Jeudi 26 décembre 2024
mardi 28 septembre 2021

Le rapport des Français à la religion

Une étude réalisée en août dernier auprès d’un peu plus d’un millier de personnes par l’IFOP pour l’Association des Journalistes d’Information sur les Religions (AJIR, la plus ancienne association professionnelle de presse en France), et ce à l’occasion de son centenaire, montre qu’une courte majorité des Français ne croit pas en Dieu (51 %), contre 44 % en 2011, dix ans plus tôt. En 1947, seules 20 % des personnes interrogées, selon le même Institut de sondage, ne croyaient pas en Dieu. L’érosion est donc très sensible, et même spectaculaire aux yeux de certains.

Certes, pour la première fois donc selon l’IFOP, la part des croyants parmi les Français de plus de dix-huit ans est désormais minoritaire, et ce alors qu’en 1947 66 % des interrogés se déclaraient encore croyants et que 14 % ne se prononçaient pas. Toutefois, ce déclin est moins prononcé que dans certains pays du nord-ouest de l’Europe, si toutefois l’on suit les chiffres de l’IFOP.

Car un autre sondage, commandé celui-là par l’Observatoire de la Laïcité à l’Institut ViaVoice, il y a deux ans, ne posait certes pas la question de la croyance en Dieu, mais ne recensait parmi la population française que 37 % de croyants (catholiques pour près de la moitié) contre 56 % de non croyants, d’athées, d’agnostiques et d’indifférents — des chiffres relativement comparables à ceux recueillis par une enquête WIN/Gallup International quelques années plus tôt.

Commentant les résultats du récent sondage de l'IFOP, l’écrivain spécialisé dans les questions religieuses Frédéric Lenoir affirme que l’on assiste ainsi à une lente et progressive érosion de la religion, en particulier du christianisme, insistant pourtant aussi sur le fait que la quête de sens reste centrale dans nos sociétés et que si le Dieu de la Bible ne suscite plus la même adhésion qu’auparavant, nombre d’individus croient en revanche en une énergie, une force ou une manière personnelle de considérer le divin — le questionnaire proposé par l’IFOP n’offre d’alternative qu’entre la croyance ou non en « Dieu », sans autre précision, ne permettant pas de saisir finement ce que représente l’éloignement à l’égard de cette notion de Dieu, dans sa complexité.

Intitulée « Le rapport des Français à la religion », l’enquête commanditée par AJIR montre que la croyance en Dieu est assez également répartie dans toutes les catégories d’âge entre dix-huit et soixante-quatre ans (ou jamais elle n’atteint plus de 48 %), mais atteint en revanche presque 60 % parmi les soixante-cinq ans et plus. Les femmes, tous âges confondus, sont plus croyantes que les hommes, à raison de 54 % contre 45 % ; l’incroyance est plus commune parmi les catégories dites supérieures de la population, bien plus que parmi les catégories populaires ou les inactives ; plus l’on a un diplôme indiquant un niveau d’éducation élevé, moins l’on est croyant ; enfin, plus l’on vote à gauche, plus l’on est incroyant, en particulier parmi les écologistes, et plus l’on vote à droite, plus l’on est croyant — les électeurs de François Fillon à la présidentielle de 2017 sont sans surprise les plus croyants, à 73 %, bien plus que ne le sont les électeurs du Rassemblement national de Marine Le Pen.

Les indicateurs vont globalement dans le même sens : les personnes interrogées sont de moins en moins nombreuses à penser que les religions transmettent des repères et des valeurs aux plus jeunes ; elles parlent de moins en moins de religion, en famille ou avec leurs amis, sinon chez les plus jeunes et les électeurs de droite — la religion n’est manifestement pas une préoccupation constante des Français. Difficile pourtant, ici, de faire la part entre un éventuel désintérêt et une difficulté à parler d’une question sensible, dont le potentiel conflictuel peut être important.

Les sondeurs le déclarent eux-mêmes, les catégories ont évolué : il y a quelques années un pratiquant était considéré comme une personne se rendant à la messe tous les dimanches ; aujourd’hui un pratiquant est un croyant qui se rend dans un lieu de culte une fois par mois. L’enquête montre ainsi que l’orthopraxie reste forte chez les musulmans, bien plus que parmi les autres religions, ce qui n’est pas une surprise — l’échantillon ne permet cependant pas de mesurer le degré d’orthopraxie des croyants juifs en France.

L’épidémie de coronavirus ne semble pas avoir eu un effet marquant sur la pratique : moins de 10 % des sondés affirme s’être, depuis, quelque peu reconnecté à la pratique religieuse — en particulier ceux qui étaient déjà catégorisés comme pratiquants. Diverses études ont beau avoir pointé les recompositions de la manière de vivre sa foi et de la pratiquer depuis le début de la pandémie, cela n’en affecte pourtant pas de manière significative l’adhésion des Français à la pratique religieuse.

Le christianisme demeure bien entendu la religion la plus pratiquée — même s’il y a désormais plus d’incroyants que de croyants et même si la pratique du bouddhisme tibétain connaît une croissance constante en France, y jouissant comme ailleurs en Occident de la réputation d’être sans Dieu, moins contraignante, sans clergé et s’adaptant mieux aux modes du croire contemporain. Pour 47 % des Français les messages et les valeurs du christianisme sont toujours d’actualité et le même pourcentage pense que les religions peuvent contribuer positivement aux grands débats de société (bioéthique, moralisation de l’économie, famille...). Toutefois l’image du pape François s’est relativement dégradée, notamment parmi les catholiques non pratiquants. Les électeurs du Rassemblement national estiment ainsi que le pape défend mal les valeurs du catholicisme, bien plus que tous les autres électeurs des différentes sensibilités de l’échiquier politique.

Le déclin de la croyance en Dieu se rencontre de plus en plus dans les sociétés de l’Europe occidentale, et commence à pénétrer la société nord-américaine. Il est souvent le fait des catégories les plus jeunes, du moins en ce qui concerne l’affiliation à une religion institutionnalisée. Ici, l’enquête corrobore le constat que la déchristianisation est bien une tendance lourde en France, sauf peut-être chez les plus jeunes — resterait à affiner l’enquête afin de déterminer quelles formes exactes prend cette résistance de la tranche d’âge des dix-huit à trente-quatre ans. Toutefois, cela n’invalide pas le constat opéré par le sociologue et politiste Philippe Portier selon lequel en France, le catholicisme « s’effondre de manière spectaculaire ».

Jean-Philippe Schreiber (Université libre de Bruxelles).

Aller au haut