« Dans cette Révolution Française, tout, jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué ; tout a été […] amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices au complot ». Ainsi s’exprimait, dans un texte célèbre, l’abbé Augustin de Barruel (Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1798-1799).
Il ne fut certes pas le premier à attribuer la Révolution française à la conspiration des francs-maçons, mais l’idée d’un complot permanent, qu’il élabora au lendemain de la Révolution, marquera pour des générations la pensée antimoderniste, de sorte que nombre de théories autour du complot n’ont été que des avatars des écrits barruéliens, et que l’antimaçonnisme des XIXe et XXe siècles, la principale incarnation de la rhétorique du complot, n’est en fin de compte qu’une longue resucée de sa pensée.
Les délires conspirationnistes qui, depuis Barruel, ont entretenu l’imaginaire du soupçon dans nos sociétés peuvent bien entendu être balayés d’un revers de main, parce qu’ils ne sont après tout que l’expression d’une vision magique du politique. Mais ce serait un peu court. Les théories du complot permanent puisent le plus souvent aux mêmes sources, se nourrissent depuis deux siècles de la même historiosophie, répondent à des mêmes schèmes rhétoriques et offrent une explication générale des maux du monde qui structure maints discours contemporains sur le réel.
L’Église catholique, mise à mal par la modernité, a joué à la fin du XIXe siècle un rôle capital de ce point de vue. D’abord, elle a condensé et popularisé un discours qui reposait jusque-là sur la complexité et la confrontation documentaire avec des adversaires dont le propos était davantage étudié et disséqué. Ensuite, elle a préparé le terrain à la sécularisation de motifs qui s’énonçaient pour l’essentiel dans un registre religieux. Car ce sont les usages politiques de conceptions théologiques ou apologétiques (comme les notions d’hérésie, de secret, de prophétie, voire la figure du diable…) qui ont offert au discours complotiste une profondeur causale légitimée par la doctrine de l’Église et l’Institution ecclésiale.
L’idée du complot est d’une puissance redoutable parce qu’elle mobilise les ressorts de la pensée mythique — le mythe ayant précisément pour fonction de tout expliquer. Elle relève du mythe aussi parce qu’elle suggère un dédoublement du monde, la réalité apparente n’étant que le voile derrière lequel opèrerait un autre monde, insaisissable, qui en fixerait les règles et les lois, et serait le lieu véritable du pouvoir. Pierre-André Taguieff a montré que le principal véhicule textuel en fut les Protocoles des Sages de Sion, dont il a décortiqué les formes du discours et les avatars.
Toutefois, le discours officiel de l’Église catholique a fortement concouru à entretenir ce mythe politique d’une prétendue puissance cachée, organisatrice du désordre social et politique, trente ans avant la diffusion des Protocoles. L’encyclique Humanum Genus du Pape Léon XIII, fulminée en 1884, point d'orgue de l'antimaçonnisme catholique et matrice de nombreuses théories du complot, s’inscrit au cœur de cette logique — aucune condamnation papale de la franc-maçonnerie n’avait auparavant été aussi sévère. Humanum Genus constitue en effet un tournant fondamental : ce qui était ressassé sur la conspiration moderniste antichrétienne d’inspiration satanique, et ce depuis l’abbé Barruel, sera ici synthétisé dans la doctrine de l’Église, qui fit désormais de l’antimaçonnisme un combat au cœur de son action, lui offrant une formidable chambre d’écho.
La substance du propos du Pape tient dans ces premières lignes de l’Encyclique : « Les fauteurs du Mal paraissent s’être coalisés dans un immense effort, sous l’impulsion et avec l’aide d’une Société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons ».
La théorie de la conspiration, dans ses ressorts rhétoriques comme dans l’argumentaire théologique, est ainsi tout entière dans le discours explicatif d’Humanum Genus. Les conceptions qui seront développées ultérieurement, nourrissant le mythe politique du complot mondial, relèveront souvent d’une sécularisation de conceptions théologiques et du fantasme papal d’une conspiration pour ainsi dire ontologique.
L’Église se considère en effet, dans la seconde partie du XIXe siècle, comme une citadelle assiégée en permanence par les forces du Mal. Elle identifie la franc-maçonnerie — ou son avatar judéo-maçonnique — comme le lieu par excellence qui symbolise ce Mal, à savoir le changement du monde moderne. Et c’est au nom de sa conception de la société parfaite qu’elle va condamner la franc-maçonnerie avec une violence qu’elle n’a appliquée, canoniquement, à aucune autre institution. Incarner les forces agissantes de la modernité dans le diable, c’est affirmer clairement que, en dehors de l’Église, aucune voie du Salut n’est légitime.
Jean-Philippe Schreiber (ULB).
Orientation bibliographique :
P.-A. Taguieff, La foire aux Illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et Une Nuits, 2005
Id., Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg, 1992.
L'Arabie saoudite a bloqué un millier de Nigérianes venues accomplir le Hadj, le grand pèlerinage, obligation pour tout musulman pieux. Motif, selon l'autorité du pèlerinage au Nigeria: les Saoudiens exigent que les femmes soient accompagnées d'un marham - un «gardien» mâle. Selon le journal nigérian The Daily Trust, les femmes arrivées à bord de plusieurs vols ont été immédiatement séparées des hommes et sommées de désigner leur gardien, qui doit être le mari, ou à défaut le père, un frère ou un oncle, dans cet ordre — Elles voulaient prier à La Mecque, Djedda a refusé (Pierre Prier, Le Figaro)
Depuis dimanche 23 septembre, les autorités saoudiennes refusent l’entrée dans leur pays à des femmes nigérianes sous prétexte qu’elles ne sont pas accompagnées par des hommes — Un millier de Nigérianes sont toujours retenues à l’aéroport en Arabie Saoudite (La Croix)
La franc-maçonnerie est dans les délires conspirationnistes la coalisation des forces du Mal, le point central d’où tout procède et où tout aboutit, synthèse du caractère polymorphe de l’ennemi. Selon l’Encyclique Humanum Genus : « Il existe dans le monde un certain nombre de sectes qui, bien qu’elles diffèrent les unes des autres par le nom, les rites, la forme, l’origine, se ressemblent et sont d’accord entre elles par l’analogie du but et des principes essentiels. En fait, elles sont identiques à la franc-maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point central d’où elles procèdent et où elles aboutissent ».
Elle est la « mère de toutes les sociétés secrètes » écrira l’évêque québécois Laflèche. Le mal paraît protéiforme, mais en réalité ramène à la même essence diabolique, cumule tous les maux du passé ; la franc-maçonnerie est la synthèse de toutes les hérésies. Ce discours simplifie le réel : les ennemis sont assimilés les uns aux autres plutôt que différenciés. La Constitution Ecclesiam a Iesu Christo de 1821 avait ainsi élargi les griefs adressés à la franc-maçonnerie à toutes les sociétés clandestines, alimentant les amalgames qui suivront ; procéder par l’amalgame et l’analogie vise à laisser supposer le caractère d’universalité de la conspiration.
La franc-maçonnerie est certes une société homogène, armée d’un projet conspirateur. Mais elle est tout à la fois régie par un principe séparateur : cette société est hiérarchisée ; les grades inférieurs n’ont pas accès aux mystères ; les grades supérieurs manigancent des plans occultes que les premiers ignorent. Il y aurait donc plusieurs niveaux dans le complot : c’est la société secrète dans la société secrète : l’Encyclique Humanum Genus sanctionne, théologiquement, la thèse barruélienne des Supérieurs inconnus.
Il s’agit dès lors de dévoiler le vrai pouvoir caché derrière le pouvoir apparent ou, comme l’écrivait Mgr. de Ségur, de faire apparaître la maçonnerie secrète que cache la maçonnerie visible — d’où tout le jeu rhétorique entre l’ombre et la lumière, entre visible et invisible. On peut supposer que la théorie des mystères, des hauts grades opaques et des supérieurs inconnus est mobilisée du fait même que les ouvrages de révélation ont permis de se rendre compte que la franc-maçonnerie n’avait rien de bien épouvantable. Il faut donc en quelque sorte créer une autre franc-maçonnerie, bien plus redoutable, bien plus occulte — la franc-maçonnerie ordinaire n’est que l’antichambre de la véritable société secrète.
La thèse des supérieurs inconnus procède de l’idée d’un gouvernement occulte, tirant les ficelles économiques et politiques, œuvrant en secret à confisquer le pouvoir : cette idée traverse l’histoire politique de l’antimaçonnisme et des théories du complot et puise dans l’antimaçonnisme théologique depuis la Constitution Ecclesiam a Iesu Christo de 1821. Cette théorie implique qu’une vision providentielle de l’histoire soit remplacée par celle d’un plan réalisé par une minorité secrète. Au pouvoir de l’Église se substitue progressivement celui d’une force sociale active, insaisissable, qui agit rationnellement sur le cours de l’histoire, comme l’explique Pierre-André Taguieff.
C’est un double mouvement complotiste : tout à la fois, il tente de subvertir le pouvoir, et il est déjà dans le pouvoir ; il est le vrai pouvoir désormais — le gouvernement invisible —, et il convient donc de l’en déloger. Toujours selon l’Encyclique : « Dans l’espace d'un siècle et demi, la secte des francs-maçons a fait d'incroyables progrès. Employant à la fois l’audace et la ruse [ce sont les attributs du Malin], elle a envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des États modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté ».
Avec les années 1860, en Allemagne puis en France, la rhétorique antimaçonnique va s’emparer de la thématique juive pour fustiger la conspiration antichrétienne à l’œuvre dans la modernité européenne. En faisant de la coalition des maçons et des juifs une instance intrinsèquement « complotrice », ce discours a redoutablement gagné en performance, peu de mythes ayant eu dans l’histoire une efficacité symbolique aussi forte.
L’ouvrage de Henri Gougenot des Mousseaux (Les Juifs, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, 1869) a pour objectif de démontrer les liens organiques entre franc-maçonnerie et judaïsme, les juifs ayant pu grâce au relativisme religieux de l’ordre maçonnique investir la société chrétienne. Accentuant la logique de la thèse barruélienne, Gougenot des Mousseaux judaïse les supérieurs inconnus : le judaïsme serait donc le deus ex machina qui manipulerait la franc-maçonnerie à sa guise. Et Humanum Genus d’insister sur la perte de la souveraineté temporelle du Pape, le démembrement des territoires pontificaux étant souvent imputé aux juifs.
Jean-Philippe Schreiber (ULB).
Orientation bibliographique :
P. Rajotte, Les mots du pouvoir ou le pouvoir des mots. Essai d'analyse des stratégies discursives ultramontaines au XIXe siècle, Montréal, Ed. de l’Hexagone, 1991.
P.-A. Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg, 1992.
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"A l'approche de l'élection présidentielle du 7 octobre, les relations déjà exécrables entre le président vénézuelien et l'Eglise catholique semblent se crisper encore davantage" — Hugo Chavez et l'Eglise, les liaisons tumultueuses (La Vie)
"Impossible, lors d’un trajet en voiture à travers le Liban, d’ignorer l’arrivée de Benoît XVI : sur les principales artères qui mènent à Beyrouth, le pape est partout. Des milliers de drapeaux jaune et blanc, les couleurs du Vatican, annoncent l’imminence de la venue du pape et de sa délégation. Sur un gigantesque portrait accroché contre la façade d’un immeuble d’affaires, on peut lire en arabe : « Je suis venu vous apporter la paix. » " — Les Libanais attendent du pape un message de paix pour le monde arabe (François-Xavier Maigre, La Croix)
"Buddhism, Islam, and Christianity are facing significant restrictions in China but they are also finding new ways to circumvent such obstacles and even compete with each other, according to new research. Some of these new developments dovetail with the rapid economic expansion of Chinese cities" — China: religious revival reaching into businesses and driven by competition (
"Les leaders des communautés chrétiennes orthodoxe et catholique, ainsi que des communautés musulmane et juive de Bosnie ont lancé dimanche à Sarajevo un appel à la paix, lors d'un rare rassemblement interreligieux de cette envergure sur une terre qui souffre encore des séquelles des conflits des années 1990" — Chrétiens, musulmans et Juifs prient pour la paix à Sarajevo (AFP, La Libre Belgique)
Le 7 octobre, le président vénézuélien Hugo Chavez brigue un troisième mandat. L’opposition a choisi comme candidat Henrique Capriles Radonski, ancien gouverneur de l’Etat de Miranda (à l'est de Caracas). Chavez se présente lui-même comme « candidat de la patrie ». Il a donc désigné son opposant comme le « candidat de l’anti-patrie ». C’est un classique du répertoire nationaliste : ainsi, « l’anti-France » désignait pêle-mêle les juifs, les maçons, les communistes... — Les dérapages antisémites de la campagne de Chavez au Venezuela (Blog America Latina, Le Monde)
Pakistani Blasphemy Case: Christian Girl Granted Bail. A mentally challenged, 14-year old Christian girl was released from prison after an investigation found that a Muslim cleric might have falsely accused her of burning pages of the Quran, an act of blasphemy punished by life in prison in Pakistan (Rebecca Santana, Associated Press/Huffington Post)
"Instruction civique, "petit débat philosophique", morale laïque... Les années passent, les intitulés changent et les ministres de l'éducation nationale continuent régulièrement d'annoncer le retour de la morale à l'école, instaurée en 1882 par la IIIe République, supprimée en 1968 et rétablie au milieu des années 1980. Avant l'annonce, le 29 août, par Vincent Peillon, d'instaurer "une morale laïque (...) du plus jeune âge au lycée", plusieurs de ses prédécesseurs avaient manifesté une telle intention" — 1882-2012 : l'éternel retour de la morale à l'école (François Béguin, Le Monde)
"Patrick Cabanel, professeur d'histoire contemporaine à Toulouse-II-Le Mirail et auteur du Tour de la nation par des enfants. Romans scolaires et espaces nationaux, XIXe-XXe siècle (Belin, 2007), réagit à l'annonce, mercredi 29 août par le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, de la mise en place d'un enseignement d'une "morale laïque" "du plus jeune âge au lycée"" — Enseignement de la morale : "Une nostalgie de l'école de la IIIe République" (François Béguin, Le Monde)
"Sun Myung Moon, fondateur de l’Eglise de l’Unification, devenue un empire économique prospère et également connue sous le nom de secte Moon, est mort dans la nuit de dimanche à lundi en Corée du Sud à l’âge de 92 ans" — Le fondateur de la secte Moon est décédé (AFP, Le Soir)
"Messie autoproclamé, fondateur de l'Eglise de l'unification, connue sous le nom de "secte Moon" et pour ses mariages de masse, et à la tête d'un véritable empire industriel, le révérend Moon Sun-myung est décédé, lundi 3 septembre, au centre médical international de Cheongshim, à Gapyeong, à une soixantaine de kilomètres à l'est de Séoul, en Corée du Sud" — Moon Sun-myung, messie autoproclamé (Philippe Mesmer, Le Monde)
"Benyamin Netanyahou avait sollicité l'aide d'Ovadia Yossef, chef spirituel du parti Shass, pour attaquer la République islamique. Décryptage" — Israël : un rabbin influent appelle à prier pour la destruction de l'Iran (Armin Arefi, Le Point)
"In a country where many still call his religion a 'cult', Republican candidate – and fellow Mormons – have often seen their beliefs used against them in public life" — Mitt Romney embraces his Mormonism in public after years of discretion (Gary Younge, The Guardian)