Vendredi 26 avril 2024
samedi 16 juin 2018

Le couple Olangi dans le champ migratoire (post)colonial congolais : une saga très pentecôtiste

Maman Olangi (Elisabeth Wosho Onyumbe), fondatrice de la Communauté internationale des femmes messagères de Christ (CIFMC), est décédée ce 5 juin à Kinshasa, trois jours après les obsèques de papa Olangi (Joseph Ezéchiel Olangi Onasambi), président de la Fondation Olangi-Wosho (FOW) – décédé quant à lui le 1er octobre 2017 à Johannesburg. Le « couple berger »  du « ministère chrétien du combat spirituel » y résidait depuis quelques années. Pour une appréhension des enjeux transnationaux du « combat spirituel », la formation de ce ministère de « délivrance » pentecôtiste doit être positionnée dans une approche longitudinale des « réveils de pentecôte » au Congo et située dans le champ migratoire (post)colonial.

Initié en 1991 dans le contexte des dernières années de la deuxième république du Zaïre (1965-1997), le ministère Olangi compte aujourd’hui plus de 150 représentations dans le monde (Afrique, États-Unis, Europe, Asie) – dont une à Bruxelles, siège de référence pour l’Europe fondé en 1997. Il s’inscrit dans la ligne des réveils de facture pentecôtiste – évangéliques au sens générique et charismatiques par la référence à l’esprit de pentecôte – qui ont conduit des laïcs, catholiques ou protestants, à se reconvertir et à sortir des structures ecclésiales classiques pour fonder leurs propres ministères ou congrégations.

Le premier d’une longue série de « réveils de pentecôte » mentionnés dans la littérature a lieu en 1886, un an après la fondation de l’État indépendant du Congo. Il est relaté par le missionnaire baptiste américain Henry Richards dans un ouvrage intitulé « A Pentecost Revival » (cf. E. M. Braekman, Histoire du protestantisme au Congo, Bruxelles, 1961). Les « réveils de pentecôte » au Congo doivent été abordés au plus proche de leurs conditions socio-historiques d’actualisation sur le terrain où ils ont engagé des mobilités spatiales et sociales, des déplacements de sens et des recompositions sociales par la médiation du cadre rituel. Seule une perspective diachronique attentive aux référents qui circulent et se transfèrent dans l’espace transnational permet de déployer la question des médiations chrétiennes de facture pentecôtiste aux niveaux individuel et collectif.

De ce point de vue, la trajectoire du couple Olangi-Wosho est exemplaire des recompositions qui se formulent dans le champ migratoire (post)colonial et chrétien. En 1965, une année marquée par un coup d’État cinq ans après l’indépendance du Congo (30 juin 1960), Joseph Olangi émigre du Sankuru vers la Belgique avec une bourse pour financer ses études. Rejoint par Elisabeth Wosho, ils se marient à l’église Sainte-Marie de Liège en 1969. Le couple rentre au Zaïre en 1976 dans le contexte de la zaïrianisation (nationalisation) de l’économie, avec respectivement un diplôme d’ingénieur informaticien de l’Université catholique de Louvain et un graduat en sciences sociales.

À Lubumbashi, où papa Olangi est embauché à la Gécamines (ex-Union minière du Haut Katanga nationalisée en 1966), maman Olangi obtient un diplôme en sociologie industrielle (Centre interdisciplinaire pour l’Éducation permanente) et s’installe comme couturière indépendante. En seconde conversion, ils s’affilient à la Fraternité évangélique de Pentecôte en Afrique et au Zaïre fondée par Ayidini Abala, formé par l’évangéliste américain Tommy Lee Osborn. Connu sous le nom de Nzambe Malamu, « Dieu est bon » en lingala, ce mouvement est l’aile charismatique des pentecôtistes qui se sont dissociés du pentecôtisme missionnaire des Assemblées de Dieu (ADD) au Congo.

La doctrine pentecôtiste a été introduite à Kinshasa en 1964 par le missionnaire franco-suisse Jacques Vernaud, dont les baptistes et les évangéliques congolais convertis en situation coloniale se sont autorisés en situation (post)coloniale. Cette ouverture au pentecôtisme à Kinshasa résulte de la rencontre entre un mouvement endogène en filiation avec l’esprit de pentecôte des évangéliques suédois (Sweden’s Moody Fever) et un mouvement exogène issu des ADD de France puis des États-Unis avec l’arrivée du missionnaire William Lovick à Kinshasa en 1968. La dissociation des ADD du Congo procède de la croisade de T. L. Osborn à Kinshasa en 1969. Pour l’histoire passée sous silence, notons que l’année 1969 au Congo est également marquée par un massacre d’étudiants dans les universités.

En 1982, le couple Olangi quitte Nzambe Malamu pour fonder un groupe de prière charismatique appelé « Vie comblée », en référence à T. L. Osborn qui a généré de nombreux born again dans son sillage. En 1984, Joseph Olangi est nommé directeur de l’informatique à la Société nationale d’Électricité et le couple quitte Lubumbashi pour s’installer à Kinshasa, où ils s’investissent dans le Full Gospel du Business Men’s Fellowship International (hommes d’affaires du plein évangile). Interconfessionnel, le Full Gospel est accrédité dans un contexte de démultiplication des groupes de prière charismatiques issu d’un réveil transconfessionnel (catholiques et protestants) et suivi de la reconnaissance du « renouveau dans l’esprit » par l’Église catholique du Zaïre en 1980.

Les protagonistes du Full Gospel introduit au Zaïre en 1983 obtiennent la personnalité civile en 1987 grâce à la recommandation de feu le cardinal Malula. Les élites urbaines congolaises rejoignent la mouvance pentecôtiste-charismatique par le Full Gospel et maman Olangi est alors coreligionnaire de maman Tshibambe, l’épouse du pasteur Tshibambe, représentante pour le Zaïre de la Christian Women Fellowship International créée au Nigeria par l’épouse de l’archevêque Idahosa.

La nouveauté introduite au Congo/Zaïre dans la foulée du Full Gospel est l’idée de « ministère de couple » et la promotion d’une idéologie de sanctification du couple contre l’union libre et la bureaugamie. Le couple Olangi n’est pas le seul de ce point de vue même si, à la mode nigériane, il est certainement le plus médiatique. Il a aussi poussé le combat spirituel à son paroxysme. Au regard de l’idéologie du recours à « l’authenticité » décrétée par le président Mobutu en 1971, le combat spirituel est dirigé contre les traditions et les coutumes, même si celles-ci ont été remodelées en situation coloniale. Des noms d’ascendants sont diabolisés tandis que des prénoms de seconde naissance sont empruntés à l’Ancien Testament (Amos, Moïse, Esther, Ruth, etc.) ou inventés (tel Rabedi, contraction de « race bénie de Dieu »).

L’anamnèse qui est pratiquée dans les « cures d’âme » vise la rupture avec le passé, si caractéristique des chrétiens pentecôtistes motivés par la délivrance et la nouvelle naissance. Le récit biblique, surtout vétéro-testamentaire, est mobilisé pour « faire du passé table rase », ce qui conduit finalement à faire l’impasse sur les mémoires coloniale et postcoloniale. Un corps de doctrine s’est constitué par la conception d’un cursus d’enseignements très contraignants pour les adeptes, lesquels sont soumis à des régimes de retraite spirituelle drastique, de trois à quarante jours selon l’état d’avancement dans le processus de délivrance, où qu’ils soient expatriés dans le monde.

Ce qui distingue le ministère Olangi dans le paysage pentecôtiste-charismatique contemporain est son emprise forte sur les structures familiales transnationales. Ils défendent une ligne évangélique pure et dure en matière d’alliance – mariage monogamique hétéro-normé – et une ligne pentecôtiste de rupture en matière de filiation, attestant d’un rapport agonistique jugé excessif par leurs détracteurs en République démocratique du Congo. De la même manière que des fétiches ont été brûlés lors des conversions en situation coloniale, certains fidèles olangistes procèdent à de petits autodafés domestiques qui consistent à brûler des photos de famille en situation postcoloniale.

Ironie du sort, ce double décès à quelques mois d’intervalle fait l’effet d’un coup de théâtre dans un contexte de crise de légitimité démocratique en RDC. Signe de leur influence, le rapatriement du corps de Joseph Ezéchiel Olangi depuis Johannesburg et ses obsèques à Kinshasa ont été retransmis par la première chaîne de télévision nationale. Le chef de l’État, qui brigue actuellement un troisième mandat, a également instruit le gouvernement pour accompagner les parties concernées dans l’organisation des obsèques de maman Olangi prévues du 21 au 23 juin prochain à la Cité de Triomphe à Limete/Kinshasa, une concession de la FOW qui peut rassembler plus de 20.000 fidèles. Le couple laisse sept enfants. Entre filiation biologique ou spirituelle, une question qui s’est également posée au moment de la reconnaissance de l’Église kimbanguiste (EJCSK/Eglise de Jésus-Christ sur la Terre par le prophète Simon Kimbangu), c’est la première qui semble prévaloir. Leur fils David Guy Olangi avait été désigné comme successeur de papa Olangi lors des festivités du 20e anniversaire organisées en 2011. Selon certaines sources, leur fille Rachel Olangi reprendrait les rênes de la CIFMC.

Pendant près de trois décennies, ce couple iconique a dirigé d’une main de fer un ministère de « délivrance » associé à l’idéologie pentecôtiste de la prospérité, et il a généré une véritable multinationale du combat spirituel tout en réussissant à maintenir la centralité de Kinshasa comme pôle de rayonnement pour les évangélistes en déplacement et les fidèles olangistes expatriés en diaspora. Son héritage, dans un contexte d’incertitude et de violence politique, reste un défi à relever.

Bénédicte Meiers (Université catholique de Louvain et Université de Liège)

Pour une étude détaillée : Le Dieu de maman Olangi. Ethnographie d’un combat spirituel transnational (Louvain-la-Neuve, Académia/L’Harmattan, 2013).

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