que permet de le constater le tableau 3. Ces cours d’autres religions (islamique, protestante, orthodoxe et israélite) concernent de plus en plus d’élèves ; leur part totale dans l’effectif scolaire en Communauté française a presque doublé, passant, en vingt ans, de 6,2 % à 11,2 % (tableau 2). Leur fréquentation n’a guère été affectée par l’introduction du cours de philosophie et de citoyenneté : les cours des religions dites minoritaires ont continué à progresser, à l’exception du cours de religion israélite, qui voit depuis quelques années ses effectifs stagner ou diminuer.

Tableau 3 : évolution du pourcentage d’élèves inscrits aux différents cours convictionnels,

Fédération Wallonie-Bruxelles, réseau officiel, enseignement ordinaire,

Région de Bruxelles-Capitale 

2017-2018

2013-2014

2010-2011

Niveau primaire

r. catholique

16,20

21,3

23,3

r. islamique

50,70

47,5

43,0

r. protestante

4,20

4,0

3,6

r. orthodoxe

3,83

2,8

1,9

r. israélite

0,19

0,2

0,2

morale

13,99

24,3

27,9

CPC

10,91

-

Niveau secondaire

r. catholique

11,39

14,9

15,2

r. islamique

48,63

44,77

41,4

r. protestante

3,63

3,5

3,4

r. orthodoxe

2,90

2,6

2,1

r. israélite

0,28

0,4

0,7

morale

21,09

33,9

37,2

CPC

12,08

 

En Région de Bruxelles-Capitale (tableau 3), le cours de religion islamique est désormais majoritaire, étant suivi par plus d’un élève sur deux au niveau du primaire (50,70 %). Les cours de religion protestante et orthodoxe, qui rassemblent beaucoup moins d’élèves, connaissent également une croissance, sur laquelle l’introduction du cours de philosophie et de citoyenneté n’a pas eu d’impact. Cette croissance se marque particulièrement dans la Région de Bruxelles-Capitale, où ces deux cours totalisent ensemble plus de 8 % des effectifs scolaires au niveau du primaire (tableau 3). Dans la capitale, la baisse des effectifs des cours de religion catholique et de morale non confessionnelle ainsi que la hausse de la fréquentation des cours de religion islamique, protestante et orthodoxe constitue une tendances lourde, reflet d’une diversité confessionnelle accrue, pour l’essentielle héritée des mouvements migratoires du siècle dernier.

Tableau 4 : pourcentage d’élèves inscrits aux différents cours convictionnels,

Fédération Wallonie-Bruxelles et Région de Bruxelles-Capitale,

(Tous réseaux, enseignement primaire, 2016-2017)

 

Fédération Wallonie-Bruxelles

Région de Bruxelles-Capitale

r. catholique

61,53

49,66

r. islamique

12,50

29,14

r. protestante

1,47

2,51

r. orthodoxe

0,66

2,11

r. israélite

0,15

0,59

morale

17,78

9,99

CPC

5,92

6,00

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il convient rappeler qu’il existe un important réseau d’écoles libres subventionnées, pour la plupart confessionnelles, qui sont ultra-majoritairement catholiques, à côté de quelques établissements juifs, islamiques et protestants. Ainsi, au niveau des effectifs scolaires globaux, le cours de religion catholique, seul proposé dans les écoles libres catholiques, continue à être suivi par une majorité des élèves (61,53 % des élèves du primaire), qui n’est toutefois plus absolue à Bruxelles (49,66 % des élèves du primaire) (tableau 4). Eu égard à la diversification du public des écoles catholiques, la question du maintien dans ces écoles d’un cours de la seule religion catholique, et l’absence du cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté vont continuer à faire débat. Durant les prochaines années, la réforme des cours convictionnels va très probablement demeurer à l’agenda politique autant qu’à l’agenda judiciaire, plusieurs recours étant pendants devant la Cour constitutionnelle.

Caroline Sägesser (Université libre de Bruxelles).

Sources des données : pour 2017-18, Rapport ORELA 2017, à paraître ; pour 2013-2014, Rapport ORELA 2014 (2015) ; pour 2010-11, Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 2140-2141 (2012) et n° 1703-1704 (2000). 

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