L’autocéphalie de l’Église de Kiev est liée à l’existence d’une « nation ukrainienne » et à la souveraineté de l’État ukrainien, conformément à l’ethnophylétisme qui introduisit le principe des nationalités dans l’orthodoxie au XIXe siècle. Le schisme décrété par Moscou depuis 2018 préfigura par conséquent la crise actuelle en Ukraine, mais aussi entre la Russie et l’Occident. Le président Vladimir Poutine tient non seulement à maintenir son autorité sur l’« espace historique russe », mais également à garder son influence sur le monde orthodoxe dont la Russie s’est toujours considérée comme la protectrice.
C’est un comédien et humoriste inexpérimenté en politique, populiste pour d’aucuns, Volodymyr Zelensky, qui a remporté avec une majorité écrasante de plus de 73 % des voix, ce dimanche 21 avril, l’élection présidentielle en Ukraine, face au président sortant Petro Porochenko. Le symbole est fort, et ce d’autant que le président ukrainien jouit de pouvoirs importants, notamment comme chef des armées — ce qui n’est pas négligeable dans un territoire névralgique, où peut se jouer le sort de l’Europe —, et que ce néophyte en politique devra à la fois gérer les délicates tensions avec la Russie et gouverner sans majorité parlementaire, du moins avant les élections législatives prévues en octobre prochain.
En octobre 2018, le Patriarcat œcuménique de Constantinople a reconnu l’autocéphalie (« indépendance ») de l’Église d’Ukraine (Patriarcat de Kiev), privant l’Église de Russie de près de trente millions de fidèles. Constantinople rétablit Philarète de Kiev dans ses fonctions en tant que primat, et révoque la décision de 1686 qui rattachait les éparchies d’Ukraine à l’Église de Russie. Considérée comme une victoire du président Petro Porochenko, cette décision provoque la désapprobation de Moscou qui menace de schisme l’Église orthodoxe en rompant ses relations avec Constantinople.
L’Ukraine de la période post-soviétique présente une spécificité remarquable par rapport aux autres sociétés du monde slave ou orthodoxe. Son histoire et son passé récent y ont produit un large pluralisme religieux, officiellement protégé par la loi, mais pourtant source de conflits. Les nouvelles déclinaisons de la liberté religieuse et de la laïcité de l’État pourraient dès lors y être menacées par les pulsions uniformisatrices du pouvoir et des acteurs religieux eux-mêmes.