Les députés du Koweit ont décidé jeudi 12 avril 2012 que le blasphème et les insultes envers Dieu, le prophète Mohammed et ses femmes seraient désormais passibles de la peine de mort. Ce nouvel amendement du code pénal fera l'objet d'une seconde lecture avant sa promulgation par le gouvernement — Koweit : le blasphème sera passible de la peine de mort (Mikael Corre, Le Monde des Religions)
La Cour suprême du Brésil a autorisé jeudi l'avortement dans le cas de foetus atteints d'anencéphalie (sans cerveau), une brêche dans la rigoureuse loi anti-avortement en dépit des protestations de groupes religieux — Brésil: la Cour suprême autorise l'avortement en cas de foetus sans cerveau (AFP, Romandie)
"Tombouctou, aux portes du désert, est une cité historique sur le plan culturel, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Ses mosquées, son architecture et surtout ses manuscrits anciens témoignant de l'âge d'or de l'université de Sankoré préoccupent l'Unesco, qui redoute pillages et trafics" - Tombouctou, patrimoine mondial aux mains des islamistes ? (Valérie Marin La Meslée, Le Point)
"Forts de leurs succès électoraux, les islamistes égyptiens, longtemps prudents, se montrent de plus en plus assurés face aux libéraux et à l'armée, comme en témoigne leur décision de présenter un candidat à la présidentielle. L'analyse de Bernard Rougier, directeur du Cedej, au Caire" - Égypte: "les Frères musulmans ne veulent pas partager le pouvoir" (Catherine Gouëset, Le Vif.be)
"Les 200 chrétiens demeurés dans la ville de Gao craignent pour leur sort après que le bureau local de la Caritas et l’église de la ville aient été détruits par les islamistes. La Croix-Rougede Belgique est également freinée dans sa distribution de vivres" - Mali: Les chrétiens ont peur, la crise alimentaire est imminente (Apic/Fides/Croix-Rouge/SB, Catho.be)
"Les islamistes armés semblaient l'emporter sur les rebelles touareg dans le nord du Mali, notamment à Tombouctou où trois des principaux chefs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont été signalés mardi, tandis que les putschistes de Bamako, au ban de toute l'Afrique de l'Ouest, chercheraient une sortie honorable" - Mali: les islamistes prennent le dessus au Nord (AFP, La Libre Belgique)
"L'Église copte orthodoxe d'Égypte a décidé de boycotter la commission chargée de rédiger la future Constitution, composée à majorité d'islamistes, rejoignant les partis laïques et l'institution sunnite d'Al-Azhar qui ont déjà annoncé leur retrait, a-t-on appris lundi" - Égypte : l'Église copte boycotte la commission constituante (AFP, Le Point)
"Ironie du sort, c'était une promesse de Khairat el-Shater lui-même, formulée en avril 2011, quelques semaines après la révolution de janvier, pour rassurer les Égyptiens et au-delà les puissances occidentales: les Frères musulmans, respectueux de l'équilibre des pouvoirs démocratiques, ne présenteront pas de candidat à la présidentielle" - Les Frères musulmans visent la présidence égyptienne (Marion Guénard, Le Figaro)
Le penseur et prédicateur musulman Tariq Ramadan a porté sur les assassinats de Toulouse et Montauban des appréciations qui ont suscité, il faut bien le dire, nombre de réactions indignées. En effet, dans l’analyse qu’a faite Tariq Ramadan des motivations du tueur, Mohamed Merah apparaît comme « un grand adolescent, un enfant, désœuvré, perdu » ; « le problème de Mohamed Merah, écrit-il, n’était ni la religion ni la politique » ; il était un « citoyen français frustré de ne pas trouver sa place, sa dignité, et le sens de la vie dans son pays ». L’explication sociale de M. Ramadan ne peut que surprendre, alors que l’auteur des tueries a lui-même justifié son action au nom d’un « djihad » islamique.
La pérégrination récente à travers l’île de la Vierge de la Charité du cuivre, la patronne de Cuba, illustre la nouvelle approche de la religion par les autorités cubaines — Cuba : entre l’Eglise et l’Etat, des relations ambiguës (Geneviève Delrue, RFI)
La Chine réfute un rapport américain sur la liberté religieuse (Radio Chine Internationale)
"Voilà l'un des hommes les plus occupés de Bamako. L'imam Mahamoud Dicko est le président du Haut conseil islamique du Mali (HCI) et il cherche des solutions pour éviter que le pays ne sombre dans la violence" - Un responsable religieux au secours du Mali (Jean-Philippe Rémy, Blog Africa Nova, Le Monde)
"A Philippine Catholic school is withholding the diplomas of six high school boys who uploaded Facebook photos that appear to show them kissing each other, an education official said on Friday" - Philippine Catholic school punishes boys over Facebook photos (AP, The Guardian)
"Fidel Castro a eu « une conversation très animée » avec le pape Benoît XVI, qu’il a notamment interrogé sur le sens des changements liturgiques à la messe, a indiqué le porte-parole du Saint-Siège Federico Lombardi" - Fidel Castro et Benoît XVI ont eu un « échange intense » mais « cordial » (AFP, La Libre Belgique)
"Au dernier jour de sa visite à Cuba, le Pape s'est entretenu pendant trente minutes avec l'ancien président. Au menu des discussions : la réforme liturgique, le rôle du Pape et d'autres questions culturelles" - Que se sont dit Benoît XVI et Fidel Castro ? (Jean-Marie Guénois, Le Figaro)
Amorcé au XVIIe siècle (avec, par exemple, les grandes figures d’Isaac Newton en physique, ou de René Descartes en philosophie), un mouvement de fond va modifier radicalement en deux siècles les fondements du monde occidental. Ce que l’on a appelé en France « les Lumières » (avec Voltaire, Denis Diderot, Jean-Jacques Rousseau…) et en Allemagne l’« Aufklärung », est un mouvement intellectuel caractérisé par la volonté de penser par soi-même, indépendamment des autorités traditionnelles, même et surtout si elles se prétendent fondées sur une Révélation. Le mot d’ordre est : « Sapere aude ! » (Ose savoir !). Tout homme se voit appelé à devenir adulte, c’est-à-dire à s’émanciper des tutelles héritées du passé et à assumer la responsabilité de ce qu’il pense et fait. Rationalisme donc, et individualisme.
Cette révolution dans la manière de penser bouleverse l’image que l’on a du monde matériel : la physique mathématique de Newton remplace la physique qualitative héritée d’Aristote, la conception biblique de la création perd sa pertinence scientifique, la Terre n’est plus le centre de l’univers…). Plus tard, Charles Darwin (1809-1882) formule la théorie de l’évolution par la sélection du plus apte, où le plus complexe naît du plus simple : l’Homme n’est donc plus le fleuron de la création, voulu par Dieu, but et justification du monde ; il descend, au terme d’une série d’accidents génétiques, des formes les plus frustes de la vie et, ultimement, constitue une branche, la plus jeune et la plus complexe, de la famille des grands anthropoïdes, au sein de laquelle il cousine avec les singes...
Ces deux « blessures narcissiques » (comme dira Sigmund Freud) vont de pair avec un ébranlement profond de l’ordre sociopolitique : la Révolution française (1789) abolit la monarchie de droit divin (où le roi occupe le trône « par la grâce de Dieu ») et l’Ordre social traditionnel né au Moyen Âge et instaure l’égalité de tous devant la Loi. Celle que le peuple se donne souverainement à lui-même : la démocratie est le régime où le peuple, « éclairé » par la Raison, choisit librement de vivre sous la loi qu’il se donne (régime d’« autonomie », qui abolit l’« hétéronomie » qui prévalait sous l’Ancien Régime).
Enfin, on ne perdra pas de vue le substrat économique de ces processus : le développement fulgurant du capitalisme qui, de pair avec un progrès technologique accéléré, engendre la révolution industrielle du XIXe siècle. L’Occident – fasciné par le « Progrès » – domine décidément la planète, au prix d’un coût humain considérable : luttes sociales acharnées à l’intérieur, colonialisme à l’extérieur.
Dans ce contexte, la situation des Juifs se modifie en profondeur. Le philosophe Moïse Mendelssohn (1729-1786) est le premier Juif à s’affranchir des limites du monde traditionnel. À sa suite, ils seront nombreux à apprendre l’allemand (et le français, et l’anglais, et le russe…), à s’habiller à l’occidentale, à absorber avec enthousiasme la science et la culture européenne (où ils vont d’ailleurs souvent briller). Le dynamisme économique et social des Juifs est considérable.
Le climat universaliste du temps prend une forme radicale avec la Révolution française, qui abolit les anciennes références identitaires, y compris pour les Juifs, tout en permettant à ceux-ci de maintenir leur spécificité : ils sont désormais des citoyens de plein droit (des hommes libres et responsables parmi leurs semblables) « de confession mosaïque » (c’est-à-dire qui, à titre personnel, ont le droit d’adhérer s’ils le souhaitent à la foi de leurs pères, et dans les formes qui leur agréent). Reconnus dans leur humanité, ils vont participer avec passion à l’aventure commune du monde occidental. Le système consistorial assure leur représentation devant l’État en tant que communauté religieuse, constituée sur base de la libre adhésion. Leur statut sera envié par bon nombre des Juifs qui continuent à vivre dans des pays (Russie tsariste, Pologne…) restés dominés par les structures d’Ancien Régime.
C’est une authentique libération – et célébrée comme telle, dans des termes exaltés au ton quasi messianique – que vivent par là les Juifs d’Occident. Elle implique la réduction drastique – il est vrai engagée de longue date – de l’autonomie des communautés juives et donc du domaine d’application de l’orthopraxie. La réduction définitive et de principe du substrat institutionnel millénaire de l’existence juive à une réalité purement « religieuse » (confessionnelle) sans pouvoir de coercition aucun confronte désormais chaque Juif à la nécessité de définir à nouveaux frais sa judéité. Une nouvelle conscience juive naît et, avec elle, la « question juive ». L’évidence identitaire traditionnelle fait place au questionnement. La question de savoir « qui est juif » se pose désormais de manière permanente. Divers mouvements d’aggiornamento religieux se développent, modulant des réponses. Et la possibilité se fait jour de vivre et de penser sa judéité sans relation immédiate à la tradition religieuse.
La haine des Juifs va, dans cet environnement, changer de structure. Non qu’on oublie le triste héritage médiéval. Bien au contraire. Les Églises (surtout catholique et orthodoxe), supports idéologiques de l’Ancien Régime menacé ou aboli, irréductiblement opposées à la modernité qu’elles tiennent pour athée, matérialiste et viscéralement antichrétienne, ne manquent jamais de réactiver les anciens stéréotypes. D’autant plus facilement que les Juifs, bénéficiaires de la Liberté moderne et qui ne se font pas faute de l’exercer avec brio, ne peuvent à ses yeux qu’avoir été, sinon la cause, du moins l’une des causes majeures de l’effondrement de l’Ordre voulu par Dieu. L’« arrogance » des Juifs, déicides et partout présents dans la société moderne matérialiste qui veut la mort de l’Église, est intolérable. Ce type d’argument, parmi d’autres, sera repris par tous les mouvements réactionnaires (opposés aux valeurs de la modernité). L’appartenance fréquente de Juifs socialement en vue à des sociétés de pensée telles que la franc-maçonnerie, elle-même fantasmée et en butte aux attaques de l’Église et de la Réaction, renforce encore leur image de dangereux trublions.
Mais la nostalgie de l’Ordre ancien sacralisé n’est pas la seule inspiratrice de la détestation des Juifs. En réaction à l’universalisme « abstrait » des Lumières (aux yeux duquel n’existent que des « individus » libres de s’autodéterminer), l’Europe va connaître au XIXe siècle une montée sans précédent de nationalisme. Chaque nation se trouve (s’invente) des racines historiques, une originalité irréductible (« éternelle » et bien sûr toujours menacée), une « mission » historique (« messianisme politique ») et se fabrique les mythes qui l’illustrent. Que l’on découvre ces racines dans le Moyen Âge très chrétien et la haine du Juif prend une allure théologico-politique traditionnelle (permettant l’alliance avec l’Église). Mais il est loisible de remonter plus haut. L’Allemagne par exemple sera fascinée par son passé préchrétien (les tribus germaniques). Face à cette exaltation de l’archaïque (« néo-paganisme »), le Juif est non seulement l’incarnation du « moderne » – universaliste, cosmopolite, déraciné –, mais surtout du monothéiste irréductiblement opposé à la déification de la Nature, et à ce double titre responsable d’avoir détruit le paradis de la pureté primitive, ruiné la spontanéité de l’instinct, de l’appartenance immédiate et non réfléchie au groupe au profit du purement rationnel, de l’abstrait. Le Juif tue tout ce qu’il touche, parce qu’il est désincarné…
En sens inverse, les mouvements révolutionnaires (socialistes, de gauche), qui dénoncent dans l’« égoïsme sacré » que constitue le nationalisme un symptôme (et une tactique) du capitalisme destructeur d’une humanité appelée à la réconciliation ultime dans la justice, sont tentés de voir dans les Juifs le type même du ploutocrate, du capitaliste cynique et exploiteur. Tous les Juifs ne sont-ils pas banquiers ?
Mais il y a aussi des Juifs révolutionnaires ! Ils sont même nombreux parmi les fondateurs, idéologues et militants des partis voués à renverser l’ordre établi. Karl Marx est petit-fils de rabbin… Ils interprètent l’anomalie de la situation socio-économique des Juifs dans le cadre de la « lutte des classes » et attendent sa normalisation de la réorganisation globale de la société au terme du processus révolutionnaire. « À droite », on accusera donc « les Juifs » d’être les agents de la subversion, de chercher à ruiner l’ordre bourgeois et ses valeurs. Tous les Juifs ne sont-ils pas communistes ?
Jacques Déom (ULB).
L’énormité de la Shoah a en quelque sorte frappé d’illégitimité l’antisémitisme et nombre de thèses qui l’avaient rendu possible. Revenus pour la plupart à la démocratie à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les pays d’Europe occidentale le bannissent en même temps qu’ils mettent un terme à la barbarie nazie. Les pays de l’Est le dénoncent, sans toutefois en reconnaître la spécificité, dans le contexte plus large de la poursuite du « combat antifasciste », ce qui ne signifie nullement qu’ils n’en sont pas atteints. Le 4 juillet 1946 encore, un pogrom éclate à Kielce en Pologne. En Union soviétique, à l’été 1952, Staline ordonne l’exécution d’un groupe d’écrivains yiddish de premier plan.
Le contexte de la décolonisation (dans les années 60) est pourtant celui d’une dénonciation radicale du « racisme » qui, drapé dans les oripeaux d’une mission civilisatrice (le « fardeau de l’homme blanc »), formait depuis le XIXe siècle la « justification » idéologique plus ou moins avouée de l’expansionnisme européen. La philosophie existentialiste (Jean-Paul Sartre) dénonce toute « essence » invariante, naturelle ou suprahistorique, qui « précéderait » la liberté de l’individu, laquelle est absolument première. Le déclin, puis la disparition de l’Union soviétique et l’extinction du mythe communiste (9 novembre 1989 : chute du mur de Berlin ; 26 décembre 1991 : dissolution de l’URSS) laissent seul en course le libéralisme économique, avec l’individualisme qu’il implique et préconise.
Les sociétés occidentales dénoncent les philosophies politiques « organicistes » – où chacun n’est qu’un aspect du « corps social » – au profit de celles qui se veulent fondées sur le « contrat » conclu entre volontés libres. La biologie elle-même finit par s’interroger sur le bien-fondé de la notion de « race ». Dans ce contexte émergent une préoccupation fondamentale pour les Droits de l’Homme, une méfiance profonde envers les valeurs de l’« enracinement », une volonté d’ouverture à l’altérité individuelle et collective allant jusqu’à un respect parfois ambigu de la « différence », une volonté résolument universaliste de « multiculturalisme ».
L’antisémitisme ne disparaît bien sûr pas. Néo-paganisme (y compris celui qui est recyclé sous forme d’écologisme radical) et autoritarisme de droite restent bien vivants. Mais on n’insistera ici que sur deux phénomènes récents. On a vu paraître dans les années 1980 toute une littérature dite « révisionniste », émanant de milieux intellectuels et politiques, marginaux mais actifs, qui entendaient dénoncer dans la Shoah un mythe fabriqué par « les Juifs » pour culpabiliser les consciences occidentales et justifier l’existence et la politique de l’État d’Israël. Les partis d’extrême droite semblent bien pour leur part avoir relégué la thématique « raciste ».
Le Front National de Jean-Marie Le Pen en France ou le Vlaams Belang en Belgique ne sont, en toute rigueur, pas « racistes » : le premier aime bien les Arabes, mais pourvu qu’ils ne nous « envahissent » pas et restent « chez eux » ; le second prône la prévalence nationale flamande. En fait, la nouvelle réincarnation de l’ancien « racisme » est dite « différentialisme » et se pense en termes d’oppositions irréductibles de civilisations. La négation de l’universel oublie – pour combien de temps ? – la génétique au profit du relativisme culturel radical. À la limite, la communauté humaine n’existe pas comme telle. Elle est faite de sphères socioculturelles mutuellement incompatibles, pour lesquelles la juxtaposition est le moindre mal.
Mais l’actualité de l’antisémitisme se situe ailleurs et la haine des Juifs connaît un nouvel avatar. Elle a pour toile de fond la tragédie du Proche-Orient, qui voit s’opposer désespérément deux peuples qui se sentent des droits égaux à une même terre qu’ils se disputent. L’État d’Israël, né en 1948 comme accomplissement de la vision de Herzl (voir plus haut), et le peuple palestinien, fort de sa présence séculaire sur les lieux, s’affrontent depuis maintenant plus de soixante ans. Avec, en arrière-plan, les stratégies mondiales américaine, européenne, et la crise qui travaille en profondeur le monde musulman, dans ses multiples composantes. La lutte politique est vive, et la polémique permanente.
On voit apparaître dans le débat des amalgames et des caricatures typiquement « antisémites » au terme de notre définition initiale : la presse des pays musulmans (sur papier ou sur la toile) multiplie les caricatures de Juifs au nez crochu et Mein Kampf ou les Protocoles se trouvent sans difficulté dans les librairies du Caire ou de Khartoum. La « conspiration sioniste internationale » se porte pour le mieux. Les thèses révisionnistes se sont acclimatées, notamment par la publicité faite dans le monde musulman aux écrits du philosophe Roger Garaudy, successivement chrétien, stalinien et converti à l’islam.
Dans cette propagande, tous les Juifs, où qu’ils soient dans le monde et quelles que soient leurs opinions, se trouvent assimilés aux Israéliens, eux-mêmes démonisés, quoi qu’ils pensent et fassent, comme assassins en puissance, sinon en acte, quand on ne les accuse pas de commettre un « génocide » à l’égard du peuple palestinien ou d’être, à la faveur de leur omniprésence mondiale, l’origine ultime des maux du monde musulman. La complexité historique de l’expérience juive évoquée dans ces pages est ignorée et ses moments les plus douloureux fournissent parfois, par un mimétisme pervers, des symboles et un vocabulaire à la manipulation.
L’« antisionisme », tel qu’il se déploie dans ce contexte, dépasse de loin la critique – fût-elle virulente – de la politique menée par l’État d’Israël et cache en général difficilement sa volonté d’éradiquer celui-ci – tout reconnu qu’il soit en droit international. À ce titre, il constitue à certains égards une nouvelle version de l’antisémitisme.
L’arrière-plan politique de ces déviations perverses est au moins double. Elles sont générées et instrumentalisées en ordre principal par l’« islamisme », c’est-à-dire par une lecture utopiste « radicale » de l’islam, qui voit dans celui-ci un projet politico-religieux à dimensions planétaires voué à s’imposer par le jihâd (guerre sainte). Cette mouvance se montre accueillante aux données fournies par l’antisémitisme européen. Elle les combine avec plus ou moins de cohérence à celles qui lui viennent du fond théologique musulman traditionnel. Dernier né des monothéismes abrahamiques, l’islam a en effet, tout comme le christianisme avant lui, élaboré sa relation avec les religions auxquelles il succède. Selon cette construction, l’islam livre enfin dans sa pureté définitive une parole de Dieu que les Juifs, dans un premier temps, ont sciemment pervertie et que les chrétiens ont ensuite dénaturée par leur idolâtrie (dogme de la Trinité). Cette théologie de la falsification de la Révélation par les Juifs frappe ceux-ci d’un stigmate permanent, que seule leur appartenance aux « peuples du Livre » sauve de se retrouver dans le camp des ennemis de l’islam. Reste que, comme les autres minorités en terre d’islam, ils ont souvent le statut de « dhimmis », c’est-à-dire de citoyens de seconde zone de l’État musulman, soumis à discrimination.
Cette idéologie rencontre par ailleurs la sensibilité d’une certaine extrême gauche tiers-mondiste, qui interprète (pour la dénoncer) l’existence de l’État d’Israël dans le cadre d’une problématique anticolonialiste et tend à faire jouer à l’immigration maghrébine en Europe, et plus généralement au monde musulman dans son ensemble, le rôle messianique du défunt prolétariat révolutionnaire. La violence en paroles et en actes, la propagande antisémite et le terrorisme, sont dans ce contexte justifiés au titre de contre-violence légitime, au mépris de leur contenu spécifique explicite.
La célèbre résolution de l’assemblée générale de l’ONU du 10 novembre 1975 assimilant sionisme et racisme, rapportée seulement le 16 décembre 1991, les explosions d’ « antisionisme » qui ont marqué la conférence – contre le racisme ! – tenue à Durban (Afrique du Sud) en août-septembre 2001 sont significatives. État pourtant reconnu en droit international, Israël reste pour certains « le Juif des nations », qu’on rêve d’extirper. Le Congrès révisionniste qui s’est tenu à Téhéran en 2006, les déclarations répétées du président de la République islamique d’Iran Ahmadinejad s’inscrivent dans une perspective qui ne manque pas d’inquiéter.
Jacques Déom (ULB).