La réunion des trois anciennes « nations juives » au sein d’un « judaïsme français » s’est opérée notamment à travers la création en 1808, par Napoléon, d’une institution centralisée — le Consistoire. Celui-ci est aujourd’hui de plus en plus contesté dans son rôle de « représentant » des Juifs de France. D’autres institutions se sont créées depuis 1944, qui accompagnent et soutiennent le développement d’identités juives plus séculières, culturelles ou politiques. Elles pointent vers la fin du monopole institutionnel consistorial, d’autant que le champ religieux s’est lui aussi pluralisé. Les lignes de clivage se sont déplacées, de thèmes politiques vers des questions « de société », concernant par exemple la participation des femmes à l’organisation communautaire et religieuse.
Plusieurs événements, dans l’actualité récente, laissent à penser que la franc-maçonnerie redeviendrait une cible privilégiée, tant du Vatican que de milieux ultra-conservateurs proches de l’Eglise catholique. Ainsi, pendant les manifestations organisées en France, durant ces derniers mois, pour s’opposer au mariage pour tous, nombre de slogans visaient en effet, et de manière violente, le rôle supposé des francs-maçons en politique ou la morale qu’ils voudraient imposer à l’ensemble du corps social. Dans la même veine, une manifestation antimaçonnique aux agissements menaçants et aux propos fort haineux avait été réunie, le 24 mai dernier, devant le siège parisien du Grand Orient de France (GODF), rue Cadet. Quelques heures plus tôt, un curé de paroisse à Megève, en Haute-Savoie, par ailleurs connu pour ses positions iconoclastes relatives notamment au mariage homosexuel, avait été démis de ses fonctions à la demande du Vatican en raison de son appartenance active à la franc-maçonnerie.
Commentant la décision récente de la Cour de Cassation française relative à la crèche Baby-Loup (La Croix, 8 avril 2013), l’éminent canoniste de l’Université catholique de Louvain Louis-Léon Christians pointait récemment la montée en puissance, en Europe, ces dernières années, de l’entreprise privée comme nouveau « champ de bataille » où se jouerait, dans un contexte de dérégulation et de retrait de l’Etat, l’un des enjeux contemporains de la laïcité. Avant lui, le Haut Conseil — français — à l’Intégration, dans un avis rendu public le 6 septembre 2011, avait déjà mis le doigt sur les expressions religieuses de plus en plus visibles au sein des entreprises, en particulier celles chargées d’une mission d’intérêt général, et s’en était inquiété.
L’œuvre de Jean Baubérot, grand spécialiste de la laïcité, a pris ces dernières années un tour parfois polémique. Je pense en particulier à son livre L’intégrisme républicain contre la laïcité (La Tour d’Aigues, L’Aube, 2006), ainsi qu’à La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Paris, Albin Michel, 2008). Le présent ouvrage (La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012) s’en prend également à une certaine version contemporaine de la laïcité française, considérée comme – c’est le titre du livre – « falsifiée ». Le mot est fort, mais Jean Baubérot a le mérite de critiquer ce qu’il appelle, péjorativement, la « nouvelle laïcité » sur la base d’une approche conceptuelle très claire.