Que ce soit dans la littérature académique anglophone ou francophone, les réflexions sur l’articulation entre islamisme — ou formes diversifiées d’engagement politique au nom d’un islam intégral — et capitalisme restent relativement rares. Un préalable s’impose : a priori, cet angle ne mobilise guère les spécialistes du militantisme musulman. Cela peut s’expliquer par le fait qu’un certain nombre d’entre eux soient davantage préoccupés par le « djihadisme » et « la radicalisation », soit les périphéries incandescentes et guerrières de l’islam.
La 3e Foire musulmane de Bruxelles s’apprête à recevoir au cours du prochain week-end un conférencier koweïtien très controversé, Tareq al-Suwaidan, issu des rangs des Frères musulmans, qu’un éditorial de La Libre Belgique — l’un des quotidiens belges francophones les plus sérieux et les mieux informés — qualifiait ces jours derniers de « semeur de haine professionnel ». Ce prédicateur à succès dans le monde musulman est en effet accusé, non seulement de propager l’idée d’une annihilation pure et simple de l’Etat d’Israël, mais aussi une exécration des juifs justifiée religieusement.
Sur les pourtours musulmans de la Méditerranée, on assiste à un redéploiement des organisations « Frères musulmans », dont les récents succès électoraux, surtout depuis le Printemps arabe, poussent à reconsidérer leur place dans le monde arabe comme force politique de premier ordre. Cette dynamique est également observable en Europe où les Frères musulmans européens (FME), via la Fédération des Organisations islamiques en Europe (FOIE) — dont le siège est à Bruxelles —, sont également des acteurs importants, voire cardinaux du paysage islamique européen. Preuve de ce dynamisme, les FME organisent chaque année les deux manifestations musulmanes les plus importantes du monde occidental, en banlieue parisienne (au Bourget, au printemps) et à Bruxelles (en septembre), attirant des dizaines de milliers de personnes. Pour autant, ce dynamisme ne doit pas masquer les crises profondes dans lesquelles sont actuellement plongés les Frères musulmans.
La Foire musulmane fait presque désormais déjà partie du panorama bruxellois. Elle s’impose comme un événement islamique majeur à l’échelle de la Belgique. Dans un climat serein et détendu, elle permet à des musulmans de se rassembler, d’échanger et de se rendre visibles sous des aspects qu’eux-mêmes choisissent et valorisent. Ses organisateurs promeuvent un islam de Belgique, un raffermissement des liens communautaires et l’ouverture à la société autour du rappel de valeurs qui leur sont chères. Ce rendez-vous annuel de musulmans de Belgique, ouvert à tous, reflète l’expression privilégiée d’une sensibilité islamique particulière, en transformation, qu’il importe de mieux comprendre.