Lundi 23 décembre 2024
jeudi 23 novembre 2017

Le secret de la confession peut-il être absolu ?

En Belgique, un prêtre catholique brugeois a été renvoyé en correctionnelle cette semaine, suite à la plainte de la veuve d’un homme qui en octobre 2015 avait confié à ce prêtre son intention de se suicider, avant de passer à l’acte. Poursuivi pour abstention coupable, le prêtre s’est réfugié derrière le secret de la confession — un sacrement fondamental aux yeux de l’Église — et a estimé avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour dissuader l’homme qui s’était adressé à lui, atteint de dépression, de mettre fin à ses jours. Il lui est cependant reproché de s’être refusé à faire appel aux proches, à la police, aux secours médicaux ou à une quelconque aide extérieure pour tenter d’éviter ce drame.

L’article 458 du Code pénal belge prescrit que les médecins et toutes autres personne — en ce compris les prêtres, du moins selon la coutume —, dépositaires par état ou par profession des secrets qu’on leur confie et qui les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois, hors les cas où ils sont appelés à témoigner en justice ou devant une commission parlementaire, hormis aussi les situations où la loi les oblige à faire connaître ces secrets. Le secret et sa préservation, au cœur du système démocratique, constituent en effet un socle de l’état de droit ; quant à l’analogie faite entre la situation de l’avocat ou du médecin et celle du prêtre, elle remonte aux travaux préparatoires du Code pénal, soit au milieu du XIXe siècle (Nypels, Législation criminelle de la Belgique, III, Bruxelles, 1868, p. 294).

Le bâtonnier Pierre Legros l’a rappelé en 2010, analysant alors la position de l’Église catholique belge face au traitement judiciaire de la pédophilie : les tribunaux ont admis que le respect du secret, qui s’impose en effet à certaines personnes, n’est pas un droit absolu, mais relatif. On ne peut se réfugier derrière le secret si une valeur supérieure est en jeu, comme le respect de la vie. « Ainsi, précise-t-il, le prêtre en recevant la confession de ses fidèles, l’avocat en recevant les aveux de ses clients ou le médecin en recevant les confidences de ses patients, sont placés dans la même situation » : ils sont dispensés d’invoquer le secret professionnel s’ils ne souhaitent pas camoufler la violation d’une valeur supérieure, par exemple l’atteinte portée à l’intégrité physique d’un mineur — le bâtonnier Legros faisait là référence aux affaires de pédophilie qui secouaient alors l’Église de Belgique.

Tant la loi que la jurisprudence et la doctrine ont en effet admis une série de dérogations en matière de dispense du secret professionnel, ce qu’est venu conforter l’ajout d’un article 458bis au Code pénal, inséré à la suite de l’adoption de la loi relative à la protection pénale des mineurs du 28 novembre 2000. L’état de nécessité peut dès lors justifier de déroger au Code pénal pour ce qui concerne le respect du secret professionnel, contourné pour permettre le respect d’un droit considéré comme plus essentiel. Les dépositaires par état ou par profession des secrets qu’on leur confie échappent en effet à toute condamnation pénale si, en conscience, ils estiment devoir révéler ce qu’ils ont appris.

Et le bâtonnier Legros d’ajouter que « cette exception est en outre renforcée par l’infraction de non assistance à personne en danger qui les expose à des poursuites pénales s’ils ne prennent pas toutes dispositions pour éviter la mise en danger d’une tierce personne » : ce sont là les termes de l’article 422bis du Code pénal, qui évoque en matière « d’abstentions coupables » le refus de venir directement en aide ou de procurer une aide à une personne exposée à un péril grave. Dans le cas du médecin ou de l’avocat, le secret constitue avant tout une garantie et une protection pour le patient ou le justiciable. Or, dans le cas en cause ici, il s’agit plutôt pour ceux qui revendiquent le secret absolu de la confession de protéger le professionnel, à savoir le prêtre, puisque son interlocuteur, à l’instar d’enfants victimes d’abus dont les confesseurs n’ont pas entrepris de démarches auprès de la justice, n’a pu jouir de son intervention auprès de services habilités à gérer la prévention du suicide.

L’Église catholique distingue en effet pour ce qui la concerne entre secret professionnel et secret de la confession. Or, la défense du prêtre incriminé à Bruges argue bien du secret de la confession — il a lui-même usé du terme canonique de « biechtgeheim » dans une interview télévisée —, un secret absolu au regard du droit canon, au risque sinon d’encourir la peine de l’excommunication. Comme le stipule le canon 983 de l’Église, le secret sacramentel est en effet inviolable : c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir un pénitent, « par des paroles ou d’une autre manière, pour quelque cause que ce soit », et ce en raison de ce « sceau sacramentel » qui les unit.  

C’est bien cette défense du prêtre brugeois qui a assimilé la conversation téléphonique d’une heure entre le prêtre et l’homme aux projets suicidaires à une confession, quoiqu’aux yeux du théologien et vicaire épiscopal Éric de Beukelaer, s’exprimant sur les ondes de la RTBF, on ne puisse considérer que cette conversation confidentielle s’inscrive formellement dans une séquence rituelle de confession — laquelle est très formalisée et postule une garantie absolue de sécurité pour la parole qui s’y libère. Le canoniste louvaniste Rik Torfs est quant à lui plus nuancé à ce sujet, considérant que la séquence confessante peut s’ouvrir à ce type de situation ou à des circonstances exceptionnelles analogues — et il est vrai que ces dernières décennies, la confession est sortie du cadre du confessionnal pour devenir aussi, de plus en plus fréquemment, un face à face entre le confesseur et le pénitent.

Le canon 964 prévoit en effet que les confessions ne seront pas entendues en dehors du confessionnal « à moins d’une juste cause » et une partie de la doctrine canonique indique que par le mot « confession », il ne faut pas entendre seulement la confession faite à l’église, « mais aussi toute autre déclaration que fait au prêtre un pénitent qui, pour soulager sa conscience, va lui demander des consolations spirituelles ». Une doctrine qui considère que même s’il y a une disposition contraire prévue par la loi civile, les prescriptions canoniques doivent être garanties (De Pooter, Secret professionnel et secret de la confession, JDT, 16.3.2002, p. 205). Et c’est bien là le nœud du problème.

Dans la perspective de la défense du prévenu, le secret de la confession — et non le secret professionnel — est invoqué pour échapper à la sanction pénale prévue, le prêtre se mettant hors du champ de la loi civile ; dans la perspective évoquée par vicaire épiscopal Éric de Beukelaer, dès lors qu’il n’y a pas de confession à proprement parler, la sanction pénale pourrait s’exercer, puique le prêtre n’a pas usé de la dérogation permise aux professionnels détenteurs d’un secret. Cela étant, du point de vue civil, il n’y a pas de distinction, le type de secret professionnel invoqué ici pour poursuivre le prêtre s’appliquant à tous les ministres des cultes reconnus, ainsi qu’aux conseillers moraux laïques (De Pooter, p. 202). Mais on peut constater qu’est postulé implicitement par le prêtre brugeois et sa défense que la loi religieuse s’effacerait devant la loi civile — une loi civile qui reconnaît certes au ministre du culte la faculté de voir sa prérogative en la matière assimilée à celle du médecin ou de l’avocat, mais considère cette faculté non comme absolue, mais relative.

Un débat analogue est en cours en Australie où, dans un contexte là aussi de scandales de pédophilie à répétition impliquant des prêtres catholiques, et face à la perspective de l’adoption éventuelle d’une loi contraignant les prêtres à s’affranchir du secret de la confession pour dénoncer les cas d’abus sexuels (c’est là une des recommandations de la Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse), l’archevêque de Melbourne Denis Hart a engagé les prêtres à ne pas briser le sceau de la confession — dussent-ils risquer une peine pénale pour ce motif —, considérant que durant la confession la sacralité de la communication avec Dieu, dont le prêtre est ici le représentant, était au-dessus de la loi des hommes.

En Belgique, certes, la jurisprudence reconnaît au prêtre qu’il ne peut être forcé d’enfreindre le secret de confession, mais l’arrêt de la Cour de Cassation qui en dispose (CC, 5.2.1877) se réfère au témoignage en justice, non à une situation d’urgence où la vie d’une personne est en jeu. Et l’on remarquera que sous l’Ancien Régime l’on exceptait le crime de lèse-majesté du secret de la confession (De Pooter, p. 204), témoin de ce que paradoxalement un État césarien parvenait alors à imposer à l’Église une dérogation à l’absolutisme de la confession qui signait la prééminence, non certes de la loi civile, mais de la fonction royale. Une Église qui depuis le Moyen Âge a été confrontée aux risques d’un espace confessionnant fondé sur la confiance qui puisse ouvrir la voie à des abus, notamment en matière de sollicitation sexuelle, et en particulier celle d’enfants très vulnérables — et a accru ce risque depuis Pie X et son décret Quam singulari de 1910 sur la communion des enfants, comme l’a montré dans The Dark Box l’universitaire et journaliste britannique John Cornwell.

Le dilemme moral qu’entraîne la situation vécue par le prêtre brugeois fait songer au film de 1953 I Confess d’Alfred Hitchcock (en français : La loi du silence). Un prêtre, auquel un criminel qui s’est paré d’une soutane pour commettre son forfait a confessé son crime, finit par en être accusé lui-même, alors qu’il demeure tenu, comme le code de droit canon l’y contraint, par le secret de la confession. La tension qui vit le père Michael William Logan (interprété par Montgomery Clift) entre la volonté de ne pas trahir son engagement moral et canonique, et celle de prouver son innocence, reflète par analogie la tension décrite ici entre droit canon et droit pénal — droit interne de l’Église d’une part, droit démocratique d’autre part —, comme le choix fait par les acteurs concernés de hiérarchiser ces droits.

Jean-Philippe Schreiber (Université libre de Bruxelles).

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