Dans un article daté du 2 octobre 2014, le Huffington Post rend compte de propos tenus par Antonin Scalia, juge à la Cour suprême des Etats-Unis, selon lequel la Constitution permettrait de favoriser la religion par rapport à l’irréligion. Une telle position est sans doute aujourd’hui encore minoritaire à la Cour, mais l’évolution de cette dernière vers la droite rend la question d’autant plus pertinente. La position du juge Scalia constitue-t-elle une interprétation correcte de la Constitution ? Scalia est un « textualiste » : il veut que les juges prennent en considération le texte même de la Constitution sans trop s’en éloigner, sans trop le solliciter par des interprétations larges et audacieuses. Le textualiste désire que les juges ne s’éloignent pas de la signification ordinaire du texte (plain text), bref qu’ils ne témoignent pas de trop de « créativité ».
Le philosophe Guy Haarscher a récemment consacré à la Cour suprême des Etats-Unis un petit livre non seulement lumineux, mais aussi fort utile (La Cour suprême des Etats-Unis. Les droits de l’Homme en question, Bruxelles, 2014). Utile, en effet, parce que cette synthèse bienvenue aide à comprendre le système des checks and balances qui régit la répartition des pouvoirs au niveau fédéral américain, ainsi qu’entre l’Etat fédéral et les cinquante entités fédérées. Et ce dans une Nation dont le droit a constamment évolué, pour une part au gré de la jurisprudence d’une cour, la Cour suprême, considérée par d’aucuns comme le véritable épicentre du pouvoir américain, ou du moins son puissant contrepoids. Ce constat s’applique en particulier à la lecture faite par la Cour du fameux 1er Amendement à la Constitution, qui concerne aussi bien la liberté d’expression que la liberté de religion et établit aux USA, depuis plus de deux siècles, le principe de la séparation Eglise/Etat.
Commentant la décision récente de la Cour de Cassation française relative à la crèche Baby-Loup (La Croix, 8 avril 2013), l’éminent canoniste de l’Université catholique de Louvain Louis-Léon Christians pointait récemment la montée en puissance, en Europe, ces dernières années, de l’entreprise privée comme nouveau « champ de bataille » où se jouerait, dans un contexte de dérégulation et de retrait de l’Etat, l’un des enjeux contemporains de la laïcité. Avant lui, le Haut Conseil — français — à l’Intégration, dans un avis rendu public le 6 septembre 2011, avait déjà mis le doigt sur les expressions religieuses de plus en plus visibles au sein des entreprises, en particulier celles chargées d’une mission d’intérêt général, et s’en était inquiété.
Durant l’été qui vient de s’écouler, de nombreuses voix se sont fait entendre pour dénoncer de multiples atteintes à la liberté religieuse en Europe. Il en fut ainsi, notamment, du Département d’Etat américain, par les interventions conjuguées de l’ambassadrice des Etats-Unis pour les libertés religieuses et de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, qui ont considéré que le monde faisait marche arrière dans la protection de la liberté religieuse. Toutes deux ont mis en parallèle la montée de la xénophobie, de l’antisémitisme et des sentiments antimusulmans, en Europe, et certaines lois votées notamment en Belgique et en France, qui pénaliseraient les musulmans. Dans le même temps, le commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, a tenu des propos semblables et stigmatisé, dans un rapport récent, la montée de l’islamophobie en Europe, laquelle s’exprimerait singulièrement par des atteintes discriminatoires à la liberté religieuse des musulmans.
Deux nouvelles qui, pour des motifs bien différents, ont fait sensation, se sont entrechoquées ces derniers jours dans la presse, affichant deux facettes bien contrastées d’une même question — à savoir la circoncision.
Le tribunal de grande instance de Cologne, en Allemagne, a en effet estimé, dans un jugement qui a fait grand bruit, que « le corps d’une enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision », une modification « contraire à l’intérêt de l’enfant, qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse ». Un jugement aussitôt et vertement mis en cause par les organisations juives et musulmanes, dans un contexte où se télescopent de manière brutale traditions religieuses, mutilations génitales, liberté religieuse et santé publique.