Vendredi 04 juillet 2025

Résultats de la recherche pour : Anne Morelli

En matière de théorie de la conspiration, le célèbre publiciste Édouard Drumont a définitivement conditionné le public en parlant systématiquement de « franc-maçonnerie juive ». La conjuration est en effet présentée, de plus en plus, non comme le fruit d’une alliance d’intérêts entre judaïsme et franc-maçonnerie, mais comme « un assujettissement total et aveugle des loges aux menées subversives » des juifs. Ce que le prédécesseur de Léon XIII, Pie IX, accréditait déjà symboliquement dans une encyclique de 1873, Etsi multa luctuosa, en assimilant la franc-maçonnerie à la Synagogue de Satan — une expression déjà utilisée en 1816, à propos de la maçonnerie, dans L’Esprit de la franc-maçonnerie dévoilé, et qui emprunte à Apocalypse 2-8.

Métaphore du lieu du secret des maçons et du lieu du pouvoir des juifs, la Synagogue de Satan sert de fil rouge à un discours où juifs et maçons sont visés comme vecteurs d’une œuvre diabolique de trahison de l’ordre social. Elle alimente ainsi cette rhétorique du secret, de l’obscur, du souterrain, du démoniaque, une vision crépusculaire du monde : c’est le combat du monde visible contre le monde invisible, le dévoilement du complot se faisant en sondant les ténèbres — Mgr. Meurin en fera le titre d’un de ses ouvrages (La Franc-Maçonnerie, Synagogue de Satan, 1893), qui connut une grande diffusion.

La théorie du plan de domination mondiale des juifs a été élaborée par l’abbé Chabauty (Les Juifs, nos maîtres, 1882) : leur stratégie de domination serait à l’œuvre depuis le Moyen Âge et ils détiendraient la clef du déclenchement des événements eschatologiques. Les deux cultures, antimaçonnique et antisémite, qui n’avaient jusqu’aux années soixante pratiquement rien de commun, vont désormais se nourrir l’une l’autre, tout en s’appauvrissant — le mythe sera fait de resucées, de synthèses, puis presque uniquement de slogans.

Elles diffuseront cette idée de pénétration, de subversion, de continuité démonologique. Les judéo-maçons seront considérés comme ayant été des vecteurs agissants de la perversion de la société chrétienne, au cours des âges, par l’influence de la tradition ésotérique de la Kabbale et du naturalisme, et par la dépravation des mœurs et la corruption morale — les convertis ayant été des agents de cette progressive inoculation au sein de la société chrétienne.

À chaque fois s’interpénètrent des fantasmes traditionnels de l’antijudaïsme chrétien et des thèmes nouveaux, mêlant ressentiment économique et ressentiment théologique. Il en est ainsi de la figure du judéo-maçon déicide et régicide à la fois, responsable du péché de la France de 1793 ; cette fois, l’ennemi historique conquiert le pouvoir par le biais de la finance et des sociétés secrètes.

Les juifs, accusés au Moyen Âge de voler le sang des chrétiens vident désormais le corps de la Nation de sa richesse — ils boivent littéralement son sang, se l’incorporent physiquement. La très vaticane Civiltà cattolica va donner un vernis d’autorité ecclésiastique à une accusation qui suscitait en général, paradoxalement, l’opprobre de la hiérarchie de l’Église au Moyen Âge. La théorie du complot antijudéomaçonnique ravive ainsi l’antijudaïsme médiéval et sa symbolique, alimente la démonologie nouvelle et fait le lien entre pratiques ésotériques, crime rituel et assassinat maçonnique.

L’engagement qui lie les francs-maçons à une puissance occulte tentant de se substituer à l’autorité légitime conduit le maçon, selon la lecture magistérielle, à commettre des crimes, à violer les lois humaines et divines, à exécuter sous peine de mort des ordres abominables — et ainsi s’opposer au droit naturel tel que le conçoit l’Église. La condamnation canonique du maçon légitime l’idée qu’il y a des crimes maçonniques : ils sont assimilés aux crimes attribués autrefois aux sorcières — empoisonnements, meurtres d’enfants, cannibalisme… — et imputés aux juifs depuis des siècles — sacrilège de l’eucharistie, profanations d’hosties ou meurtres rituels.

Mgr. de Ségur accusait ainsi les maçons, lors de messes diaboliques, de pratiques profanatrices autrefois attribuées aux juifs. Une partie de littérature antimaçonnique est aussi traversée par le mythe des assassinats maçonniques, prétendument autorisés par une lecture des rituels des hauts grades qui n’a pu prendre en compte sa dimension symbolique — d’où toutes les élucubrations sur le meurtre rituel comme réactualisation du meurtre historique du Jésus physique, par le judéo-maçon assassin, et du meurtre du Jésus spirituel par le judéo-maçon blasphémateur.

Le Pape Léon XIII produit dans l'encyclique Humanum Genus une historiosophie, une explication générale de l’histoire : le complot est la clé de l’histoire universelle, une histoire secrète mais paradoxalement transparente, celle de l’affrontement, au-delà de l’histoire contingente, entre Dieu et le Démon. Cette association supposée de la franc-maçonnerie avec le Diable a été formulée dès le début du XIXe siècle, mais en liaison avec son rôle politique supposé. Ce n’est qu’au milieu du siècle qu’une conception de la franc-maçonnerie comme principe diabolique caché s’autonomise et s’élabore dans le cadre du discours théologique antimaçonnique, chez Gougenot des Mousseaux, Mgr. de Ségur et Alex de Saint-Albin, qui affirme l’existence d’une Contre-Eglise luciférienne.

L’explication sataniste — toutes les forces révolutionnaires coalisées depuis près d’un siècle ont composé le corps sacerdotal de Satan — sera sanctionnée théologiquement par Humanum Genus : dès lors qu’il est l’œuvre du démon, le complot est universel, totalisant, il est un contre-projet de société. C’est une vision eschatologique : Dieu est exonéré de la responsabilité du mal qui frappe le monde ; ce mal est imputable à ceux qui s’acharnent à l’imposer, à savoir Satan et ses valets. L’Église, depuis le XIIe siècle, a construit une sotériologie où la figure répulsive du Diable a occupé une place de plus en plus importante — un diable qui devient, plus qu’un antagoniste de Dieu, le rival par excellence de celui-ci.

La figure de Satan revient à la fin du XIXe siècle — au moment où la culture catholique regorge à nouveau de surnaturel —, non pas sous une forme sécularisée, mais incarnée cette fois dans un mythe politico-religieux, l’hérésie maçonnique, et une rhétorique démonologique. Car Satan est l’ennemi le plus puissant de Dieu, l’antitheos, le Contre-Dieu par excellence, le principe du Mal qui répond antithétiquement au principe du Bien, de sorte que la franc-maçonnerie devient par métonymie la Contre-Église, la contrefaçon de celle-ci.

Humanum Genus développe une vision anxiogène du monde, une pensée paranoïde qui généralise le soupçon. Elle entend répondre aux angoisses et offrir de l’intelligibilité : elle nie ce qui n’est pas intentionnel, parce que tout s’explique par une intention cachée et maligne. Cette intention ne peut qu’être inspirée par le diable, et voit à l’œuvre des entités abstraites, invisibles, insaisissables : le maçon et le juif — qui n’est pas cité nommément dans l’Encyclique, au contraire de la littérature vaticane qui s’en inspire et la prolonge, mais qui y transparaît très clairement.

L’hostilité obsessionnelle envers les juifs adversaires de la vraie religion, reportée sur les francs-maçons, permet de dynamiser la stigmatisation, sans innovation rhétorique réelle. On associe l’hérétique au déicide, ce qui le condamne définitivement, sans possibilité de rémission. On voit là se cristalliser tous les fantasmes sociaux d’un christianisme refoulé et désemparé devant le dilemme de l’acceptation du monde moderne. Ainsi, la réactivation des peurs médiévales à l’égard des juifs (peurs biologiques, assimilation au diable), l’interprétation faussée des rites — qui se joue de l’apparente parenté symbolique entre judaïsme et franc-maçonnerie —, le lexique dévoyé (sabbat, synagogue…) sont mobilisés pour amalgamer judaïsme et maçonnerie.

L’analogie n’aura que plus d’efficacité si l’on brouille les représentations des juifs et des maçons en les assimilant les uns aux autres, par une désignation synthétique de l’adversaire : ils sont les figures diverses d’une essence commune — la continuité de la conspiration — et les ordonnateurs du vrai pouvoir. À l’image du Diable, la maçonnerie et les juifs sont partout, polymorphes, et apparaissent sous différents masques : ils sont tout à la fois considérés comme hérétiques par excellence, car déjouant le plan divin, et misoxéniques, car visant à la ruine du genre humain.

En définitive, même s’il faut se garder de voir l’antimaçonnisme comme un système de pensée structuré et cohérent, il a cette caractéristique de contenir en germe l’essentiel du discours sur la conspiration qui se propagera au XXe siècle et d’avoir permis de séculariser des arguments théologiques ou apologétiques — le complot contre la Vérité, la doctrine secrète et l’hérésie, la Révolution contre l’eschatologie, le mensonge diabolique — qui ont contribué à donner à la théorie du complot une force performative peu ordinaire.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).


Orientation bibliographique :

D. Biale, Le sang et la foi. Circulation d’un symbole entre juifs et chrétiens, Montrouge, Bayard, 2009.

Le Diable, Colloque de Cerisy, Paris, Dervy, 1998.

vendredi, 21 septembre 2012 09:55

Revue de presse, 21 septembre

Arabie Saoudite

"Comment permettre aux femmes de travailler dans un pays qui applique la charia ? En créant des lieux de travail qui leur sont réservés. À l’initiative d’entrepreneuses, des quartiers d’affaires pour femmes vont être créés en Arabie saoudite. Le premier devrait voir le jour à Al-Asha d’ici à l’été 2013" — L’Arabie saoudite crée des quartiers d’affaires pour femmes (Ingrid Falquy, La Croix)

Publié dans ACTUALITÉS
mardi, 18 septembre 2012 09:52

Revue de presse, 18 septembre

Judaïsme

"Roch Hachana – littéralement « tête de l’année » – marque le début de l’année juive. Cette fête est célébrée les premier et deuxième jour de Tichri – septième mois du calendrier hébraïque – qui se situent cette année les 17 et 18 septembre. Comme toutes les fêtes juives, elle a commencé la veille au soir" — Roch Hachana, le Nouvel an juif, a débuté ce 16 septembre (M. de S., La Croix)

Islam

"Le chef du Hezbollah est apparu en personne lundi dans la banlieue sud de Beyrouth pour galvaniser les dizaines de milliers de ses partisans qui ont répondu à son appel à manifester leur colère" — Le Hezbollah s'empare de l'affaire du film anti-islam (Sibylle Rizk, Le Figaro)

Publié dans ACTUALITÉS
jeudi, 13 septembre 2012 10:05

Revue de presse, 13 septembre

Film Innocence of Muslims

"Des acteurs en "costumes d'époque" grossièrement incrustés sur des paysages du désert rejouent, dans un studio bas de gamme, la vie du prophète Mahomet : ce film amateur de mauvaise facture, nommé Innocence of Muslims ("l'innocence des musulmans"), avait tout, techniquement, pour passer aux oubliettes de l'histoire du cinéma. Et pourtant, en vingt-quatre heures, il a fait le tour de la Toile et enflammé l'Egypte puis la Libye, provoquant des violences ayant entraîné la mort de l'ambassadeur et de trois autres membres de l'ambassade américaine en Libye" — "L'Innocence des musulmans", le film qui a mis le feu aux poudres (Hélène Sallon, Le Monde)

"Un film antimusulman, dont un extrait de 13 minutes a été mis en ligne il y a plus d'un an sur YouTube, est à l'origine des manifestations au Caire et à Benghazi, où quatre diplomates américains ont été tués" — Islam: l'étrange film qui a mis le feu aux poudres (Maurin Picard, Le Figaro)

Publié dans ACTUALITÉS
mercredi, 12 septembre 2012 09:28

Revue de presse, 12 septembre

Libye — Egypte

"Des manifestants armés se sont attaqués au consulat américain à Benghazi pour dénoncer un film offensant l'islam. Les combats ont fait un tué dans les rangs américains" — Un américain tué au consulat de Benghazi (AFP, La Libre Belgique)

"Egyptian protesters, largely ultraconservative Islamists, climbed the walls of the US embassy in Cairo on Tuesday, made their way into the courtyard and brought down the flag, replacing it with a black flag with an Islamic inscription to protest a film attacking Islam's prophet, Muhammad" — Protests in Cairo and Benghazi over American film (AP, The Guardian)

Publié dans ACTUALITÉS
mardi, 11 septembre 2012 09:57

Revue de presse, 11 septembre

Vénézuela

"A l'approche de l'élection présidentielle du 7 octobre, les relations déjà exécrables entre le président vénézuelien et l'Eglise catholique semblent se crisper encore davantage" — Hugo Chavez et l'Eglise, les liaisons tumultueuses (La Vie)

Liban

"Impossible, lors d’un trajet en voiture à travers le Liban, d’ignorer l’arrivée de Benoît XVI : sur les principales artères qui mènent à Beyrouth, le pape est partout. Des milliers de drapeaux jaune et blanc, les couleurs du Vatican, annoncent l’imminence de la venue du pape et de sa délégation. Sur un gigantesque portrait accroché contre la façade d’un immeuble d’affaires, on peut lire en arabe : « Je suis venu vous apporter la paix. » " — Les Libanais attendent du pape un message de paix pour le monde arabe (François-Xavier Maigre, La Croix)

Publié dans ACTUALITÉS
lundi, 10 septembre 2012 09:58

Revue de presse, 10 septembre

China

"Buddhism, Islam, and Christianity are facing significant restrictions in China but they are also finding new ways to circumvent such obstacles and even compete with each other, according to new research. Some of these new developments dovetail with the rapid economic expansion of Chinese cities" — China: religious revival reaching into businesses and driven by competition (


Bosnie-Herzégovine

"Les leaders des communautés chrétiennes orthodoxe et catholique, ainsi que des communautés musulmane et juive de Bosnie ont lancé dimanche à Sarajevo un appel à la paix, lors d'un rare rassemblement interreligieux de cette envergure sur une terre qui souffre encore des séquelles des conflits des années 1990" — Chrétiens, musulmans et Juifs prient pour la paix à Sarajevo (AFP, La Libre Belgique)

Publié dans ACTUALITÉS
jeudi, 06 septembre 2012 09:48

Revue de presse, 6 septembre

Education

"Interview — En Belgique, la morale est obligatoire pour tous, du primaire au lycée. Joachim Lacrosse, professeur de morale à Etterbeek, explique au Figaroen quoi consiste cet enseignement" — «Le cours de morale aide à défendre ses propres valeurs» (Judith Duportail, Le Figaro)

"La morale laïque fera l'objet d'une discipline à part entière et sera notée, mais il faut d'abord former les futurs enseignants à cette matière et refondre les programmes, a indiqué mercredi Vincent Peillon sur RMC/BFMTV" — (AFP, Le Point)

Publié dans ACTUALITÉS
mercredi, 05 septembre 2012 09:54

Revue de presse, 5 septembre

Royaume-Uni

"Quatre chrétiens britanniques ont affirmé mardi, devant la Cour européenne des droits de l'homme, avoir subi des discriminations basées sur leur religion. Âgés de 51 à 61 ans, les requérants ont déploré ne pas avoir pu afficher ou faire respecter leurs convictions sur leur lieu de travail. Ils espèrent ainsi faire condamner le Royaume-Uni" — Des chrétiens britanniques dénoncent des discriminations (Maxime Bourdeau, Le Figaro)

"Quatre chrétiens britanniques ont plaidé mardi devant la Cour européenne des droits de l’Homme le respect de leurs convictions religieuses au travail - dans une affaire qui fait écho au port du voile islamique réclamé par les musulmans en Europe" — Elles voulaient porter la croix (Christophe Lamfalussy, La Libre Belgique)

Publié dans ACTUALITÉS
mardi, 04 septembre 2012 10:06

Revue de presse, 4 septembre

France

"Instruction civique, "petit débat philosophique", morale laïque... Les années passent, les intitulés changent et les ministres de l'éducation nationale continuent régulièrement d'annoncer le retour de la morale à l'école, instaurée en 1882 par la IIIe République, supprimée en 1968 et rétablie au milieu des années 1980. Avant l'annonce, le 29 août, par Vincent Peillon, d'instaurer "une morale laïque (...) du plus jeune âge au lycée", plusieurs de ses prédécesseurs avaient manifesté une telle intention" — 1882-2012 : l'éternel retour de la morale à l'école (François Béguin, Le Monde)

"Patrick Cabanel, professeur d'histoire contemporaine à Toulouse-II-Le Mirail et auteur du Tour de la nation par des enfants. Romans scolaires et espaces nationaux, XIXe-XXe siècle (Belin, 2007), réagit à l'annonce, mercredi 29 août par le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, de la mise en place d'un enseignement d'une "morale laïque" "du plus jeune âge au lycée"" — Enseignement de la morale : "Une nostalgie de l'école de la IIIe République" (François Béguin, Le Monde)

Publié dans ACTUALITÉS
Page 262 sur 279
Aller au haut