Vendredi 03 janvier 2025
lundi 30 décembre 2024

Le pape a-t-il « excommunié » la présidente du Conseil italien ?

À la fin de l’été, un quotidien italien d’opposition au gouvernement de Giorgia Meloni titrait à la « Une » : « Le pape excommunie Salvini et Meloni » (Il Manifesto, 29 août 2024 – Il papa « scomunica » Salvini e Meloni). Matteo Salvini étant le vice-président du Conseil des ministres d’Italie et Giorgia Meloni la présidente de ce Conseil, à savoir l’équivalent d’une Première ministre, l’affirmation pouvait être considérée comme fort grave. Nous tenterons dès lors de comprendre ici ce que le pape François réprouve dans l’actuelle politique italienne et s’il a réellement excommunié les deux plus importantes personnalités du gouvernement d’extrême-droite de la péninsule.

Si la présidente du Conseil Giorgia Meloni commence fréquemment ses interventions en se proclamant « mère et catholique », sa politique n’est pas pour autant appréciée par le pape actuel. Jorge Maria Bergoglio partage peu d’options avec l’actuel gouvernement italien, que ce soit dans le domaine social ou militaire. Les questions sociales et économiques les divisent en effet profondément. Alors que le gouvernement italien issu de la droite radicale suit un programme inspiré dans ce domaine par le patronat, le pape François s’en est clairement désolidarisé. Invité à intervenir lors de l’assemblée annuelle des patrons de l’industrie italienne (Confindustria) en septembre 2022, le pape François a condamné la tension des salaires beaucoup trop forte, les salaires mirobolants des « top managers » et les revenus financiers trop importants par rapport aux revenus du travail.

Citant en référence la Constitution italienne, il a appelé à une plus grande justice fiscale. Les taxes, fixées selon les possibilités de chacun, sont « une répartition de la richesse, afin qu’elle devienne un bien commun, un bien public : écoles, santé, droit, soins, sciences, culture, patrimoine », a-t-il dit. Le gouvernement italien, occupé justement à sabrer dans ces domaines et à « aider » les entreprises par des baisses d’impôt, n’a à l’évidence pas dû apprécier la leçon qui lui était ainsi faite par le pape.

C’est cependant dans le domaine de la politique étrangère que l’écart est sans doute le plus grand entre le Vatican et le gouvernement Meloni. Le pape maintient effectivement à travers tous les conflits actuels une ligne de pacifisme radical. Face à la guerre en Ukraine, sa position est claire : deux impérialismes s’y opposent et il est faux de penser que l’on se trouve dans un film avec des bons et des méchants – c’est ce qu’il a déclaré lors de l’Angelus du 2 octobre 2022, dédié entièrement au conflit.

Il en appelle à renouveler les accords d’Helsinki qui, en 1975, avaient signifié un apaisement significatif en Europe et assure que l’OTAN « est allée aboyer aux portes de la Russie ». Lors de son voyage au Kazakhstan, en septembre 2022, le pape François a demandé que l’argent de l’armement soit converti en aides aux travailleurs et aux plus faibles de la société. Il condamne par ailleurs régulièrement la vente d’armes et le complexe militaro-industriel.

Jorge Mario Bergoglio a cité, dans une prière publique, le 27 février 2022, l’article 11 de la Constitution italienne qui déclare : « L’Italie répudie la guerre comme instrument d’offense à la liberté des autres peuples et comme moyen de résolution des conflits internationaux ». Lors de la « Via Crucis » de Pâques 2022, sa décision de faire porter la croix par deux femmes, l’une russe et l’autre ukrainienne, fit scandale en Ukraine et dans les milieux politiques et militaires italiens. Le pape demanda dans sa prière publique que Dieu fasse que les adversaires se donnent la main et s’accordent un pardon réciproque. Dans son livre « Contre la guerre », sorti simultanément, il assurait que « La guerre est un sacrilège ». « C’est une folie pure dont l’unique but est la destruction » ajoute-t-il. Toutes déclarations peu appréciées du gouvernement italien, impliqué sans réserves dans la guerre en Ukraine, aux côtés de l’OTAN et contre la Russie.

Face au conflit israélo-palestinien, le pape a également pris une position pacifiste très ferme. Il a reçu, le 22 décembre 2023, un groupe de proches des otages israéliens enlevés par le Hamas et une demi-heure plus tard un groupe de dix Palestinien(ne)s, musulman(e)s comme chrétien(ne)s, accompagnés pour ces derniers par le curé de l’église de la Sainte Famille à Gaza, qui ont des proches empêchés de sortir de Gaza ou prisonniers en Israël. Pendant l’audience, Jorge Mario Bergoglio a conclu qu’il a perçu leurs souffrances à tous : « C’est ça que font les guerres », a-t-il déclaré.

Le jour de Noël, il reviendra, lors de la traditionnelle bénédiction « Urbi et Orbi », sur la destruction de Gaza qu’il compara au massacre des innocents et lancera un appel radicalement antimilitariste : « Non aux armes », brisons les épées et transformons-les en charrues comme dans le rêve du prophète Isaïe ».

Sur la question écologique, le pape, auteur de « Laudato si », s’est aussi confronté au gouvernement de Giorgia Meloni. Il n’a pas manqué de faire des remontrances au gouvernement italien quant à sa gestion de la crise climatique. Ces prises de position n’ont évidemment pas eu l’heur de plaire au gouvernement italien, mais c’est sur un autre sujet que le pape allait se mesurer frontalement aux dirigeants d’extrême-droite.

La ligne politique du pape a en effet toujours été très ferme sur l’accueil des migrants. Il commença son pontificat, initié en 2013, par un voyage à Lampedusa, l’île italienne qui est pour beaucoup de migrants leur premier point de chute en Europe. Il y exhorta à la lutte contre la « globalisation de l’indifférence ». Lors de sa visite à l’île de Lesbos, à l’occasion de son voyage en Grèce le 5 décembre 2021 – une île qu’il avait déjà visitée en 2016 –, il se fit cinglant à l’adresse de l’Union européenne, et condamna sévèrement ceux qui justifient leur refus d’accueillir les étrangers « au nom de prétendues valeurs chrétiennes ».

Matteo Salvini, qui égrène souvent en public un chapelet mais mène une politique intransigeante de refus des étrangers, n’a pu manquer de se sentir visé. Le chef de la « Ligue » (lombarde puis du Nord), devenu ministre de l’Intérieur, mène en effet une politique « sécuritaire » qui se distingue par des mesures impitoyables contre les Roms et les musulmans, ainsi que par des expulsions répétées de migrants.

Alors que des bateaux tentent de repêcher et secourir des naufragés qui veulent rejoindre l’Italie, Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur, les empêche de mener à bien leur tâche. Ainsi, il a en 2018 refusé l’entrée dans un port italien de l’« Aquarius », un navire de sauvetage qui, en 177 opérations en mer, avait secouru près de 30 000 personnes. Le bateau, bondé, avec 630 migrants à son bord, fut immobilisé et sera finalement accueilli en Espagne puis en France alors que le gouvernement italien voulait qu’il ramène les migrants en Libye.

Ce navire, comme d’autres après lui (tel l’« Open Arms ») était affrété par l’ONG « SOS Méditerranée ». C’est à cette organisation que le pape va apporter son soutien. Il recevra des membres du groupe au Vatican et saluera leur engagement : « Ils vont en mer sauver ces malheureux qui fuient l’esclavage de l’Afrique. Ils font un bon travail. Ils sauvent tant de gens », dira-t-il lors de l’audience générale du 18 décembre 2023. En visite à Marseille quelques mois plus tôt, le 23 septembre 2023, son message condamnait « le fanatisme de l’indifférence ». À la fin août 2024, la Ligue du Nord lancera au pape qu’il n’avait qu’à accueillir lui-même les migrants au Vatican !

Le conflit entre le pape et le gouvernement italien est donc ouvert, mais Giorgia Meloni, tout en ne désavouant pas son ministre de l’Intérieur, sait qu’elle ne peut se permettre un affrontement public avec le Vatican, car cet affrontement la couperait certainement d’une bonne partie de ses électeurs. C’est dans ce contexte que le pape François va condamner fermement le 28 août 2024 les gouvernements qui repoussent les migrants et féliciter les personnes qui sauvent les vies en danger en mer et sont les bons samaritains de notre époque : « Dieu est avec les migrants et non pas avec ceux qui les repoussent ». Les gouvernements qui appliquent ces lois restrictives commettent « un péché grave ». Le pape condamne ainsi nettement le gouvernement italien… mais a-t-il pour autant « excommunié » la Première ministre et le vice-Premier ministre, comme l’insinuait Il Manifesto il y a quelques semaines ?

Selon le droit canon, l’excommunication est la plus grave des peines qui puisse frapper un catholique. Elle signifie l’exclusion totale de l’Eglise et entraîne divers peines et degrés : privation du sacrement d’eucharistie pour un temps déterminé ou à perpétuité, privation de sépulture catholique, prohibition d’assister à la messe… Les évêques peuvent excommunier, mais a fortiori le pape peut, lui, prononcer toutes les formes d’excommunication.

Dans l’histoire, quelques excommunications ont eu un rôle fort important. On se rappellera que la religion anglicane est née de l’excommunication d’Henri VIII par le pape Clément VII en 1534 qui entraîne le schisme de l’Église anglaise, et qu’au XXème siècle, l’excommunication majeure prononcée le 14 juillet 1949 par Pie XII contre les catholiques coupables de soutenir les partis communistes ou d’y militer, eut certainement un impact politique très important.

Ce n’est pas bien sûr dans ce sens que le pape a condamné Meloni et Salvini. Le quotidien qui a annoncé leur excommunication a évidemment exagéré l’antipathie, exprimée fréquemment en public, du pape pour le vice-président et la présidente du Conseil italien. En 2023, Giorgia Meloni accueillera le pape François aux « États généraux de la natalité », le grand rendez-vous des « Pro life ». Ignorant sans doute le protocole qui veut que seules les reines catholiques s’habillent dans la même couleur que le pape en sa présence, Madame Meloni y apparut toute de blanc vêtue. Le pape, relevant cette entorse au protocole, se permettra un ironique « Vous vous préparez à votre Première communion ? ».

Le pape François n'a manifestement aucune sympathie pour le gouvernement italien actuel, dont il a publiquement relevé qu'il commettait « un péché grave » en repoussant des migrants en danger. Mais il n'a nullement prononcé l'« excommunication » de la présidente du Conseil et de son vice-président qui, tous deux, malgré des vies personnelles « dissolues » selon les critères de l'Église, pourront continuer à se proclamer catholiques et défenseurs des valeurs chrétiennes.

Anne Morelli (Université libre de Bruxelles).

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