Samedi 20 avril 2024
mardi 9 octobre 2012

Il y a cinquante ans s’ouvrait le Concile Vatican II

Ce 11 octobre 2012, l’Église catholique fêtera les cinquante ans de l’ouverture du Concile œcuménique Vatican II, qui réunit jusqu’au 8 décembre 1965 tous les évêques du monde afin de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour accomplir un aggiornamento, une mise à jour, tant de la parole de l’Église que de l’organisation intérieure de celle-ci. Il en résulta seize textes qui sont des directives pratiques tout autant que des décisions doctrinales du magistère de l’Église. Ces textes allaient profondément modifier la pastorale (l’annonce de la parole, la célébration des sacrements, l’encadrement des âmes, le gouvernement de la communauté) du demi-siècle à venir. Aujourd’hui, les nuées d’articles de presse comme les travaux scientifiques qui tentent de dresser un bilan de l’événement s’accordent pour dire que Vatican II marque le début d’une mutation profonde et toujours en cours.

Pour bien comprendre l’impact de Vatican II, il faut se rappeler qu’il fait suite au Concile Vatican I, lequel avait été interrompu en 1870 du fait de l’annexion de Rome par l’Italie. Dans le contexte de la naissance d’États-Nations fondés sur un processus de sécularisation, ce Concile avait promu une ecclésiologie qui privilégiait le rôle de l’autorité, ce dont atteste la définition du dogme de l’infaillibilité papale (selon lequel le pape ne peut se tromper lorsqu'il s’exprime ex cathedra).

Près d’un siècle plus tard, la politique basée sur l’idéologie de la « citadelle assiégée », héritée de l’ancien régime, est devenue totalement inadaptée à l’urgence qu’il y a à inventer une stratégie propre à reconquérir des pèlerins de moins en moins nombreux ; l’Église souffre d’une crise tant des vocations que de la pratique. Se sont développés un mouvement biblique, des mouvements de laïcs qui veulent prendre une place active dans la pastorale, et des mouvements ouvriers fortement ébranlés par l’affaire des prêtres ouvriers (initiative de prêtres insérés dans la vie professionnelle à partir des années 1940-50, condamnée par Pie XII en 1954). Tous témoignent du désir d’une participation plus active à la pastorale et à la prière. Dès lors, l’une des principales préoccupations des auteurs des textes conciliaires concerne la langue et la liturgie. Dans ce domaine, les transformations seront fondamentales. La messe est désormais dite en langue vernaculaire, le prêtre la célèbre tourné vers l’assemblée et la première partie de la messe, « la liturgie de la parole » prend une nouvelle valeur.

Une transformation tout aussi – si pas plus – fondamentale se manifeste également dans l’ouverture du Concile à la fois aux non-catholiques, mais également à l’Église enseignée (les croyants non-clercs). Lors du Concile, des centaines de représentants des Églises protestantes et orthodoxes, ainsi que des experts qui ne sont pas ordonnés, sont invités à prendre la parole. Cette ouverture est corollaire à la volonté affirmée de mettre en mouvement un processus de dialogue avec les non-catholiques et de réaliser véritablement une œuvre œcuménique qui sorte de la seule chrétienté. Le respect des croyances de ceux qui ne sont pas en communion avec l’Église est alors proclamé. En outre, à l’égard des juifs, l’Église met fin à des décennies d’antijudaïsme déclaré en renonçant à l’accusation de déicide portée contre tous les juifs, et transforme la prière universelle du Vendredi saint (oremus pro perfidis Judaeis).

Dans la même perspective, les textes conciliaires inaugurent une nouvelle culture politique en ce qu’ils rejettent le modèle de l’ancien régime qui considère la religion et ses ministres comme le fondement unique qui légitime le pouvoir politique. Le droit à la liberté religieuse est reconnu, ce qui autorise la mise en place d’un pluralisme religieux légitime. Cette position s’appuie sur une division de chaque homme entre sa vie de citoyen (un croyant dans la sphère de la société civile) et sa vie de croyant, en communion avec ses pasteurs. Cette question est certainement celle qui entraîne les plus vives tensions puisqu’elle provoque un affrontement entre deux visions de l’Église. La première est méfiante à l’égard d’une centralisation excessive de l’autorité dans l’Église. La seconde, davantage attachée à la stabilité et au caractère « monarchique » de l’institution, est rétive au changement. L’un des membres les plus intransigeants de cette minorité conservatrice est Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar, ancien évêque de Tulle, qui ira jusqu’à la rupture — jusqu’à être excommunié en 1988.

Les tensions entre les évêques conciliaires aboutirent à la rédaction de textes consensuels, volontairement flous sur certaines questions et, de ce fait, sujets à de multiples interprétations. L’une d’elles vit la nécessité d’une ouverture et d’une présence de l’Église dans le monde comme un appel à travailler à la refondation des structures politico-économiques. Elles rencontrèrent la vague de contestation arrivée d’Amérique et furent vite perçues comme une démocratie directe incompatible avec l’ecclésiologie catholique. La réaction autoritaire faite par l’Église fut perçue comme une trahison à l’« esprit » du Concile et fit naître un sentiment de déception de la part des partisans d’un aggiornamento qu’ils auraient souhaité plus radical. Ceux-ci s’étaient d’ailleurs parfois lancé dans des réformes inconsidérées, suivant un « esprit » du Concile parfois éloigné des textes. Force est de constater que ces innovations déconcertèrent de nombreux fidèles. Ce qui provoqua des réactions de la part des autorités comme de certains pionniers du renouveau conciliaire, inquiets devant ce qu’ils perçurent comme des dérives et contrefaçons. Ces déçus furent rejoints par les anticonciliaires du début, réticents à l’ « ouverture aux signes des temps ». La crise de l’Église se poursuivant fut accusée d’être le fruit du Concile.

Un autre sujet de déception vint de ce que beaucoup avaient placé de grands espoirs dans cette réunion. Des problèmes particulièrement brûlants ne furent pas abordés, tels que le rôle des femmes dans le ministère, le remariage d’un(e) catholique abandonné(e) par son/sa conjoint(e) et la contraception ; d’autres ne furent que peu développés, tels la place des laïcs et la collégialité entre évêques. Néanmoins, les textes du Concile, comme l’événement qu’il représente, marquèrent indéniablement la naissance d’un renouveau dans toute une série de domaines dans lesquels l’Église ne s’était que peu ou pas engagée jusqu’alors : l’œcuménisme, la liberté religieuse ou encore les relations avec le Tiers-Monde. La place inédite – quoiqu’encore restreinte – donnée à cette part du globe lors du Concile a permis de corriger l’image européocentriste de l’Église. Cette stratégie aboutit par la suite à un redéploiement et une redéfinition de l’évangélisation dans cette partie du monde. Plus exactement, le mouvement d’indigénisation du clergé, imposé par les décolonisations successives, se généralisa. L’une des conséquences en fut une redéfinition et une réorganisation de l’engagement missionnaire.

Enfin, aujourd’hui, en dépit de réactions et de réceptions très contrastées, tous les clercs se disent « conciliaires ». En ce sens, les textes produits demeurent dans la tradition de ceux qui les ont précédés : leur pouvoir de conviction réside dans leur capacité à produire un langage polysémique (qui a plusieurs sens). Le flou et l’ambiguïté sont une condition sine qua non d’une adhésion la plus large possible. De la sorte, si l’Église n’a pas mieux résisté que les autres institutions à la crise de légitimité de l’autorité des années 1960-1970, elle a su relativement bien s’y adapter. En effet, aujourd’hui, elle a certes perdu son pouvoir de normalisation de la vie de la plupart des croyants et a subi une dérégulation institutionnelle indéniable de l’encadrement des croyants. Cependant, elle est parvenue à rester un repère symbolique dans le phénomène de création de nouvelles pratiques et expressions du christianisme. La pérennité de cette position dépend désormais de la cohésion que suscitent ses tentatives de centralisation afin de renforcer l’identité catholique face aux autres religions, en expansion constante.

Cécile Vanderpelen (ULB).

Aller au haut