Lundi 25 novembre 2024
jeudi 8 mai 2014

La canonisation de Jean XXIII et la mémoire d’un concile toujours d’actualité

Le 27 avril, le pape François a célébré la canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II. Le sens de cette double canonisation n’est pas sans intérêt pour les historiens de l’Église contemporaine. En effet, Jean XXIII est le pape de Vatican II, un pape qu’on voulait « de transition » et qui est pourtant passé à l’histoire pour avoir voulu renouveler le catholicisme. L’interprétation de l’aggiornamento est cependant une question qui – cinquante ans plus tard – fait encore débat chez les théologiens. Le fait que le pape François ait canonisé l’homme du concile en même temps que Jean-Paul II (pape charismatique, mais pas vraiment progressiste) pose question. Quelle direction le renouvellement du catholicisme est-il en train de suivre ?

Le débat remonte évidemment à l’époque du concile, à l’« esprit » que Jean XXIII aurait voulu lui donner. Dans le discours d’ouverture du 11 octobre 1962, Jean XXIII affirme que le concile « veut transmettre dans son intégrité, sans l’affaiblir ni l’altérer, la doctrine catholique ». Cependant, « il faut, disait-il, que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui réponde aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée ».

Si les progressistes ont attaché beaucoup d’importance aux termes de l’aggiornamento, il faut reconnaître que le texte de Jean XXIII est moins « progressiste » qu’on ne le pense. Certes le pape a vraiment voulu un « renouvellement » : il a imposé à la Curie un concile qu’elle ne pensait ni nécessaire, ni souhaitable. Toutefois, la distinction entre la « vérité » et la « forme » affaiblit le projet initial de l’aggiornamento. La terminologie renvoie en fait directement aux catégories intellectuelles du XIXe siècle, et plus précisément à la théologie du concile Vatican I. C’est clairement lisible dans l’idée du « dépôt sacré de la doctrine chrétienne », une conception qui caractérise la constitution dogmatique Dei Filius (1870) : « La doctrine de la foi que Dieu a révélée n’a pas été livrée comme une invention philosophique aux perfectionnements de l’esprit humain, mais elle a été transmise comme un dépôt divin à l’Épouse du Christ pour être fidèlement gardée et infailliblement enseignée ».

Comme le texte le laisse entendre, la foi est comprise comme adhésion à cette « doctrine », à ce bagage de « vérités » clairement identifiées dans l’enseignement de l’Église. La nature éminemment conceptuelle de ces « vérités » aboutit à la difficulté de proposer un renouvellement qui ne concerne que la « forme », qui ne soit que « pastorale ». Comment envisager un aggiornamento, dans ces conditions ?

Si par la convocation d’un concile, Jean XXIII exprimait l’urgence de dépasser la tradition néoscolastique précédente – celle qui gardait la « foi » comme un « dépôt » –, le langage par lequel il amorce cette tâche n’arrive pas à s’en détacher. Nonobstant des débuts sous le signe de la « pastorale », Vatican II a amené des apports majeurs sur le plan épistemologique. La constitution dogmatique Dei Verbum (1965) est un document qui se distingue par son effort pour dépasser le langage et le paradigme intellectualiste, caractérisant Vatican I. Le changement se laisse remarquer au niveau de la conception de la révélation en tant qu’événement : « Cette économie de la Révélation se réalise par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles ».

Par-là, le document conciliaire essaye de confirmer la direction prise par les courants protagonistes du renouvellement de la théologie dans les décennies qui précèdent Vatican II. Mais il ne faut pas, pour autant, en tirer une conclusion qui serait exagérée dans sa signification politique. Joseph Ratzinger en donne un bon exemple. À la fin des années cinquante, le futur Benoît XVI développe une conception de la révélation en tant que « compréhension », qu’il oppose à celle de la néoscolastique, appuyée jadis par la Curie. Mais quel usage fait-il de cette conception herméneutique ? Si la révélation n’est pas le « dépôt » des vérités à croire, mais bien l’« événement » de la compréhension du texte, il reste que la « compréhension » n’est possible qu’à partir de la tradition : « L’Écriture est le témoignage essentiel de la Révélation, mais la Révélation est quelque chose de vivant, de plus grand et, plus encore, elle est interpellation et écoute, sinon elle n’est justement pas révélation. (…) C’est précisément ce débordement de l’Écriture par la Révélation que l’on ne peut encore une fois enfermer dans un codex de formules, que nous nommons ‘Tradition’ ». Si la révélation ne correspond pas à un « codex de formules », c’est pourtant la Tradition qui recueille et accueille l’« événement ».

Le changement est bien présent, et il faut le souligner, mais il n’a rien de « progressiste ». C’est pourquoi la double canonisation récente répète et confirme au fond une interprétation assez typique du « renouvellement » au sein de l’Église catholique, qui résiste à toute précipitation révolutionnaire. Selon les mots de l’homélie du pape François : « Jean XXIII et Jean Paul II ont collaboré avec le Saint-Esprit pour restaurer et actualiser l’Église selon sa physionomie d’origine, la physionomie que lui ont donnée les saints au cours des siècles. N’oublions pas que ce sont, justement, les saints qui vont de l’avant et font grandir l’Église ». La canonisation de ces deux papes-là est sans doute représentative du chemin choisi par l’Église.

Elena Torri (Université libre de Bruxelles).

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