Dimanche 04 mai 2025
Schreiber

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Ce 25 octobre se déroulait à Tunis le procès de Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de La Manouba, qui répondait devant le tribunal d’actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, suite à une altercation avec deux étudiantes en niqab, en mars dernier, dans son bureau. Une accusation qui n'est que le dernier épisode en date d'une longue série qui a vu le professeur Kazdaghli être victime d’agressions et de menaces, jusqu’à l’occupation de la Faculté de La Manouba par des militants salafistes — lesquels tentent d'imposer par la violence et la peur la prévalence des normes religieuses et le refus des règles académiques.


samedi, 27 octobre 2012 06:20

Revue de presse hebdo, 27 octobre

Tunisie

Le 25 octobre, Habib Kazdaghli, doyen de la faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba a comparu devant le tribunal de première instance de Tunis pour "agression" envers une étudiante en niqab. À la demande de ses avocats, son procès a été à nouveau reporté, au 15 novembre — Habib Kazdaghli : "Mon procès est une tentative de mise au pas de l'université tunisienne" (Jeune Afrique)

Une affaire emblématique. C’est comme cela que le ressentent maints Tunisiens au moment où, ce jeudi matin, un tribunal de Tunis doit examiner la plainte pour agression déposée par une jeune femme contre le doyen de la Faculté des arts, des lettres et des humanités de l’Université de La Manouba, Habib Kazdaghli. Emblématique car l’agresseur supposé est, selon ses dires, la victime dans cette affaire où les camps islamiste et laïque n’épargnent ni émotion ni mobilisation — Un procès symbolique ce jeudi à Tunis (Baudouin Loos, Le Soir)

Il y a un an exactement, l’attentat perpétré contre les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, qui s’apprêtait à publier un numéro spécial intitulé Charia Hebdo, avait conduit sa rédaction à déplorer le soutien qu’elle s’attendait à recevoir de la part de Marine Le Pen ou de l’association Riposte laïque.

Et, en effet, le Front national s’était très rapidement fendu d’un communiqué indiquant que « l'attentat contre Charlie Hebdo est à la fois une atteinte à la liberté de la presse et une agression contre la laïcité ». Cette récupération de la thématique de la laïcité, a priori surprenante dans le cas de l’extrême-droite, est révélatrice des glissements, réappropriations et dévoiements de certains thèmes qui appartiennent à l’arsenal démocratique ou républicain et connaissent aujourd’hui des mutations politiques ou idéologiques marquées.

samedi, 20 octobre 2012 07:22

Revue de presse hebdo, 20 octobre

Turquie

Le pianiste réputé pour ses compositions et pour sa défense de la laïcité, Fazil Say, est traîné devant la justice. Le pouvoir islamo-conservateur turc "a décidément un problème avec la liberté de création" — Turquie: Fazil Say idole et tête de Turc (Gercek Burcin, L'Express)

Le virtuose turc du piano Fazil Say jugé pour blasphème rejette les accusations (Le Nouvel Observateur)

Mali

"Nommé à la faveur de la formation du gouvernement d’union nationale, le représentant du Haut conseil islamique a du mal à se faire une place au sein du gouvernement. Le Dr. Yacouba Traoré, ministre des Affaires religieuses et du Culte, agace ses camarades en conseil des ministres, rapportent différentes sources qui évoquent son refus de s’asseoir auprès ou de serrer la main des femmes ministres en plus de ses habitudes de réciter les versets de Coran au début de ses interventions" — Conseil des ministres : Le ministre des Affaires religieuses qui dérange (Mali Actualités)

lundi, 15 octobre 2012 07:19

Revue de presse, 15 octobre

Egypte

Nawal Al Saadawi est une des grandes voix de l'Egypte contemporaine. Une femme écrivain, engagée pour les droits de l'homme et de la femme, et récompensée par de nombreux prix. Annette Gerlach et Evelyne Herber l'ont rencontrée. A près de 82 ans, Nawal al Saadawi porte un regard incisif et critique sur l'évolution de son pays — "La religion est une idéologie politique " (Arte)

Tunisie

Le projet clé des islamistes tunisiens d'inscrire la criminalisation de l'atteinte au sacré dans la Constitution sera exclu de la première version complète de ce texte, qui sera débattue en novembre par les députés, a annoncé le président de l'Assemblée nationale constituante — Tunisie: un projet de Constitution en novembre, l'atteinte au sacré écartée (AFP, Libération)

samedi, 06 octobre 2012 08:19

Revue de presse hebdo, 6 octobre

Science

Le dieu de la science, Albert Einstein, relativise l'existence de Dieu et de la religion dans une lettre écrite à un ami, un an avant sa mort, en 1954. "Le mot Dieu n'est, pour moi, rien d'autre que l'expression et le produit de la faiblesse humaine. (…) La Bible est une collection de légendes et de contes de fées, certes honorables mais primitives et infantiles", confiait le Prix Nobel de physique de 1921 au philosophe juif Erik Gutkind — La « Lettre à Dieu » d’Einstein vendue 3 millions de dollars sur eBay (Blog Big Browser, Le Monde)

Albert Einstein’s ‘God Letter’ To Be Auctioned On eBay With An Opening Bid of $3 Million. The letter was last sold in 2008, with big-name atheists such as author Richard Dawkins among bidders. In it, Einstein writes that the word ‘God’ is only a product of human weakness, and the Bible a collection of pretty childish legends (Huffington Post)

mardi, 30 octobre 2012 06:38

La revanche des sorcières allemandes

Il y a quelques mois, le Conseil de la ville de Cologne a réhabilité la sorcière Katharina Henot, que ses prédécesseurs en droit avaient brûlée vive en mai 1627. D'autres villes et villages allemands s'apprêteraient à réexaminer d'autres cas de condamnations pour sorcellerie. Au-delà de son intérêt anecdotique pour les amateurs de frissons, particulièrement friands en cette saison d'Halloween, l'affaire Henot pose des questions plus profondes concernant le rapport aux pages douloureuses du passé, le travail de mémoire et les efforts de réconciliation au-delà des siècles.

Les Américains sont-ils "capitalistes", c'est-à-dire attachés au système du libéralisme économique, parce qu'ils sont protestants ? Le sont-ils davantage que d'autres, que les Européens par exemple, en raison de leur identité religieuse ? Comme tous les clichés historiques, cette affirmation comporte des éléments vrais, mais aussi des simplifications susceptibles de nourrir bien des raisonnements caricaturaux.

Tout d'abord, il ne faut pas perdre de vue que les États-Unis ne sont pas une Nation intrinsèquement et majoritairement protestante. La population y est très diverse, y compris en termes d'appartenance confessionnelle. Le libéralisme économique peut certes être considéré comme un des piliers de la société américaine, mais cette attitude et les valeurs qui y sont liées ne sont pas l'apanage des seuls protestants. Le principe qui est au cœur de l'American Dream selon lequel la réussite serait accessible à tous, par l'initiative personnelle et par l'endurance au travail, a attiré des vagues successives d'immigrés juifs, catholiques, musulmans et autres. Par ailleurs, le protestantisme américain est lui-même fort diversifié et les rapports à l'économie ne sont pas les mêmes d'une Église à l'autre.

Il y a quatre-vingts ans exactement, le 9 octobre 1932, paraissait à Paris le premier numéro de la revue Esprit. Dans l’esprit de son fondateur, Emmanuel Mounier, il s’agissait de doter d’une tribune le mouvement qu’il était en train de mettre sur pied, afin de diffuser les principes de ce qu’il appelait « la révolution personnaliste ». Grâce à un recentrage sur la spiritualité chrétienne, il voulait remettre au cœur de la société la personne et les relations interpersonnelles afin de combattre la dépersonnalisation généralisée du monde moderne et ses tares à ses yeux les plus morbides : l’individualisme, le capitalisme et le libéralisme. Ce mouvement allait avoir une grande influence sur la pensée politique dans la plupart des pays à forte majorité catholique, où des hommes tels que Karol Wojtyla, futur Jean-Paul ii, Vaclav Havel, Jacques Delors, ou plus récemment Herman Van Rompuy s’en feraient les continuateurs. Quel est cet héritage ?  Comment expliquer ce succès ?

« Dans cette Révolution Française, tout, jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué ; tout a été […] amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices au complot ». Ainsi s’exprimait, dans un texte célèbre, l’abbé Augustin de Barruel (Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1798-1799).

Il ne fut certes pas le premier à attribuer la Révolution française à la conspiration des francs-maçons, mais l’idée d’un complot permanent, qu’il élabora au lendemain de la Révolution, marquera pour des générations la pensée antimoderniste, de sorte que nombre de théories autour du complot n’ont été que des avatars des écrits barruéliens, et que l’antimaçonnisme des XIXe et XXe siècles, la principale incarnation de la rhétorique du complot, n’est en fin de compte qu’une longue resucée de sa pensée.

Les délires conspirationnistes qui, depuis Barruel, ont entretenu l’imaginaire du soupçon dans nos sociétés peuvent bien entendu être balayés d’un revers de main, parce qu’ils ne sont après tout que l’expression d’une vision magique du politique. Mais ce serait un peu court. Les théories du complot permanent puisent le plus souvent aux mêmes sources, se nourrissent depuis deux siècles de la même historiosophie, répondent à des mêmes schèmes rhétoriques et offrent une explication générale des maux du monde qui structure maints discours contemporains sur le réel.

L’Église catholique, mise à mal par la modernité, a joué à la fin du XIXe siècle un rôle capital de ce point de vue. D’abord, elle a condensé et popularisé un discours qui reposait jusque-là sur la complexité et la confrontation documentaire avec des adversaires dont le propos était davantage étudié et disséqué. Ensuite, elle a préparé le terrain à la sécularisation de motifs qui s’énonçaient pour l’essentiel dans un registre religieux. Car ce sont les usages politiques de conceptions théologiques ou apologétiques (comme les notions d’hérésie, de secret, de prophétie, voire la figure du diable…) qui ont offert au discours complotiste une profondeur causale légitimée par la doctrine de l’Église et l’Institution ecclésiale.

L’idée du complot est d’une puissance redoutable parce qu’elle mobilise les ressorts de la pensée mythique — le mythe ayant précisément pour fonction de tout expliquer. Elle relève du mythe aussi parce qu’elle suggère un dédoublement du monde, la réalité apparente n’étant que le voile derrière lequel opèrerait un autre monde, insaisissable, qui en fixerait les règles et les lois, et serait le lieu véritable du pouvoir. Pierre-André Taguieff a montré que le principal véhicule textuel en fut les Protocoles des Sages de Sion, dont il a décortiqué les formes du discours et les avatars.

Toutefois, le discours officiel de l’Église catholique a fortement concouru à entretenir ce mythe politique d’une prétendue puissance cachée, organisatrice du désordre social et politique, trente ans avant la diffusion des Protocoles. L’encyclique Humanum Genus du Pape Léon XIII, fulminée en 1884, point d'orgue de l'antimaçonnisme catholique et matrice de nombreuses théories du complot, s’inscrit au cœur de cette logique — aucune condamnation papale de la franc-maçonnerie n’avait auparavant été aussi sévère. Humanum Genus constitue en effet un tournant fondamental : ce qui était ressassé sur la conspiration moderniste antichrétienne d’inspiration satanique, et ce depuis l’abbé Barruel, sera ici synthétisé dans la doctrine de l’Église, qui fit désormais de l’antimaçonnisme un combat au cœur de son action, lui offrant une formidable chambre d’écho.

La substance du propos du Pape tient dans ces premières lignes de l’Encyclique : « Les fauteurs du Mal paraissent s’être coalisés dans un immense effort, sous l’impulsion et avec l’aide d’une Société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons ».

La théorie de la conspiration, dans ses ressorts rhétoriques comme dans l’argumentaire théologique, est ainsi tout entière dans le discours explicatif d’Humanum Genus. Les conceptions qui seront développées ultérieurement, nourrissant le mythe politique du complot mondial, relèveront souvent d’une sécularisation de conceptions théologiques et du fantasme papal d’une conspiration pour ainsi dire ontologique.

L’Église se considère en effet, dans la seconde partie du XIXe siècle, comme une citadelle assiégée en permanence par les forces du Mal. Elle identifie la franc-maçonnerie — ou son avatar judéo-maçonnique — comme le lieu par excellence qui symbolise ce Mal, à savoir le changement du monde moderne. Et c’est au nom de sa conception de la société parfaite qu’elle va condamner la franc-maçonnerie avec une violence qu’elle n’a appliquée, canoniquement, à aucune autre institution. Incarner les forces agissantes de la modernité dans le diable, c’est affirmer clairement que, en dehors de l’Église, aucune voie du Salut n’est légitime.

Jean-Philippe Schreiber (ULB).

Orientation bibliographique :

P.-A. Taguieff, La foire aux Illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et Une Nuits, 2005

Id., Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg, 1992.

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