Lundi 23 décembre 2024
mardi 27 janvier 2015

Entre la règle et la pratique : l’engagement des femmes dans l’Eglise catholique

La position des femmes catholiques au sein de leur Eglise est assez paradoxale : maintenues dans un rôle secondaire en termes de responsabilités ecclésiales par un magistère exclusivement masculin, elles forment aujourd’hui les neuf dixièmes des permanents d’église, et constituent depuis le XIXe siècle la grande majorité des fidèles. Le discours officiel de l’Eglise sur la question féminine a quant à lui beaucoup évolué, mais il semblerait que ce soit davantage pour maintenir un statu quo dans les faits. En décembre dernier, un colloque se réunissait à l’Université catholique de Lille pour examiner la question de l’engagement des femmes catholiques au XXe siècle, dans l’Eglise et dans la société.

Au début du XXe siècle, les textes romains parlaient de manière assez claire de la soumission due par l’épouse à son mari, et de sa juste place au sein de la société : à la maison, auprès de ses enfants. Lors du Concile Vatican II (1963-1965), les femmes sont enfin reconnues comme « personnes » à part entière, membres du « Peuple de Dieu » et de la société au même titre que les hommes. Les discriminations en fonction du sexe sont condamnées, et la lutte contre celles-ci est reconnue comme un « signe des temps ».

Ces déclarations suscitent chez certains l’espoir de voir advenir une Eglise et un clergé plus égalitaires. Pourtant, dès 1972, le « Motu Proprio » Ministeri Quaedam exclut les femmes des ministères laïcs de lecteur et d’acolyte. Entre 1973 et 1976, une Commission mixte est mise en place pour réfléchir à la position des chrétiennes dans l’Eglise, mais leur admission à la prêtrise est cependant refusée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1977 (Inter Insigniores).

Cet interdit va, par la suite, s’intensifier encore. Jean-Paul II reprend le thème en 1994, mais le désigne doctrinalement, dans la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis. L’exclusivité masculine de l’ordination est qualifiée de « vérité connexe », c’est-à-dire qu’elle ne relève pas directement de la Révélation, mais en est très proche, interdisant du même coup le débat sur le sujet. L’année suivante, le cardinal Ratzinger, via la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, engage l'infaillibilité pontificale sur l’exclusion des femmes du ministère ordonné, ce qui signifie une clôture définitive de la question, et l’intégration de cette interdiction au dépôt de la foi.

Enfin, en 1998 la lettre apostolique Ad Tuendam Fidem viendra combler « un vide » du droit canonique, en rendant obligatoire l’enseignement que cette interdiction est une doctrine de la foi. Tous ces textes viennent finalement se répondre les uns les autres pour consolider la justification doctrinale de l’exclusivité masculine de l’ordination, suite à une porte ouverte laissée lors du Concile.

De la même manière, suite aux déclarations du Concile, le Vatican va procéder à une réécriture de son discours sur la nature féminine. Pour ne pas se laisser distancier par les grandes transformations sociales des années 1970 amenées par le féminisme, il n’est plus question de l’infériorité ou de l’impureté qui ont pu leur être attribuées à d’autres époques. Rome développe une rhétorique de la glorification des femmes dans leur spécificité conforme à la tradition : la maternité, principalement. Ainsi, dès 1987 (Christifideles Laici) et surtout en 1988, dans la lettre apostolique Mulieris Dignitatem, Jean-Paul II développe le thème de l’ « égale dignité » des sexes, porteurs l’un et l’autre de vocations différenciées.

La lettre apostolique magnifie la grandeur de « la Femme » dans le plan de Dieu : ses engagements dans la société doivent être subordonnés à sa vocation, dont deux dimensions permettent de réaliser sa spécificité : la maternité et la virginité consacrée. Le texte critique donc les discriminations et reconnait une forme de parité, tout en marquant la différence indissoluble des femmes qu’il remercie pour cette même raison.

En 1995, la Lettre aux Femmes du monde entier développe sensiblement la même position. Elle montre une image universelle et éternelle, le génie féminin qui s’incarne dans le service. Sa vocation spécifique lui confère des rôles particuliers, des traits de caractères inhérents à sa féminité, tels que l’aide, le service, le dévouement aux autres, la douceur maternelle… Ce que développe ainsi le Vatican, c’est une sorte de « féminisme différentialiste », une mise en avant des femmes pour leurs supposées spécificités, qui sont dérivées de leur rôle traditionnel, afin de contrer la montée d’un « mauvais féminisme », qu’il considère comme une tentative de masculinisation ou d’androgynisation de la société. Cette transformation dans le discours masque donc à peine une volonté de conservation de l’ordre social traditionnel catholique…

Mais la difficulté, dans l’étude d’une telle thématique, est de bien distinguer la différence entre les décisions officielles du Magistère et les pratiques réelles, au sein des diocèses et des paroisses. Et si les ordinations féminines comme moyen de contestation ne sont pas chose courante au sein de l’Eglise catholique romaine en Europe, c’est par d’autres moyens que des femmes, de plus en plus nombreuses, prennent des responsabilités au sein de cette institution. En effet, quelques brèches existent qui ouvrent certains accès du fonctionnement de l’Eglise aux chrétiennes. En théorie, certains pouvoirs de juridiction leur sont accessibles ; plusieurs offices peuvent être reçus, tel celui de chancelier ou de responsable catéchétique, et l’épiscopat peut leur déléguer certaines attributions.

Et, de fait, ceux que l’on nomme de manière générale les « permanents d’église » se féminisent réellement, même si souvent, pour le paroissien, les femmes restent invisibles. Il s’agit de l’accompagnement des croyants sous des formes très variées, depuis la catéchèse et l’aumônerie jusqu’aux groupes d’accompagnements aux enterrements. Il peut s’agir aussi de postes administratifs, voire de responsabilités régionales, parfois même d’encadrement liturgique, sans en avoir le titre. Et le phénomène ne manque pas d’ampleur : sur 9 500 lettres de missions données par les évêques à des laïcs aujourd’hui en France, plus de 8 000 sont des femmes. Considérant qu’elles représentent neuf dixièmes des permanents d’église en France actuellement, on peut légitimement se poser la question du décalage flagrant entre le sens dans lequel évoluent les situations concrètes et l’exclusion toujours plus ferme des chrétiennes de l’ordination de la part du Magistère…

C’est donc sur la question du croisement de la règle et de la pratique que s’est tenu le colloque de l’Université catholique de Lille. Parmi les interrogations, celles qui concernent le futur de l’Eglise : faut-il comprendre la tradition de manière statique, ou la considérer comme vivante ? L’Eglise, au vu de sa situation actuelle, a-t-elle encore les moyens de maintenir les femmes de côté ? Et comment cela se met-il en pratique au niveau local ?

Un autre paramètre à prendre en compte est celui des représentations. Si l’encadrement d’église au niveau local se féminise objectivement, le paroissien, lui, ne s’en rend pas toujours compte. Suite à la médiatisation des questions de genre cristallisées autour du mariage homosexuel en 2013, les pratiques subissent l’influence des médias et d’un discours romain toujours plus insistant, qui sépare hommes et femmes en deux spécificités distinctes. L’un des constats posés sur le terrain français est une montée de ce différentialisme dans les paroisses depuis dix ans, donnant parfois même l’impression d’un retour en arrière : dans la droite ligne des déclarations du Vatican, les rôles spécifiques masculins et féminins sont développés et mis en pratique. La mixité est parfois remise en question, les femmes éloignées de l’autel et les espaces redéfinis par rapport au sexe, le féminisme disqualifié…

Il est difficile de prédire l’évolution que connaîtra le catholicisme romain, et la place qu’y occuperont les femmes demain. Il ne fait cependant aucun doute qu’il s’agit là d’un enjeu majeur pour l’Eglise catholique. Après avoir perdu les ouvriers au XIXe siècle, on pourrait y voir un autre coche à ne pas manquer pour l’Institution, au risque de perdre un groupe particulièrement nombreux… La direction choisie par le Magistère depuis Vatican II est assez catégorique concernant l’accès au sacerdoce, et tout autant au sujet du féminisme et du genre. Pourtant, les femmes font acte de présence au niveau local, et comme en atteste le colloque de l’Université catholique de Lille, ces questions font encore débat, nous montrant l’infinie complexité du monde catholique, qui est bien loin de se résumer aux opinions du Magistère romain.

Juliette Masquelier (ULB).

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