Dimanche 22 décembre 2024

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John V. Tolan, historian of cultural and religious relations between the Arab and Latin worlds in the Middle Ages, is the ORELA Guest this week, talking about Anti-Jewish prejudice in Medieval times. He has taught and lectured in Universities in North America, Europe and the Middle East and is currently Professor of History at the University of Nantes (France).

 

 

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Nous sommes, ici à Bruxelles, sous le choc de l’opération meurtrière du samedi 24 mai au Musée juif de Belgique, installé dans le paisible quartier bruxellois du Sablon. Et ce à la fois en raison du fait que cette fusillade s’est déroulée dans une ville qui depuis longtemps échappait à toute violence de nature terroriste, et parce que notre Université — en particulier le Centre de recherche qui développe le projet ORELA — entretient depuis de longues années des liens soutenus avec le Musée juif de la capitale belge.

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jeudi, 23 janvier 2014 13:55

Dieudonné : retour sur la théorie du complot

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur l’Affaire Dieudonné — cet humoriste français devenu propagandiste antisémite, bénéficiant d’un surprenant succès populaire et mettant à l’épreuve les frontières de la liberté d’expression. Point n’est besoin, sans doute, d’en rajouter. Quoique. Nombre d’analystes ont en effet vu dans les diatribes antijuives du polémiste français l’expression d’une nouvelle judéophobie — postcoloniale, en quelque sorte — inspirée par les développements historiques de l’après 1967 et en particulier de l’après 11 septembre… Mais il y a plus : le positionnement anti-système — sincère ou démagogique, peu importe ici — de Dieudonné M’Bala M’Bala n’a de toute évidence rien de moderne, ou si peu, même s’il a contribué en France et ailleurs à transformer l’antisionisme et ses ambiguïtés. Il puise au contraire dans un fonds conspirationiste d’origine catholique, vieux de deux siècles, dont les avatars contemporains ne sont en réalité que de simples réappropriations.

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lundi, 22 avril 2013 21:25

Islam et franc-maçonnerie

En consacrant un petit ouvrage à la question de l’attitude des pays d’islam à l’égard de la franc-maçonnerie, et ce dans la belle collection de poche qu’il a suscitée à l’Académie royale de Belgique, son secrétaire perpétuel Hervé Hasquin innove doublement. D’une part il propose en effet une synthèse originale relative aux rapports difficiles entre islam et franc-maçonnerie. Dans le même temps, il montre que contrairement aux idées reçues, c’est bien plus le défaut de démocratie que la haine religieuse qui a dans les pays de culture musulmane creusé le lit de l’acharnement à l’égard de la maçonnerie et des principes qu’elle symbolise et véhicule.

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L'historien Simon Epstein (Université hébraïque de Jérusalem), spécialiste internationalement reconnu dans l'étude de l'antisémitisme, aborde pour ORELA les spécificités de l'antijudaïsme en islam.

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L’empressement de Vichy

La législation antijuive du régime instauré en France à partir de juin 1940 par Philippe Pétain, dit « régime de Vichy », décline une panoplie de discriminations, égrenées au long des années 1940 et 1941. En effet, le nouveau régime qui naît au lendemain de l’effondrement du pays face à l’agression nazie hisse l’antisémitisme au niveau d’une idéologie officielle. L’antisémitisme n’est plus simplement dû à des individus, des groupes privés ou des partis. Il devient le fait de l’État. La haine des Juifs ne reste pas que verbale. Sa traduction dans les faits sera rapide et dramatique : les lois sur le statut des Juifs, la création du Commissariat général aux Questions juives, la saisie des biens juifs et l’aryanisation des entreprises, les arrestations et l’internement de Juifs dans des camps de concentration, d’internement ou de transit, puis la déportation vers l’Est en forment les différents aspects.

Exclus de la citoyenneté

Sitôt entré en fonction, le gouvernement Pétain s’engage dans une politique de restriction des droits des Juifs, sans que les Allemands n’aient exprimé la moindre demande. Dès juillet 1940, Raphaël Alibert, le ministre de la Justice, met sur pied une commission de révision des 500.000 naturalisations prononcées depuis 1927. 15.000 personnes, dont 40 % de Juifs, perdent du jour au lendemain leur qualité de citoyen français. Fin septembre 1940, on apprend que les Juifs seront recensés et que les magasins leur appartenant doivent porter un écriteau « Juif ».

Le 3 octobre paraît le premier « statut des Juifs ». Les citoyens juifs français sont exclus de la fonction publique, de l’armée, de l’enseignement, de la presse, de la radio et du cinéma. Les Juifs « en surnombre » sont exclus des professions libérales. Le lendemain, les préfets reçoivent l’autorisation d’interner les étrangers de race juive dans des camps spéciaux ou de les assigner à résidence. Le 7 octobre, le Décret Crémieux (qui date de 1871) est abrogé et 100.000 Juifs d’Algérie perdent du coup la nationalité française. Le 18 octobre commence en zone occupée l’“aryanisation” des entreprises : les Juifs sont sommés de céder leurs droits sur les entreprises dont ils sont propriétaires à des « Aryens », censés être, eux, racialement purs.

Les Juifs, « responsables de la misère des Français »

Le 29 mars 1941 est créé le Commissariat général aux Questions juives (CGQJ), dont le premier directeur est Xavier Vallat. Jugé trop mou par les Allemands, il sera remplacé en février 1942 par Louis Darquier de Pellepoix, un antisémite rabique, qui explique : « Les Français doivent se rendre compte que le principal responsable de leurs misères actuelles est le Juif ». En mai 1941 ont lieu en zone occupée les premières rafles de Juifs étrangers. 3.700 d’entre eux se retrouvent internés à Pithiviers et Beaune-la-Rolande sous administration française.

Le 2 juin 1941 est adopté le deuxième « statut des Juifs », plus restrictif encore que le premier. La définition de la judéité est durcie, la liste des interdits professionnels s’allonge, un numerus clausus réduit la proportion de Juifs à 3% à l’Université et à 2% dans les professions libérales. Les Juifs sont obligés de se faire recenser en zone libre. Le 21 juillet, c’est l’aryanisation des entreprises en zone libre. En août, en zone occupée, 3.200 Juifs étrangers et 1.000 Juifs français sont internés dans divers camps (dont Drancy). En décembre, 740 Juifs de profession libérale et intellectuelle sont internés à Compiègne.

Déportation

Janvier 1942 marque un tournant décisif dans la politique allemande à l’égard des Juifs à l’échelle européenne. À la conférence de Wannsee, dans la banlieue de Berlin, les officiels nazis au plus haut niveau décident de la mise en œuvre de la « solution définitive de la question juive » (Endlösung der Judenfrage). De la politique de ségrégation et d’expulsion, on passe à une logique d’extermination. Les Juifs – hommes, femmes et enfants – sont voués à la destruction, non pour ce qu’ils auraient fait, mais pour l’unique motif qu’ils sont. Qu’ils sont juifs.

Le 27 mars 1942, la Shoah a commencé en France : le premier convoi de déportation quitte Compiègne à destination d’Auschwitz, avec à son bord 1.112 personnes, dont 19 survivront. Officiellement, il s’agit de les regrouper quelque part en Pologne. C’est le début d’une atroce série qui en comprendra près de 80. Au terme, plus de 42.000 personnes auront été déportées, dont 2.190 seulement survivront.

À partir du 7 juin le port de l’étoile jaune est obligatoire. Le 2 juillet un accord est conclu entre René Bousquet, chef de la police française, et Karl-Albrecht Oberg, représentant en France de la police allemande en présence de Reinhard Heydrich, adjoint de Heinrich Himmler : les polices française et allemande collaboreront étroitement, au moins jusqu’à fin 1942. L’administration fait preuve d’un zèle tout particulier dans l’antisémitisme à cette époque.

La rafle du Vel’ d’Hiv’

Les 16 et 17 juillet a lieu la Rafle du Vel’ d’Hiv’ : 12.884 juifs « apatrides » (3031 hommes, 5.802 femmes et 4.051 enfants) sont arrêtés. L’armée allemande envahit la zone libre.

Ce n’est qu’à l’été 1942 que l’opinion s’émeut vraiment du sort réservé aux Juifs : la protestation publique la plus connue est celle du cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, dont la lettre est lue en chaire le 23 août. Pierre Laval, le chef du gouvernement, explique lui que « la victoire de l’Allemagne empêchera notre civilisation de sombrer dans le communisme. La victoire des Américains serait le triomphe des Juifs et du communisme. Quant à moi, j’ai choisi... »

Entre les 26 et le 28 août, une série de rafles en zone libre débouche sur la déportation de 7.000 personnes. Toute l’année 1943 est émaillée de rafles et d’arrestations. En février, rafle à Lyon dans les locaux de l’UGIF. En avril, rafles à Nîmes et à Avignon. En septembre, rafles à Nices et dans l’arrière-pays niçois... L’ultime convoi de la mort ne partira qu’en août 1944.

Un meurtre à l’échelle industrielle

C’est au moment où la tournure que prend militairement la guerre nécessiterait que tout l’effort allemand soit orienté vers la victoire que des moyens considérables sont affectés à la réalisation de la tâche idéologique centrale du régime : l’extermination des Juifs. Elle sera systématiquement poursuivie. Des Einsatzgruppen exécutent d’abord méthodiquement des villages juifs entiers dans les pays baltes, faisant des milliers de morts. Trop « voyante », trop lente, trop éprouvante pour les nerfs des bourreaux, la méthode est finalement abandonnée. En septembre 1941 ont lieu les premiers essais d’exécution par le gaz à Auschwitz. C’est finalement ce modus operandi qui sera retenu : enfermés dans des chambres à gaz, des millions de Juifs mourront étouffés par l’action du Zyklon B, un insecticide industriel…

Pour connaître cette fin, ils auront été amenés par trains entiers de toute l’Europe jusqu’en Pologne, où une trame serrée de camps de concentration, de camps de travail (c’est-à-dire d’exténuation par le travail) et de centres de mise à mort a été tissée. Chełmno, Sobibór, Treblinka, Auschwitz (Oświęcim en polonais) ne sont que quelques noms dans la longue liste des lieux de l’horreur. Pour la seule Belgique, ce sont, entre le 11 août 1942 et le 31 juillet 1944, 26 convois qui quittent la caserne Dossin à Malines à destination d’Auschwitz : sur les 24.908 déportés juifs, 23.712 ne reviendront pas.

Shoah

Le chiffre total des victimes du génocide des Juifs oscille selon les spécialistes entre 5 millions et demi et 6 millions d’êtres humains. Le mot de « Shoah » (« catastrophe » en hébreu) est préférable, pour désigner cette orgie de haine païenne servie par les moyens d’un État industriel avancé, à celui d’ « Holocauste », couramment utilisé en anglais, mais qui présente des connotations religieuses et sacrificielles difficilement acceptables pur’ d’aucuns.

À l’analyse, il s’avère donc que le projet nazi pourrait bien relever d’une logique autre qu’« antisémite », si l’on accepte qu’il y a davantage qu’une différence de degré entre l’exclusion et l’extermination programmée.

Jacques Déom (ULB).

 

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On appelle communément antisémitisme la haine des Juifs en tant que Juifs.

Parmi toutes les formes de la haine de l’autre, l’antisémitisme occupe dans l’histoire de l’Europe une place essentielle depuis les débuts de celle-ci. La haine, comme toutes les réalités affectives, n’a pas besoin de « raisons » pour exister. Sa racine est dans la peur. Si l’on veut saisir le pourquoi de l’antisémitisme, il faut montrer de quelle peur spécifique il naît. Or, de quoi l’on a peur, voilà qui varie selon les époques et les sociétés, en fonction de la compréhension que chacune a d’elle-même. À chaque moment structurant de l’histoire, on a formulé autrement les griefs à l’encontre « des Juifs ».

L’antisémitisme n’est pas un fait naturel : il est historique. Dans chaque contexte historique, on a construit, pour justifier la haine des Juifs, un argumentaire dont les termes sont évidemment dictés par les enjeux idéologiques, économiques, sociaux du moment et l’angoisse spécifique qu’ils engendrent. Chaque époque se sent menacée autrement. Et la haine s’enveloppe de justifications prétendument « rationnelles » qu’il faut déconstruire, si l’on veut pouvoir faire la différence entre la critique (légitime dans son principe) et la haine (toujours destructrice et condamnable).

Telle personne juive, ou groupe de personnes juives, peut en effet m’être ou non sympathique, avoir ou non posé tel acte acceptable ou non, penser ceci ou cela, que j’accepte ou que je rejette. Les Juifs, individuellement ou collectivement, n’échappent évidemment pas plus que quiconque à la sympathie et à la critique. La première ne se commande pas et la seconde est recevable pour autant qu’elle respecte ceux qu’elle vise comme êtres humains libres et ne falsifie pas sciemment leur réalité. Est par contre proprement antisémite la stigmatisation a priori des personnes juives, ou du groupe juif, parce que juives…

Il y a antisémitisme lorsque la haine des Juifs impose unilatéralement aux personnes juives concrètes, et aux Juifs dans leur diversité, le carcan d’une identité qu’elle a fabriquée et qui méconnaît radicalement leur réalité. Comme tous les racismes, l’antisémitisme pré-juge : il s’érige, au nom de l’humanité censément agressée, en juge tout-puissant, condamne (et quelquefois exécute) sans même avoir entendu sa victime. L’antisémitisme relève fondamentalement du fantasme. Il nous en dit long sur les angoisses de l’antisémite et peu ou rien sur les Juifs. Quelles que soient les réalités constatables qu’il peut être amené à inscrire au dossier à leur charge, celles-ci se trouvent immanquablement intégrées à une construction qui en fausse le sens ou la portée – ne serait-ce que par surexposition – et constitue une pure violence à leur égard.

La permanence à travers les âges de la hargne à l’encontre des Juifs risque de donner prise à l’idée d’un antisémitisme éternel, d’un invariant impossible à éradiquer et en quelque sorte « essentiel ». La présentation que l’on va découvrir dans les réflexions qui suivent cherche à mettre en évidence à la fois les multiples facettes – à bien des égards mutuellement irréductibles – du phénomène antisémite et une continuité dont l’articulation suit l’évolution elle-même hautement dialectique de la société globale. L’unité du phénomène antisémite est ainsi tout autant problématique que celle de l’histoire du monde occidental qui lui fournit son terreau. Et l’on ne s’étonnera dès lors pas de voir ressurgir synchroniquement, bien vivantes dans l’actualité, des formes de haine dont la racine relève de stades anciens de construction de la société occidentale. L’angoisse identitaire qui travaille immanquablement toute réalité sociale fait partie de sa mémoire active. Et celle-ci est faite de strates multiples.      

Jacques Déom (ULB).

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Lorsque les Juifs sont plongés, comme l’ensemble de l’Orient, dans la civilisation grecque qu’exporte la conquête d’Alexandre le Grand (qui règne entre 336 et 323 avant J.-C.), ils se retrouvent confrontés à des valeurs fort différentes des leurs : les Grecs vivent dans un monde qui existe de toute éternité, dont les dieux multiples (polythéisme) ne sont que des figures, où l’homme a pour vocation supérieure la raison (logos), la connaissance objective du monde et de sa place dans le monde, dont l’histoire est fondamentalement cyclique (répétitive). Si la Bible vit de la question : « Qui es-tu ? », le monde grec ne cesse de demander « qu’est-ce que… ? ». Cette civilisation dite « hellénistique », que l’impérialisme romain adopte sans complexes, est de fait « multiculturelle », universaliste, sceptique et mystique à la fois. Elle s’étend de la Grèce à l’Inde et englobe de vieux pays de civilisation comme l’Égypte, la Syrie ou l’Iran. Ses réalisations artistiques, culturelles, urbanistiques, son raffinement intellectuel sont admirés de tous.

Juifs parmi les païens

Toutes les vieilles cultures du Proche-Orient en sont marquées en profondeur. Les Juifs aussi, et sans réaction immédiate de rejet, loin de là. Il faudra une assez incompréhensible persécution du judaïsme par Antiochus IV Épiphane pour que se réveille, dans l’insurrection des Maccabées en 165 avant J.-C., le sentiment national. Renaît alors au terme d’une guerre de libération un État juif qui, après un siècle d’indépendance, finit par être « protégé » par les Romains et perdre toute autonomie politique. Par ailleurs, de très nombreux Juifs vivent hors de la Terre sainte, en « diaspora » (dispersion). Ils occupent par exemple tout un quartier d’Alexandrie (Égypte). Ce sont des commerçants actifs, de mœurs rigoureuses. Leur religion répugne à certains et en attire d’autres. La rigueur de leur morale, leur monothéisme sans concession parlent aux païens que travaillent de longue date des aspirations philosophiques. À l’inverse, des pratiques telles que la circoncision, ou encore les interdits alimentaires – qui leur rendent impossible la commensalité constitutive de la socialité antique – suscitent incompréhension et rejet, et permet à certains, à l’époque romaine, de les présenter comme des « ennemis du genre humain ».

Incompris, mais tolérés…

Le monde non juif va donc basculer entre une sympathie parfois profonde et une répulsion tout aussi certaine – notamment dans les milieux lettrés – pour ces orientaux exotiques, ces « barbares » (au sens grec du mot : ceux qui ne parlent pas grec), qui n’exclut pas l’admiration éventuelle pour leur culture. Parfois de graves rixes éclatent, pour des raisons essentiellement politiques ou de rivalité commerciale. Il est bien difficile de déterminer dans quelle mesure il convient dans tout cela de parler d’antisémitisme au sens que l’on a dit en commençant. De fait, si le monde hellénistique n’a pas été antisémite, si certains Grecs disent même leur admiration pour « la sagesse de Moïse », d’autres l’ont été, comme le fameux Apion, conservateur de la bibliothèque d’Alexandrie, qui invente la légende odieuse du « meurtre rituel » d’un Grec dans le temple de Jérusalem à l’occasion des fêtes juives…

Dans son pragmatisme, Rome, avec Jules César (1er siècle avant J.-C.), reconnaîtra légalement le judaïsme comme religio licita, en voyant dans la Thora la « loi nationale » des Juifs, ce qui mettra ces derniers à l’abri de certaines exactions que l’animosité et l’incompréhension de l’opinion publique auraient volontiers tolérées. La société gréco-romaine est multiethnique, elle ne connaît pas de religion unifiée dotée d’un credo déterminé et contraignant. Si ses peuples peuvent y être allergiques l’un à l’autre, elle est fondamentalement ouverte. Ce qui explique que, dans son ensemble, elle ne connaîtra rien de comparable à la haine antijuive globale, et proprement « radicale », qui va caractériser l’Occident chrétien.

Jacques Déom (ULB).

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Jésus de Nazareth, figure centrale de la religion chrétienne, est juif. Ses disciples sont juifs. Les premiers chrétiens sont juifs. C’est dans les communautés juives de la province romaine de Palestine ainsi que de diaspora que se fera en premier lieu l’annonce de l’Évangile. Le contenu même de la « Bonne Nouvelle » (c’est le sens du mot « Evangile » en grec) est incompréhensible en dehors de la tradition juive. Jésus est le Messie (en grec « Christ »), « Fils » unique du Dieu d’amour, proche de Lui au point de ne faire qu’un avec Lui, qui appelle à reconnaître, dans un mouvement de « conversion », la venue du « Royaume de Dieu », fait de paix et de fraternité humaine. Pour les croyants, il accomplit les promesses bibliques et inaugure une Nouvelle Alliance (c’est le sens des mots « Nouveau Testament »).

L’effroyable accusation

Jésus ne sera suivi que par une poignée de Juifs et finira exécuté comme un esclave (crucifié) par les Romains vers l’an 30. La raison invoquée est au fond politique : c’est la crainte, tant du côté juif que du côté romain, de voir ce Messie tourner au chef nationaliste, avec les catastrophes que ce type d’aventure risque de provoquer…

Dans l’âpre polémique à laquelle la lecture des textes du Nouveau Testament donnera lieu, dans un milieu sociologiquement de plus en plus étranger au judaïsme, « les Juifs » seront vite présentés comme coupables d’avoir, dans leur aveuglement et leur mauvaise foi, en même temps refusé de reconnaître l’« accomplissement des prophéties » et d’avoir « tué Dieu ». Car s’il est homme, le Messie des chrétiens est aussi Fils de Dieu et Dieu lui-même, divinisation que jamais les Juifs n’ont songé à accorder à leurs prophètes, même le plus grand : Moïse.

L’accusation de « déicide » portée contre les Juifs est la principale racine de l’antisémitisme pendant deux millénaires. Elle se renforce de l’accusation de « pharisaïsme », qui mêle les griefs de ritualisme pétrifié et d’hypocrisie, cuirassant « les Juifs » contre le message d’amour qu’ils avaient pourtant vocation à entendre et à diffuser. Que le « Fils de Dieu » soit ressuscité des morts et que ses fidèles attendent son retour pour la Fin des Temps (Parousie) inaugure le temps de l’Église, qui se comprend elle-même comme le « véritable Israël » (Verus Israel), l’« Israël selon l’Esprit » (« théologie de la substitution »).

Les Juifs et le « Nouvel Israël »

De fait, les chrétiens vont très vite se recruter pour la plupart parmi les païens. C’est essentiellement la personnalité de Paul de Tarse (saint Paul, actif dans les années 40-50 après-J.-C.) qui symbolise cette ouverture du groupe chrétien au-delà du monde juif, avec une conséquence fondamentale : il renoncera en fin de compte au plus gros des exigences de l’« orthopraxie » (voir plus haut) et, au nom de la « foi », libérera les chrétiens de ce que le judaïsme tient pour essentiel. La rupture deviendra vite évidente. Elle est consommée quand l’Empire romain, au lendemain de la conversion de l’empereur Constantin, assure au christianisme la liberté de culte (Édit de Milan, 313) et le favorise au détriment du paganisme. À la fin du IVe siècle, sous l’empereur Théodose, il est devenu la religion officielle de l’État.

L’accusation de déicide et la prétention de l’Eglise à incarner le véritable Israël placent désormais les Juifs et le judaïsme dans une position radicalement inconfortable. Ils sont à la racine d’une religion qui ne peut ni ne veut oublier qu’elle est née d’eux, mais qui les accable des accusations les plus écrasantes.

Naissance de l’antijudaïsme

Cette querelle d’identité du christianisme, la faille intime qu’implique pour lui le fait que les Juifs refusent obstinément au cours des siècles de le reconnaître pour leur propre vérité, rend compte de la haine du monde chrétien à leur égard. Plutôt que d’antisémitisme, il convient donc de parler ici d’« antijudaïsme ». Cette haine découle du refus opiniâtre par la religion-mère de reconnaître la religion à prétentions universelles qui est née d’elle. Elle a une limite logique contraignante : l’insupportable cesserait, aux yeux des chrétiens, si les Juifs se convertissaient. Dans ce contexte, les expulser ou les tuer n’a pas de sens : il s’impose de les convaincre, c’est-à-dire de les amener au baptême…

« Les Juifs » : de plus en plus étrangers

La distanciation qui s’opère entre le jeune christianisme et son milieu juif d’origine entraîne en peu de temps une ignorance de ce dernier chez les adeptes du Christ. Jusqu’au triomphe de l’historicisme au XIXe siècle, le judaïsme sera, de manière dominante, vu au prisme d’un pharisaïsme ergoteur, hypocrite, asservi à « la lettre » aux dépens de « l’esprit » et sclérosé par essence et par choix. Figée pour des siècles dans les termes de la polémique néotestamentaire, cette image devenue canonique découragera tout souci de s’enquérir de ce que le pathos de la Loi, source vivante de la pensée juive, qui est à la racine de la controverse, a nourri de créativité chez les « Sages » juifs, héritiers des pharisiens, au lendemain de la rupture et en dépit des vicissitudes historiques que connaît le judaïsme. Pareille négation de l’aventure spirituelle propre du monde juif déréalise celui-ci en l’arrachant à son devenir et le condamne à tenir à son corps défendant, sur le théâtre de l’histoire chrétienne, un rôle de fossile, inintelligible et obstiné.

Jacques Déom (ULB).

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Aussi longtemps que le monde occidental restera de manière exclusive dominé par les valeurs et l’imaginaire chrétiens, les déchirements qu’on vient de dire resteront la source de la discrimination haineuse, voire de la démonisation des Juifs.

Les Croisades : les Infidèles sous la main

Celle-ci se traduit concrètement de diverses manières. Phénomène mystico-politique, les Croisades, qui visent à partir de la fin du XIe siècle à « libérer des mains des païens [les musulmans] le tombeau du Christ » par la voie militaire, sont l’occasion de pogroms qui déciment les communautés juives (par exemple 800 morts à Worms, 700 à Mayence, plusieurs milliers de morts à Prague en 1096, dans le cadre de la Première Croisade ; plus de 120 communautés juives disparaissent dans le Midi de la France lors de la « Croisade des Pastoureaux » en 1320). L’argument des tueurs : nous allons combattre les « ennemis de Dieu » (musulmans) en Terre sainte ; or nous en avons de bien pires sous la main, les Juifs. Tant pour des raisons d’ordre public que pour celles d’ordre idéologique décrites ci-dessus et d’ordre économique sur lesquelles nous reviendrons, les autorités religieuses, le plus souvent, condamnent et s’opposent, abritent à l’occasion des Juifs. Le peuple, lui, ne veut rien entendre.

L’obsession du sang

D’autant plus que les clercs, paradoxalement, l’abreuvent de légendes calomnieuses. La pire : l’accusation de « meurtre rituel ». Les Juifs crucifieraient des enfants chrétiens ou les tueraient pour obtenir leur sang, nécessaire à la célébration de leurs fêtes religieuses. Ces rumeurs entraînent des réactions populaires violentes : par exemple, en 1171, les 38 Juifs de Blois sont condamnés au bûcher ; en 1191, une centaine de Juifs est exterminée à Bray-sur-Seine ; 34 Juifs sont égorgés à Fulda en 1235. Là encore, des autorités – tant civiles que religieuses – font souvent valoir le caractère délirant des accusations et l’absence totale de preuves. N’empêche. À la fin du XIXe siècle, les antisémites professionnels avaient établi une liste de 154 cas « attestés » d’assassinats pour raisons religieuses…

Des démons, coupables de la peste…

On accuse également les Juifs de profaner les hosties (à Bruxelles, en 1370, la communauté juive est anéantie suite à une accusation de ce type – comme en témoigne la chapelle du Sacrement du Miracle à la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule), d’empoisonner les puits (de connivence avec les lépreux), de mettre en place un plan universel de destruction des chrétiens (voir plus loin). La Peste noire (1347-1349) extermine un tiers de la population européenne : on en rend les Juifs coupables (2.000 d’entre eux sont brûlés à Strasbourg en 1348). C’est un cas manifeste où les Juifs servent de « boucs émissaires » : on les charge d’un mal qu’on ne peut s’expliquer pour les expulser ou s’en défaire et en « purifier » le groupe dominant.

On n’envoie d’ailleurs pas que des hommes au bûcher. En 1242, à Paris, au terme d’une « disputation » orageuse entre prêtres et rabbins, on brûle, avec l’accord de Louis IX, roi de France et futur saint Louis, vingt-quatre charrettes chargées de volumes du Talmud, accusé de contenir des attaques contre la foi chrétienne. On délire sur le Juif comme sur les sorcières : il porterait des cornes, dégagerait une odeur pestilentielle et dissimulerait soigneusement ses pieds fourchus... Les médecins juifs, très nombreux (et par ailleurs appréciés pour leur savoir…) sont fréquemment accusés de collusion avec le Diable.

Suspects même après le baptême

La haine la plus radicale ira jusqu’à suspecter un Juif, même converti, de rester d’abord un Juif : si, en bonne théologie, le baptême est une nouvelle naissance, la haine suspecte la pérennité du caractère juif et glisse rapidement vers une interprétation quasi raciale de la judéité qui préfigure les obsessions de la modernité. Ainsi, dans l’Espagne qui achève de se libérer de l’emprise musulmane (après 1492), on impose aux Juifs (et aux musulmans) de se convertir ou de quitter le territoire. Unifications politique et linguistique vont de pair avec l’unification religieuse.

Une logique se met en place, qui prévaudra en Europe jusqu’à l’ère des Révolutions : le sujet est tenu d’adhérer à la religion de son roi (« Cuius regio, illius religio »). Mais, en Espagne et dans son empire outre-Atlantique, les convertis restent suspects de « marranisme » (de rester secrètement Juifs, donc d’hypocrisie religieuse) et l’on impose aux candidats à diverses fonctions publiques de faire la preuve de leur limpieza de sangre (pureté de sang). On notera ici que l’Inquisition (tribunal ecclésiastique créé au XIIIe siècle pour lutter contre les Cathares et chargé de veiller au respect de l’orthodoxie catholique) n’a jamais poursuivi les Juifs comme tels, ce qui aurait été un non-sens, mais seulement – et avec quelle fermeté ! – ceux d’entre eux qui, précisément, étant publiquement convertis, étaient suspectés de pratiquer en secret leur foi ancestrale.

Deux Réformes qui ne changent pas l’image des Juifs

Au XVIe siècle, la Réforme a vis-à-vis des Juifs une attitude ambiguë. En révolte contre l’Église catholique en tant qu’institution médiatrice du salut, les Protestants privilégient la lecture directe de la Bible dans une relation personnelle à Dieu et, du coup, comprennent mieux les Juifs. Mais l’attitude de Martin Luther est caractéristique du malaise persistant. Il commence, en 1523, par dénoncer l’ignominie des « papistes », qui ont méprisé « les cousins et les frères de Notre-Seigneur » et prône l’« amour chrétien » à leur égard. En 1542, n’ayant pas réussi à les convertir, il les agonit d’injures dans les termes les plus orduriers. La Contre-Réforme catholique, menée par le Concile de Trente (entre 1545 et 1563), ne fera rien pour sa part en vue d’améliorer chez les fidèles de l’Église romaine l’image des Juifs.

Économiquement nécessaires… et haïs

Outre ces données idéologiques, il faut rappeler la ségrégation économique que connaissent les Juifs. Commerçants habiles, parlant des langues que les chrétiens ignorent, entretenant des relations internationales, les Juifs suscitent l’envie. On se sert d’eux en les haïssant. Le droit de l’Église (comme celui de l’islam d’ailleurs) interdit le prêt à intérêt aux chrétiens : les Juifs se spécialisent donc par nécessité dans le commerce de l’argent et fournissent les crédits dont l’économie a besoin. Quitte à ce que des débiteurs n’hésitent pas à user de violence (confiscation et expulsion) pour ne pas s’acquitter de leur dette… C’est notamment le cas des rois, au point qu’on a pu dire que l’art de pressurer les Juifs était devenu une institution, en tout cas une ressource régulière de la royauté.

Les Juifs ne peuvent par ailleurs posséder des terres. Ils ont donc tendance à se spécialiser dans des métiers (joaillerie, orfèvrerie, pelleterie) où l’on peut déplacer facilement son capital en cas d’urgence. De cette situation imposée naît l’image du Juif usurier, déraciné dans une société essentiellement fondée sur la richesse foncière, incapable de manier l’épée (comme le noble) ou la charrue (comme le paysan), mais vivant aux crochets du monde environnant et prêt, comme le Judas des évangiles, à trahir son maître pour trente deniers.

Ségrégation

Les Juifs sont donc contraints de vivre à part. Depuis 1215 (Concile de Latran), ils doivent un temps porter la « rouelle » (insigne d’étoffe jaune). De multiples pratiques vexatoires et odieuses leur sont imposées, qui varient selon les lieux et les temps. Ils sont exposés à l’expulsion (d’Angleterre en 1290 ; de France en 1306 – ce sont quelque 100.000 Juifs qui partent pour l’exil, qui sera réitéré en 1394 ; d’Espagne en 1492 – voir plus haut – ; du Portugal en 1497). Même là où ils sont tolérés, ils se retrouvent regroupés dans un quartier juif spécifique (nommé selon les pays ghetto, Judenviertel, judería…) qui, s’il les sépare des non-Juifs et les isole en les désignant comme des hors-caste, permet il est vrai également aux communautés de se perpétuer dans le respect de leurs traditions.

C’est à cette époque que prend forme le mythe du Juif errant (the Wandering Jew, der Ewige Jude), Ahasvérus, condamné à parcourir éternellement le monde sans trouver de lieu où s’établir enfin…  

La loi au service de la haine

Présente dans certains esprits, active dans la pratique sociale, la hargne antisémite n’a jamais manqué au cours de l’histoire de se donner des formes juridiques normatives, formant un corps de dispositions plus ou moins cohérent.

Le droit canon de l’Église catholique témoigne d’une riche inventivité en matière de mesures contre les Juifs :

-       Dès 306, le Synode d’Elvira interdit les relations sexuelles (et a fortiori le mariage) et la commensalité avec les chrétiens.

-       Celui de Clermont en 535 exclut les Juifs de toute fonction publique.

-       Celui d’Orléans en 538 leur interdit d’avoir des serviteurs chrétiens et de paraître dans les rues pendant la Semaine sainte.

-       Celui de Trulanic en 692 fait défense aux chrétiens d’avoir recours à des médecins juifs.

-       Celui de Narbonne en 1050 leur interdit de vivre dans des familles juives.

-       Depuis le 3e Concile du Latran (1179), les Juifs ne peuvent porter plainte ou témoigner en justice contre des chrétiens, et depuis le 4e (1215), ils sont stigmatisés dans leur vêtement.

-       Le concile d’Oxford (1222) leur interdit de construire de nouvelles synagogues.

-       Le synode de Breslau (1267) instaure le ghetto obligatoire.

-       Celui d’Ofen (1279) interdit aux chrétiens de vendre ou de louer aux Juifs des biens immobiliers.

-       Celui de Mayence (1310) interdit au chrétien la conversion au judaïsme et au Juif converti le retour au judaïsme.

-       Le concile de Bâle (1434) interdit aux Juifs de servir d’intermédiaires dans la conclusion de contrats (notamment de mariage) entre chrétiens et proscrit de leur décerner des titres universitaires.

L’État n’est pas en reste.

-       Louis le Bavarois (1328-1337) impose aux Juifs une taxe de protection per capita.

-       Arguant que « les Juifs et leurs possessions appartiennent à la Chambre impériale », un code du XIVe siècle attribue à la collectivité les biens d’un Juif tué dans une ville allemande.

-       À Nuremberg, à la fin du XIVe siècle, le droit entérine la confiscation des créances détenues par les Juifs sur des chrétiens.

-       À Rome, en 1555, ce sont les Juifs eux-mêmes qui doivent financer la construction du mur d’enceinte du ghetto.

-       À Francfort, au XVIIIe siècle, les maisons des Juifs sont marquées et leurs déplacements limités.

-       Lorsque le futur philosophe et penseur des Lumières Moïse Mendelsohn (1729-1786) arrive adolescent à Berlin, capitale de la Prusse alors régentée par Frédéric II, il doit, comme tous ses coreligionnaires, y pénétrer par la Porte de Rosenthal, réservée « au bétail et aux Juifs ».

Jacques Déom (ULB).

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Publié dans L'antisémitisme
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